Fiction, n°161

« QUI peut me donner un mot commençant par J ? » Oveta Wohlmuth passa en revue les vingt visages apathiques, les quarante yeux éteints qui la regardaient uniquement parce que les sièges de la classe ne leur permettaient pas de fixer une autre direction. « Jill ?… »

Jill Coldfax s’abîma dans la contemplation de sa table de bois blanc, obstinément silencieuse, invinciblement ignorante, résignée, rancunière.

« J… Vous ne pouvez pas me donner un mot qui commence par un J ? Allons, Jill…»

Trois enfants se mirent à rire ; Oveta n’y prêta pas garde. Les seize autres, emplis de honte, piquèrent du nez vers la surface vernie de leurs pupitres. Seize visages… non, il y en avait un qui restait levé vers elle avec un calme déconcertant, mais en prenant soin d’éviter son regard – qui l’avait regardée ainsi depuis ce matin, et les autres jours aussi.

« Nada ? Quels sont les mots qui commencent par J ? »

Depuis des heures, Nada regardait fixement le monogramme épinglé au col d’Oveta. Depuis que, en novembre, on l’avait placée au premier rang (où il était plus difficile de s’endormir), Nada Perez avait appris à entrer en transe sans même fermer les yeux.

« Nada ! »

— « Kangourou. Kangourou commence par K. »