Avec ce même regard qui semblait dire qu'ils avaient déjà traversé trop de cauchemars pour pouvoir être sauvés tout à fait.
"Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. [...] Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes."
Je me suis trompé. Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays ....... Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes.
Il avait compris que le commandant entreprenait un de ces voyages qui ne se décrivent pas en termes de destination ni de durée. Il quittait tout....les hommes n'étaient décidément beaux que des décisions qu'ils prennent.
Le camion roule. Je sens une force sourde qui monte en moi. Jusqu'à présent je n'avais fait que suivre mon frère, maintenant je pars pour le sauver. Je ne dormirai plus la nuit. Je me nourrirai de ver. Je serai dur à la tâche et infatigable comme une machine. On pourra m'appeler 'esclave', je n'en aurai cure. La fatigue pourra me ronger les traits, je n'en aurai cure.J'ai hâte.
Le camion roule. Nous laissons les faubourgs d'Al-Zuwarah derrière nous pour aller trouver le navire qui nous emmènera en Europe. Dès demain,j'y serai. Dès demain, alors,j'enverrai de l'argent à Jamal. Je me concentre sur cette idée. Je suis une boule dure de volonté et rien ne me fera dévier de ma route. La promiscuité des autres corps ne me gêne pas. Les visages des autres hommes ne me font plus peur. Je n'ai qu'une hâte : que le bateau quitte l'Afrique et que mes mains se mettent à travailler.
Le commandant Piracci ignorait que la femme eût un enfant mais, en d'autres occasions, sur d'autres mers, il avait dû, parfois, arracher des nourrissons inertes à leur mère. Il connaissait ces histoires de mort lente, de rêve brisé. Pourtant le récit de cette fenmme le bouleversa. Il repensa à cette destinée saccagée, à la laideur des hommes. Il essaya de mesurer la colère qu'il devait y avoir en elle et il sentit qu'elle était au-delà de toute mesure. Et pourtant durant tout son récit, elle ne s'était pas départie de la pleine dignité de ceux que la vie gifle sans raison et qui restent debout.
(Incipit)
À Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Duomo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recueillaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d'un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derière leurs tréteaux avec l'oeil plissé du commercant aux aguets. La foule se pressait, lentement, comme si elle avait décidé de passer en revue tous les poissons, regardant ce que chacun proposait, jugeant en silence du poids, du prix et de la fraîcheur de la marchandise. Les femmes du quartier remplissaient leur panier d'osier, les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui. On s'observait d'un trottoir à l'autre. On se saluait parfois. L'air du matin enveloppait les hommes d'un parfum de mer. C'était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu'avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille récompense ? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux. Les hommes et les femmes passaient devant les étals avec le respect de celui qui reçoit. En ce jour, encore, la mer avait donné. Il serait peut-être un temps où elle refuserait d'ouvrir son ventre aux pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans les filets, ou maigres, ou avariés. L'homme a tant fauté qu'aucune punition n'est à exclure. La mer, un jour, les affranchiraient peut-être. Tant qu'elle offrait, il fallait honorer ses présents.
Je fais une distinction, répondit-elle, entre le passeur qui prend à son client ses derniers deniers mais l'amène à bon port et celui qui affrète un bateau dont il sait qu'il n'arrivera nulle part. Ils nous ont envoyés sur la mer comme on envoie à son ennemi un paquet contenant un animal mort. Et nous avons payé notre mort.
« Les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent. »
Kenz et Léa.
Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi...Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes.