Sorti en 2001, traduit en 2002 en France, c'est l'un des derniers romans de
Nadine Gordimer, publié après la fin de l'apartheid en Afrique du Sud. le roman explore donc le nouveau type de relations qui s'est installé dans le pays suite aux bouleversements politiques.
Julie, le personnage principal du roman est une jeune femme blanche, issue d'un milieu très favorisé, qu'elle rejette. Suite à une panne de sa voiture, elle rencontre un homme noir, Abdou, en situation irrégulière, venu d'un pays pauvre où il se trouve sans avenir. Une histoire s'ébauche entre eux, un peu à l'initiative de Julie. Mais Abdou se voit ordonner de quitter le territoire. Malgré les démarches entreprises par Julie, il doit partir. Elle ne se résout pas à le perdre, et part avec lui. Elle découvre sa famille, le village dont il est issu, et tente d'y trouver sa place. Pendant ce temps, lui ne songe qu'à repartir, se servant aussi de son mariage avec elle, des relations qu'elle peut avoir dans des pays plus riches, pour obtenir un visa.
Un roman puissant, qui aborde des thématiques variées et très contemporaines. le rapport à l'autre, qui ne peut s'extraire d'un contexte social, historique. L'individu n'est pas une tabula rasa, il réagit en fonction de ce qui lui a très transmis, des stéréotypes, idées reçues. Même en s'opposant, prenant le contre-pied des valeurs de son milieu, il est forcément déterminé par ce qu'il reçu, son opposition s'exprime en fonction de ce qu'il connaît.
C'est aussi une histoire d'amour, ou plus exactement un récit qui questionne, tente de définir, le sentiment amoureux. Sans aucun sentimentalisme ni idéalisme. L'écriture au scalpel de Nadine Gordinmer traque les faux semblants, tente de cerner le plus authentique, le moins romancé. Il y a ce mouvement qui pousse vers l'autre, vers un autre, qui reste autre, différent de soi, incompréhensible et étranger. D'autant plus qu'il est issu d'une autre culture, qu'il est impossible de le voir, de le ressentir, en dehors des représentations, des à priori que l'on a vis-à-vis de cette culture.
Ce qui uni peut-être le plus fortement Julie et Abdou, c'est la volonté quasi viscérale de vouloir fuir, sa condition, le lieu, la position, assignés à la naissance à chacun d'entre eux. Abdou veut quitter son village, partir dans un pays étranger à n'importe quel prix, changer son destin. Julie refuse aussi fortement de s'identifier à ses parents, à leurs valeurs, à la vie à laquelle elle est destinée, aussi privilégiée soit-elle. Aucun ne se sent à sa place là d'où il vient. Sans forcément exprimer clairement ce qu'il souhaite d'autre. Leur rencontre va leur permettre de mieux saisir cette nécessité intérieure et tenter de la réaliser.
Malgré des analyses sociologiques, des descriptions précises, une approche qui semble objective, le récit n'est pas réaliste. C'est plutôt une fable, une métaphore, que le récit véritable d'une histoire entre deux individus. D' où des passages, des événements que l'on peut critiquer sous l'angle de la vraisemblance. Mais cela ne met pas en cause le propos du roman, qui est une sorte d'analyse, de réflexion sur des thématiques, plus qu'un récit romanesque.
J'ai eu un peu de mal à accrocher au début du roman, à cette écriture si froide, si minimaliste, et à ce récit où je ne sentais pas l'âme et la chair des individus. Mais la deuxième moitié du livre m'a réellement convaincue, le projet de l'auteure apparaît dans toute sa richesse et complexité. le personnage masculin a plus de poids qu'au début, les rapports s'équilibrent, et l'évolution des deux personnages devient passionnante.
Une belle découverte.