Guenassia Jean-Michel – "
Les Terres Promises " – Albin Michel, 2021 (ISBN 978-2-226-45407-2) – format 22x15cm, 614p.
Comme le proclame le bandeau, ce roman marque le "retour des incorrigibles optimistes", et toute la promotion éditoriale est articulée autour du précédent succès que fut "
Le club des incorrigibles optimistes" (publié en 2009), roman qui m'avait bien plu (cf recension).
Ce récit met en scène les mêmes personnages, en imaginant ce que fut leur destinée entre 1964 et l'effondrement du mur de Berlin en 1989. le souffle épique reste présent, un peu amoindri toutefois, mais les rebondissements incessants tiennent le lecteur en haleine, de telle sorte que le texte se lit quasiment d'une traite.
Aux yeux des gens de sa génération (qui est également la mienne), l'auteur a fait des choix drastiques : grâce lui en soit rendu, il nous épargne les traditionnelles sottises sur "mai-68" qui n'est guère évoqué (ouf!).
L'avènement de la société de consommation et du spectacle n'est qu'effleuré avec les personnages de Paul et de sa compagne (qui créent une chaîne de magasins d'électroménager et audio-visuel évoquant à la fois Darty et la FNAC), sur un ton d'ailleurs plutôt favorable (ce phénomène marque pourtant le début de l'abrutissement généralisé via les écrans, ainsi que la destruction du petit commerce de proximité), sans oublier l'éloge pour le moins bizarre d'un pur produit du pire show-biz comme Claude François, ses "claudettes", ses boîtes de nuit ; l'auteur n'a d'ailleurs aucune distance critique face à la destruction massive des cultures populaires en cette époque de massification et de standardisation par le bas.
D'autres phénomènes cruciaux sont passés sous silence ou fort peu évoqués : l'immigration massive de la main d'oeuvre maghrébine et sub-saharienne vers les pays dits développés (privant les pays d'origine de la part la plus dynamique de leur population), la mise en place de la bureaucratie bruxelloise dite européenne, la guerre du Vietnam (omission fort étonnante lorsqu'on se rappelle l'importance des mouvements de protestation qu'elle suscita dans le monde entier), l'émergence spectaculaire de l'Asie dans le domaine des technologies de pointe (la légende du robot ménager made in Japan ou Taïwan, réputé infaillible), l'avènement de la pilule contraceptive ; dans les pays occidentaux, la destruction des bassins industriels, ainsi que celle de l'agriculture traditionnelle remplacée par un productivisme agricole catastrophique, véritable désastre écologique, ou encore le développement de l'hyper-urbanisation tentaculaire enfermant les gens dans des loisirs plus bêtifiants les uns que les autres etc etc.
L'auteur a fait des choix, certes, mais l'absence de toute allusion à ces phénomènes caractéristiques de ces décennies fait que ses personnages semblent quelque peu hors-sol, parfois très éloignés des débats qui animaient précisément les cercles intellectuels et politiques ici mis en scène.
En revanche, il centre son récit sur "
les Terres Promises" de cette époque, l'Algérie d'une part, Israël de l'autre. Pour ce qui concerne l'Algérie,
Guénassia dresse un portrait sans fard de la catastrophe abyssale que représenta – pour le peuple algérien lui-même – cette pseudo "indépendance" obtenue par des gens totalement incompétents, ayant délibérément provoqué la fuite (la valise ou le cercueil) de toute la population qualifiée, se retrouvant pieds et poings liés par les "pays frères", et dépendant finalement des subsides versés par l'ancien colonisateur, abondamment détournés par les nouveaux maîtres avides de s'enrichir – il reste à écrire une véritable histoire du FLN, mais la tâche est probablement impossible : un futur gouvernement algérien ouvrira-t-il un jour ce qu'il reste des archives, à supposer qu'il y en ait ?
En contrepoint, l'auteur suit certains de ses personnages ayant émigré vers l'État d'Israël (créé en 1948) : il se montre particulièrement indulgent, reprenant la justification de l'expulsion des palestiniens par la catastrophe que fut la Shoah. La description de l'un ou l'autre kibboutz reste fort lacunaire (dans ces années-là, une mienne cousine y avait suivi son compagnon, pour en revenir totalement désillusionnée).
En toile de fond subsistent tout de même les pays communistes, plus particulièrement l'URSS et la Tchécoslovaquie, dont sont originaires certains des "incorrigibles optimistes". Là encore, le tableau dressé est tout à la fois réaliste mais fort lacunaire (j'ai moi-même vécu derrière le rideau de fer).
Ces réalités géopolitiques de l'époque sont exposées par le biais des biographies singulières de chacun des personnages principaux, y compris dans leur vie intime.
De ce point de vue, le récit témoigne d'une certaine faiblesse, pratiquement tous les couples mis en scène subissant le même cheminement d'échec répété (abandon, disparition pure et simple, erreur etc). Les personnages féminins les plus développés sont quasiment tous négatifs,
Guénassia ne va pas se faire beaucoup d'amies, bien qu'il évoque constamment les théories pseudo-féministes les plus répandues dans les cercles bobos actuels (cf la caricature mise en scène par exemple p. 281-282 ou encore p. 482) : dès cette époque, les théories beauvoiriennes avaient certes séduit la mince couche intellectuelle de la population, mais je ne me souviens guère qu'elles aient été aussi répandues dans la population générale que
Guénassia ne nous le présente ici (il faudrait vérifier), sachant qu'il commence plutôt par évoquer – sous un angle tout à la fois critique et humoristique – le "
bonjour tristesse" de
Sagan (sorti en 1954) ou le "Jules et Jim" de Truffaut (sorti en 1962).
Dernier trait caractéristique de ce roman : la plupart des personnages terminent leur parcours par une illumination religieuse. C'est certes fort louable et courageux dans un pays comme la France où le crétinisme anti-religieux, fondé sur une ignorance de plus en plus abyssale, connaît un succès croissant (au point de rendre impossible la compréhension et l'entente avec les populations musulmanes de plus en plus nombreuses), mais en l'appliquant à presque tous les personnages, cela devient peu crédible...
Lecture des précédentes parutions de cet auteur : "
Le club des incorrigibles optimistes" (publié en 2009, voir recension), "
La vie rêvée d'Ernesto G" (publié en 2012, voir recension), "
La valse des arbres et du ciel" (publié en 2016, voir recension).
En attendant la suite...