Tout le monde m'en parlait de ce roman, point de départ d'une véritable saga qui va s'étendre sur plusieurs tomes…
En principe et en vertu de quoi « tout le monde ne peut se tromper », je suis donc tombé dedans. Et pour cela, j'ai choisi la meilleure période pour entamer une telle immersion : Juillet et ses températures caniculaires, l'absence même de brise à l'ombre des oliviers, un parfum de lavande qui provient d'on ne sait où, quelques notes de mandoline échappées d'un village où se prépare une des sempiternelles fêtes locales destinées à ravir un flot ininterrompu de touristes plus qu'à souder des habitants disséminés dans les environs plutôt que serrés les uns aux autres dans des hameaux aux ruelles étroites (ben oui, il y règne au moins une fraicheur au coeur et puis on peut se passer un kilo de farine ou un morceau de pain d'une fenêtre à l'autre).
Bref, sous mon arbre centenaire, j'étais dans les meilleures dispositions pour commencer cette chronique qui se situe à une époque pas si lointaine (les années d'après guerre) mais qu'on voit aujourd'hui comme un reliquat de préhistoire (d'avant la mondialisation et le libéralisme gagnant-gagnant).
Alors voilà : la jeune Elena (preuve s'il en est que ce roman est autobiographique), fille du portier de la Mairie, fait la connaissance d'une petite fille de son quartier, la méchante Lina… qu'elle s'évertuera à appeler Lila.
Histoire d'une amitié hors pair, construite sur l'admiration réciproque des deux fillettes, mais qui ne se traduit pas de la même façon. Globalement, leurs deux destins vont suivre des chemins différents. Et c'est là tout l'intérêt du livre. Parce que, entre vous et moi, enfin ceux qui ont un peu de « bouteille », ces histoires pseudo autobiographiques, ces récits de jeunesse enfuie, ces digressions sur le « c'était mieux avant », on en a éclusé des tonnes.
Premier problème. L'amie prodigieuse ravira forcément celui ou celle qui débute en lecture par sa fraicheur, une certaine légèreté qui n'omet pas une réelle gravité.
A la fin des années 50 (aujourd'hui encore?), dans ce Naples crépusculaire, il règne un machisme ambiant (la Sicile n'est pas loin), des rivalités de quartier, toute une faune de petites gens qui portent quasiment tous des prénoms identiques se terminant par -io pour les gars, en -a pour les jeunes femmes.
Deuxième problème. Même si l'auteur a pris soin de nous offrir un pense-bête en tête de roman (l'éditeur aurait été bien intentionné de l'imprimer sur un marque-page d'ailleurs), récapitulant les différents personnages comme dans toute bonne saga (de Autant en Emporte le Vent à Dallas), on s'y perd tout le temps.
A une époque où l'instruction servait de levier social pour ne pas employer le détestable mot d'ascenseur, la narratrice et son Amie Géniale (titre original), vont suivre deux voies différentes. Deux intelligences hors norme dont l'une a besoin d'un cadre scolaire bien établi pour se cristalliser tandis que l'autre, plus aigüe, plus brute, plus sauvage, mettra en application son sens de l'analyse dans la vraie vie. J'aurais aimé que le roman s'attarde sur cette différence dont souffre Lila, en apparence (puisque ce n‘est pas elle qui raconte) ou Elena. La seule réflexion a lieu à la fin de ce premier volet, lors du mariage de son amie. L'auteur se rend alors compte que son monde, issu de l'école puis du lycée, ne correspond plus à son milieu. Elle y est devenue étrangère. Tout comme Lila, future femme trop libre dans un monde d'hommes, peut l'être. Ce sentiment de se couper de ses racines est, à mes yeux, le vrai sujet du roman. Que ce soit à cause d'une personnalité trop forte (Lila) ou le résultat d'une imprégnation d'un autre milieu (le lycée, les études à une époque où peu étaient scolarisés au-delà du primaire), cette fracture culturelle va impliquer une future faille sociale et l'incompréhension inéluctable entre les élites de la nation et les gens modestes.
Troisième problème. J'ai eu l'impression que Ferrante passe à côté de son sujet. Qu'elle nous embarque dans une histoire où les vraies réflexions sont absentes, du moins, dissimulées sous la trame obligée de la saga. Bien sûr, on me rétorquera qu'on n'est pas ici dans un
Dostoïevski ou un
Proust. N'empêche.
Reste un cliché, une photographie de cette Italie en noir et blanc (revoir « le voleur de bicyclette ») et quelques jolies scènes. Mais pas de description du cadre (le Naples d'après guerre, il y avait de quoi remplir des pages, non?) et absence de ce sentiment d'exclusion de son propre milieu, comme si la vie se chargeait de vous transformer en propre étranger à votre lieu de naissance. Qu'il soit dicté par l'instruction (Elena), un monde où l'italien officiel et ses tournures savantes supplante le dialecte un peu trop rustre du peuple ou par une formidable nature supérieure (Lila) qu'on imagine pas à sa place dès le début.
Aurait-il fallut que ce soit Lila qui raconte…