L'auteure a reconstitué la vie de cette femme, depuis sa France natale jusqu'aux confins de la Russie orientale : une vie hors-norme par les choix exceptionnellement courageux qui l'ont pointillée. Depuis sa naissance en Lorraine, où elle va grandir dans champ miné par l'égoïsme et les manipulations de sa mère veuve très vite, qui a d'ailleurs un petit goût de cette France balzacienne du XIXe siècle,
jusqu'à ses pérégrinations puis sa mort en Sibérie, aux côtés de son époux, russe, Pauline Geuble a tout de la destinée et de l'aura de ces grandes femmes qui marque la mémoire de l'histoire et de la littérature franco-russe. D'autres auteurs qu'
Irène Frain ont eu l'occasion d'évoquer
Pauline Geuble dans leur oeuvre,
Alexandre Dumas de notre côté,
Fedor Dostoïevski, du côté de la Russie, mais aussi
Alexandre Pouchkine, et rien que pour cela, ces grands noms de la littérature, qui ont vu en elle l'étoffe des plus grandes, à mon sens, c'est un livre à découvrir et à approfondir avec d'autres lectures ultérieures.
Pauline Geuble a eu une vie très romanesque, mais terrible. Partagée entre ses vingt premières années françaises, pays qu'elle quittera sans se retourner, et les cinquante autres passées majoritairement dans une région du globe où même ses habitants souffrent de son climat, on ne lui a jamais accordé la facilité et le confort, et ce n'est pas la voix qu'elle se choisira. Ce sera plutôt d'un amour, unique, et absolu, pour un de ceux qui faisait partie de ce groupe d'insurgés, auxquels Nicolas Ier ne pardonnera pas, et qu'il reléguera, pour ceux dont la tête n'est pas tombée, dans les fins fonds sibériens, où sont déjà dressées depuis des lustres des prisons pleines de condamnés esseulés.
Irène Frain retrace avec talent chacun de ses pas et le caractère qui la pousse à affronter le tsar pour suivre son mari. C'est un récit où l'on décèle le respect et l'admiration que l'auteure a eue pour son héroïne, dont elle a littéralement transformé la vie en roman, à peine se doute -t-on qu'il s'agît d'une biographie. Les pages les plus belles sont, à mon sens, celles ou ces femmes ont recrée une société à côté de celle de leurs hommes en prison, prises par des liens d'amitié, nés d'une entraide nécessaire dans ces zones reculées ou presque plus rien ni personne n'a le souhait
de vivre. Affronter la glace, le vent, l'isolement, la faim, les maladies, les grossesses qui se suivent, la séparation d'avec leurs compagnons, le moral qui flanche, et les contingences d'un tsar blessé dans son amour-propre, ce fut le lot de chaque heure qu'elles ont passée là-bas. Elles ont enfanté, elles ont cultivé les légumes, entretenu le moral des prisonniers, elles ont toutes été le soutien inébranlable nécessaire à la survie de ces décembristes.
Pauline comme elles toutes. C'est avec stupeur que l'on découvre toutes les ressources dont ces femmes ont été capables pour adoucir leurs propres conditions
de vie en Transbaïkalie ainsi que celles de leurs hommes, d'autant que la plupart sont issues d'un milieu ou elles été entourées de toute une cour pour les assister : reprises les vêtements avec des arêtes de poisson, jouer du clavicorde pour garder la tête haute, écrire sans cesse aux prisonniers et à ces même prisonniers de fonder une mini-république dans leur geôle.
J'ai aimé ce texte, tout particulièrement les années de
Pauline en Russie : c'est l'occasion d'en savoir un peu plus sur l'accession au pouvoir de Nicolas 1er et l'épisode d'insurrection qui a menacé son maintien le temps d'une journée de décembre. J'en attendais peut-être sûrement un peu plus d'informations sur ce moment d'histoire, mais finalement-là n'était pas vraiment le but du roman, ce sera l'objet d'une autre lecture. Les autres éléments que j'ai appréciés sont les références aux différents auteurs qui ont croisé la route de
Pauline, dont
Dostoïevski et
Alexandre Dumas, d'autant qu'envers ce dernier
Pauline a entretenu un fort sentiment de rancoeur. Lire le récit d'
Irène Frain permet de lever le voile sur les reproches de cette dernière concernant les petites mesquineries de l'écrivain français, qui n'en ressort franchement pas grandi.
Je partais moyennement convaincue, j'ai fini cette lecture avec plaisir :
Pauline Geuble et ses compagnes méritent d'avoir un récit que pour elles-mêmes, en dehors des faits et du destin réservé à ceux qu'elles ont accompagnés puis soutenu en enfer. J'ai aimé ce ton, qui se situe à mi-chemin entre celui du roman et du documentaire ou biographie. le livre offre en postface une bibliographie bien remplie pour approfondir sa connaissance sur le sujet.
Lien :
https://tempsdelectureblog.w..