La participation est à la mode: de la co-éducation à la protection de l'environnement. Tout est devenu participatif: des élections jusqu'au crowfunding (financement participatif). Mais la participation est-elle véritablement une condition de la démocratie ? Une condition du mieux vivre ensemble ? Dans son ouvrage ( paru la première fois en 1983), Jacques T. Godbout, développe l'idée selon laquelle la participation n'est ni plus ni moins qu'une manière de se passer des mécanismes démocratiques. Pour le démontrer, il va s'appuyer sur quatre enquêtes sociologiques qu'il a mené entre 1965 et la fin des années 70. Chemin faisant, il interroge les rôles du citoyen entre le consommateur et le producteur. La notion d'usager est alors mise en exergue car l'usager détient une place particulière dans une organisation. Quelques années plus tard (en 1987), il en fera l'objet de son deuxième livre: La démocratie des usagers. Finalement, après plus de 30 ans, les réflexions de ce sociologue québécois semblent toujours d'actualité.
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En fait, toute évaluation d'une organisation de services est confrontée au dilemme suivant : on est en présence d'un côté d'un milieu sur lequel l'organisation veut agir, de l'autre côté d'une organisation qui agit. Deux approches sont donc possibles : soit mesu- rer la transformation du milieu, soit mesurer l'activité de l'organisation. En mesurant la transformation du milieu par rapport à des objectifs qui ont été fixés, on pourra établir la correspondance entre les objectifs fixés et l'état évalué du milieu; mais on ignorera si ce résultat est dû à l'action de l'organisation, ou plutôt à un ensemble d'autres facteurs nécessairement présents dans le milieu au moment de l'observation. Au contraire, en mesurant l'action de l'organisation, on pourra observer une certaine performance; mais on ignorera si la performance a pour résultat la transformation du milieu. Il n'existe aucune solution théorique à ce dilemme. La seule approche pratique, concrète, qui de- meure possible, c'est de procéder aux deux types d'évaluation, d'apprécier à la fois l'activité de l'organisation et la transformation du milieu qu'elle semble opérer. Idéale- ment, cette opération doit être complétée par une mesure de la satisfaction des usa- gers, qui constitue une synthèse des deux démarches précédentes, au sens qu'elle cumu- le les avantages et les inconvénients de chacune...
la participation des usagers est un instrument aussi dangereux que le droit des citoyens: le contrôle peut échapper en partie à ceux qui l'ont promue, comme le montrent l'histoire du droit des citoyens et aussi l'analyse des expériences de participation.
Pourtant la démocratie a besoin de militants pour fonctionner et, inversement, le militant a besoin d'une base; sinon il n'est rien. Lorsque le militant s'attaque à un mécanisme démocratique, il coupe la branche sur laquelle il est assis et ouvre toute grande la porte au remplacement du militant par la bureaucratie et la technocratie. Car le mécanisme le plus intéressant et le plus efficace - mais aussi le plus menaçant à court terme pour le militant - qu'on ait trouvé jusqu'à maintenant pour relier le militant à sa base, c'est l'institution démocratique, c'est la représentation par l'élection.
si cet ouvrage porte un jugement négatif sur la pratique de la participation telle qu'elle a été observée, il ne constitue pas une condamnation de l'idée de participation; cette grande idée, depuis Rousseau, Tocqueville et même Marx, nourrit la plupart des pensées politiques critiques de la société industrielle capitaliste ou bureaucratique.
Participation contre démocratie, donc, d'abord parce que l'utilisation des mécanismes de participation diminue la plupart du temps l'utilité de l'institution démocratique, au sens qu'il est moins nécessaire d'y recourir dans la prise de décision.
Vidéo de Jacques T. Godbout