Récit des crimes, asservissements et ingérences étrangères en Amérique latine depuis le XVe siècle.
Il peut être comparé au Massacre des Indiens de
Lucien Bodard publié trois ans plus tôt et consacré aux populations du Brésil des XIXe et XXe siècles, quoique Galeano présente bien davantage de chiffres, dates et références et fait la part belle à l'économie et à la politique depuis les indépendances jusqu'en 1978. A ce titre, il doit plutôt être considéré comme un livre d'histoire immédiate.
L'auteur montre de façon intéressante – et contre-intuitive – comment l'or et l'argent prélevés en Amérique par l'Espagne ont surtout profité aux autres pays d'Europe et ont abouti, par leur mauvais usage, à la ruine de l'économie espagnole dès la fin du XVIe siècle.
Même chose au Portugal dont l'or du Brésil sert à payer les tissus anglais dès 1703, ce qui détruit ses manufactures naissantes et déplace le centre de la finance européenne d'Amsterdam vers Londres, sans quoi – selon l'auteur – le Royaume-Uni n'aurait pas pu résister à Napoléon.
Faute d'avoir employé leurs ressources pour constituer des industries et des armées, les Etats d'Amérique latine ont ainsi enrichi leurs voisins et leur ont permis d'amorcer un capitalisme à l'origine d'une puissance qui s'est retournée contre eux.
Tels des rentiers richissimes mais inconséquents, ils ne se sont pas donné les moyens de produire et de se protéger, et se sont condamnés à devoir tout acheter et à se laisser piller…
A l'inverse, les colonies nord-américaines, peu pourvues en ressources naturelles – et ayant par ailleurs des productions agricoles proches de celles de l'Europe –, n'ont pas pu s'enrichir en exportant et ont dû faire l'effort de créer précocement leur propre industrie en se préoccupant surtout de leur indépendance. le nord a su faire de sa faiblesse une force alors que le sud a employé sa force pour importer sans créer d'industries, se rendant ainsi dépendant de l'étranger.
C'est la principale raison de l'ingérence des Etats-Unis dans le sous-continent du sud pour mettre la main sur certains minerais absents dans leur sol : or, argent, bauxite, tungstène, étain…
Ces deux processus opposés expliquent aussi l'expansion unitaire des Etats-Unis et le morcellement de l'Amérique latine.
L'économie du sucre – véritable fléau régional – est bien détaillée. C'est le sucre qui fait démarrer le commerce triangulaire et conduit à ce que « les tribus d'Afrique occidentale passaient leur temps à se battre entre elles pour augmenter leurs réserves d'esclaves. »
Les plantations de cannes – comme celles de coton et de café – s'étendent au détriment de la polyculture et provoquent une sous-alimentation.
Le livre évoque certains points peu connus comme l'étonnant « royaume noir de Palmares » (1605-1695) au Brésil, le plus long régime fondé par des esclaves ; ou la réussite économique et sociale exceptionnelle du Paraguay entre 1814 et 1865 mais victime d'un dépeçage par ses voisins.
Il foisonne de faits et de décisions politiques et économiques, ce qui peut donner le tournis et faire perdre de vue les grandes lignes de l'évolution du sous-continent. C'est le réquisitoire virulent d'un journaliste-écrivain très engagé, loin de l'étude froide et structurée d'un universitaire.
L'ouvrage a été censuré en Uruguay et au Chili dès sa première publication en 1971.
Selon
Mario Vargas Llosa,
Eduardo Galeano « a diffusé une image de l'Amérique latine qui était une caricature, dogmatique, profondément erronée ».