Arrive un Vagabond et, très vite, se forme un triangle amoureux peu conventionnel. Une femme enfant, un homme bon et sympathique qui, à peine son sac posé, tombe sous le charme, et un innocent petit gamin qui, s'attachant à ce nouvel ami, va être témoin de choses qu'il n'aurait pas du voir.
Il y a aussi le mari, mais il ne joue qu'un rôle secondaire :
« le cinéma lui coûta sa femme, car une fois éteintes les lumières dans le State Theater, dès que la première image se mit à clignoter sur l'écran, dès qu'elle vit ces images énormes et magnifiques et qu'elle entendit ces voix parler comme dans aucun autre pays que celui du cinéma, Sylvan cessa instantanément et définitivement de lui appartenir. A partir de cette première séance, elle appartint corps et âme au cinéma. »
La femme fatale rêvait donc d'une vie en cinémascope, se prenant pour
Lauren Bacall aux côtés de Bogart. L'enfant croyait avoir trouvé, avant l'heure des Marvel, son super-héros. Charlie, le héros, croyait vivre le grand amour mais n'était qu'un figurant.
« C'était la fin de l'après-midi, et la deuxième fois qu'il la voyait. Mais cela avait suffi. le film avait démarré. »
Dans la Virginie rurale de la fin des années 40, voici que se met en place un fatal engrenage sur fond de tradition, de résignation, de ségrégation raciale assumée et acceptée, mais aussi de convoitise, de secrets, de prêches et de sermons enflammés. Cela sent très fort la tragédie grecque même si tout commence de façon bucolique, en musique et au cinéma dont les jeunes générations ont du mal à imaginer la féérie qu'il représentait au lendemain de la guerre.
« Toute cette musique country était une découverte pour lui, et il aimait ça. Il se sentait chez lui parmi ces voix de montagne fluettes qui racontaient le paradis et l'enfer, la trahison et le deuil. Parfois les chansons parlaient d'amour et de meurtre… quelque chose qui rappelait à Charlie ce qu'on ressentait quand on était amoureux, et qui lui donnait l'envie de l'être de nouveau. »
« Ce soir-là, on donnait le Grand Sommeil. Les subtilités de l'intrigue (lui) échappèrent totalement …, mais il y avait
Lauren Bacall, une fille pratiquement du même âge qu'elle,… et elle tombait amoureuse de Bogart, un homme qui … ne jouait même pas la comédie ; il était cette façon de parler et de fumer ses cigarettes. A l'évidence, il était assez vieux pour être son père. Elle sut immédiatement qu'elle était Bacall,... Et si une chose était bien certaine, c'est que Boaty (son mari) n'était pas Bogart. »
On apprécie la description de la société rurale et traditionnelle de la Virginie dont est issu l'auteur et qu'il pare, au fil de son récit, de vertus touristiques assez peu inattendues. Les personnages sont attachants, y compris les seconds rôles (les parents de l'enfant, le frère du « vagabond », la couturière), il y a beaucoup de bons sentiments ce qui, d'ordinaire donne des récits ennuyeux. Ici, nous avons l'exception qui confirme la règle. La lecture est très agréable, l'intrigue captivante et le récit très cinématographique, ce qui est bien naturel eu égard à l'un des thèmes du roman, mais pas si facile que ça à réussir.
Ce livre a eu beaucoup de succès. Si vous ne l'avez pas encore lu, allez-y. Remontez le temps et partez pour Brownsburg, vous ne le regretterez pas. Et surtout, ne pensez pas qu'il s'agit d'une histoire à l'eau de rose. Charlie avait pourtant été prévenu :
« Monsieur Beale, je ne vois pas vraiment quelle différence cela peut faire que je sois mariée. En outre, sachez … que je fais toujours très attention à mon coeur. Faites-en autant. »