Pour commencer, soulignons que le narrateur de notre roman n'est autre que
Paolo Giordano lui même, écrivain à succès, journaliste, professeur de physique
A l'aube de la quarantaine, confronté à de sérieuses incertitudes concernant le monde qui l'entoure, couvrant des événements tels que la COP 21 (2015, Paris, dans la foulée des attentats), il semble perdre progressivement la main pour corriger quoique ce soit à son modeste niveau. le monde s'épuise à vue d'oeil, l'horloge de l'apocalypse indique que la catastrophe ultime n'a jamais été aussi proche (2min30s). D'ailleurs comment pourrait-il en être autrement dans un monde où de brillants physiciens eux-mêmes ont ouvert la boîte de Pandore en créant la bombe atomique, dépassés par l'instinct humain qui veut que la destruction puisse l'emporter sur la dissuasion ?
Comment écrire, communiquer quelque chose de tangible, de novateur, d'humain, quand l'homme lui-même se débat dans des sentiments contradictoires pour courir insensiblement et collectivement à sa perte ?
Chacun tient en lui sa propre Tasmanie, son graal,son île de liberté et de paix contre vents et marées, contre le sens d'une histoire devenue folle, entre terrorisme , pandémie, alors que l'homme et la femme eux mêmes ont tant de mal à communiquer, à se comprendre, à une époque où "me too" incite à faire violemment table rase du passé des inégalités.
Dans un livre à géométrie variable, avec l'impression d'osciller entre essai et roman,
Paolo Giordano dresse différents portraits attachants qui se débattent entre l'intense possibilité d'aimer, Dieu, une femme, un enfant, un ami… et la réalité d'un monde désenchanté, en dépit de la multiplication des canaux de communication (plus Paolo fuit physiquement sa femme Lorenza, et plus son téléphone s'affirme comme un outil d'une communication permanente, répétitive, compulsive mais finalement aussi fugace que cache misère dans son contenu).
La difficulté de communiquer harmonieusement, la quête incertaine du sens commun et individuel, la fluctuation et la force des sentiments maintiennent nos sens de lecteur en éveil. La lecture est fluide.
Une chose est certaine, chacun retrouvera une part de sa propre réalité dans cet univers, éveillant multiples questionnements et mises en perspective de notre propre Tasmanie. Un ouvrage original, profondément humain, qui ne laisse pas insensible et me donne personnellement envie de découvrir "
la solitude des nombres premiers", grand succès initial de
Paolo Giordano