Quiconque s'est un jour trouvé en Guadeloupe à l'époque de la tenue du tour cycliste de la Guadeloupe peut en témoigner : l'enthousiasme - frisant le délire parfois - de la population à l'endroit de la course et des coureurs est tel que celui manifesté par les spectateurs du bord de la route sur le passage du Tour de France pourrait, en comparaison, être qualifié "d'indifférence polie".
Franck Garain, sociologue et historien guadeloupéen, presque - sinon autant - apprécié de ses compatriotes que les équipes locales du tour cycliste - et tout autant connu des Guadeloupéens (au point que l'éditeur de
Camille Daridan, le plus fort : histoire sociale d'une épopée cycliste dans la Guadeloupe des années post Seconde Guerre mondiale n'a à aucun moment jugé bon de le présenter, en quatrième de couverture ou au début du livre, comme souvent, tant il ne doit pas y avoir quiconque ici, jusqu'à la dernière petite souris de Guadeloupe, à ne pas savoir qui est
Franck Garain) a choisi de nous présenter, à travers l'histoire d'un champion cycliste issu de la commune dont il est originaire - Morne à l'Eau - la naissance de ce sport en Guadeloupe et la société guadeloupéenne de l'époque.
Dans le style fluide qui fait le succès de ses causeries publiques (il détesterait le mot "conférence", en homme humble et modeste qu'il est),
Franck Garain nous fait revivre une histoire pas si lointaine - celle des années 1920 à 1950 - où la Guadeloupe ne vivait toujours que par et pour le sucre, où l'industrialisation de cette production dans les usines centrales (L'Usine comme on disait alors, et la majuscule et le singulier disent beaucoup) rythmait la vie de tous les Guadeloupéens ou presque (alors qu'en 2022 il ne reste plus que deux usines sucrières en Guadeloupe : une à Marie-Galante, et l'autre en Guadeloupe "continentale" comme on dit ici).
Ce livre de 250 pages, illustré par de nombreuses photographies d'époque, ne ravira pas seulement les passionnés de la petite reine. Il est surtout, pour ceux d'entre nous qui ne sont pas originaires de ce département (lequel est devenu un département français en 1946 seulement) une formidable illustration de la vie de l'époque, des conditions matérielles de la population (logement, alimentation, transport, ...) et du rôle que le vélo, en tant que moyen de transport des ouvriers vers LIZIN (l'usine) a joué dans le développement de ce sport, qui, il y a six semaines à peine, faisait vibrer à l'unisson l'âme des Guadeloupéens (le 71è tour cycliste de la Guadeloupe s'est achevé ce 13 août 2022).
Un livre à découvrir, assurément (et ce n'est pas parce que je vis en Guadeloupe, à Morne à l'Eau que je vous le conseille !)