Au début, Frans et moi nous ne savions pas vers quoi nous allions. Lui, un peu surpris par cette proposition se questionnait : raconter sa vie ? Oui… Pourquoi pas ? Mais en quoi pouvait-elle intéresser quelqu’un, sa vie à lui, parfait inconnu.
Après ce premier rendez-vous, les entretiens s’enchaînent : d’abord chaque semaine puis de manière plus espacée. Frans commence à s’en amuser et trouve que cela lui procure un certain bien-être. L’exercice est assez différent de ce qu’il imaginait. Savait-il d’ailleurs ce qui l’attendait ? Et finalement ce voyage dans le temps lui permet de revivre les bons moments de sa vie et d’en parler. Quant aux souvenirs moins agréables, il les laisse au silence parce qu’il « s’en fout ! »
De mon côté, j’écris ma première biographie et je suis autant enthousiaste qu’inquiète. Vais-je la mener à son terme ? Frans va-t-il accrocher au projet ? Alors un peu frénétiquement entre les entretiens je retranscris et je rédige, imprégnée de son envie de se raconter, pensant, faisant le monde à sa façon et ponctuant les évènements d’éclats de rire, car Frans est drôle, vraiment amusant, c’est là un de ses traits de caractère les plus prégnants.
Les premiers chapitres rendus nous relient. Gage d’une alliance, il apprécie les textes et le travail que nous effectuons ensemble. Nous passons de longues heures à relire, à compléter et à rectifier, à rire, à nous investir pour le meilleur comme pour le pire. Rédiger sa biographie réveille aussi des souvenirs douloureux et enfouis. Et puis une fois dits et parfois pleurés, ils sont laissés là, sans mot puisque c’est le choix de Frans de penser que « la vie continue et que c’est comme ça ! » Et puis, tous deux nous avons confiance en nous, un quelque chose ambiant qui s’explique peu et nous relie. Il apprécie mes questions directes et sans détours, ma démarche et le projet. De mon côté, j’aime écrire et décrire, les caractères bien trempés et l’attrait de la liberté m’attirent. Avec Frans, l’humour nous rassemble. Il a l’histoire, j’ai la grammaire. On s’est dit oui pour sa vie !
Et puis, Frans est assez dégourdi et semble maîtriser l’art du
commerce et de l’embobinage. Si vendre sur le marché le
dimanche est une activité que réalisent bien souvent les enfants de
Geel, vers l’âge de 12 ans. Frans est repéré alors qu’il n’a que
8 ans. C’est bien connu, les enfants négocient mieux que les
adultes. Et Frans cerne avec aisance les enjeux du commerce de
proximité : fixer un tarif plus élevé que celui demandé par son
voisin afin d’augmenter sa marge personnelle. De temps à autre, il
s’octroie de petits pactoles comme ce fût le cas lorsqu’on lui
confia un faisan domestiqué un dimanche. Un faisan précise-t-il
qui n’était pas destiné à être mangé, mais qui servirait le décor
d’une volière ou d’un jardin de familles aisées. Sur le marché,
Frans trouve acheteur, mais au moment de la transaction, il tend
l’animal en relâchant légèrement ses mains pour que la bête
s’enfuie. Face à un enfant qui réclame le paiement de son dû et qui
accuse l’acheteur d’avoir laissé échapper la bestiole, le client qui en
a les moyens paye et repart les mains vides. Frans rattrape l’oiseau,
l’appâtant comme il le sait en lui proposant à manger et le revend
une seconde fois et à un tarif plus élevé que celui fixé par le voisin.
Il repart du marché avec une coquette somme. Pactole !