Louis Guilloux (1899-1980) journaliste, natif de Saint-Brieuc, publie son premier roman en 1927 et en 1935
le sang noir rate de peu le prix Goncourt, raflé par
Joseph Peyré avec
Sang et Lumière. Ses convictions humanistes le conduiront à devenir secrétaire du 1er Congrès mondial des écrivains antifascistes et responsable du Secours Populaire.
Ce roman –
le sang noir - est considéré comme le chef d'oeuvre de
Louis Guilloux et s'attire les louanges d'
André Gide et
Albert Camus. L'action se déroule dans une petite ville de province sur une seule journée, en 1917. Année emblématique puisque la Grande Guerre, comme on l'appelle, tourne à l'hécatombe, voit surgir les mutineries de poilus et les exécutions pour l'exemple, tandis que les Russes font leur révolution.
Le personnage principal, professeur de philosophie, se nomme Merlin mais tout le monde l'appelle Cripure. Ce sobriquet résulte d'un jeu de mot de potache sur l'ouvrage de Kant Critique de la raison pure qui devient « Cripure de la raison tique » d'où le surnom. Cripure a eu son heure de gloire à une époque grâce à un ouvrage savant mais depuis il végète, écrivant sans jamais le finir un bouquin qui devrait être son apothéose. Il vit en ménage, tant bien que mal, avec une souillon Maïa et sombre lentement dans l'alcoolisme entouré de ses chiens. Moqué de tous ou presque en raison de son infirmité, de trop grands pieds, Cripure fuit tous ces cloportes qui dans cette petite ville continuent de jouer leur rôle alors qu'au loin la guerre gronde et que leurs fils en reviennent amochés – pour les chanceux qui reviennent – avant de repartir au front. La description faite par Guilloux de cette humanité est féroce, riches ou pauvres, bourgeois ou ouvriers, tous ou presque traînent leur mesquinerie, leur bassesse, leur lâcheté, leur méchanceté. « J'ai toujours vécu seul, répliqua Cripure, absolument tout seul. Je ne serais pas plus seul chez les Canaques. »
En ce jour fatidique, la coupe va déborder pour Cripure, qui gifle son ennemi de toujours, Nabucet, un fat prétentieux et arriviste. le duel devient inévitable et le sort de Cripure paraît scellé puisque l'offensé a choisi l'épée. Les quelques heures qui vont suivre nous entraînent dans des rebondissements, le duel est annulé mais Cripure ne sera pas sauf pour autant, et des révélations hélas ! tardives, Maïa et Cripure qui vivaient comme chien et chat se cachaient à leur insu des sentiments plus tendres.
Un livre remarquable en tout point, à lire toute affaire cessante. Je me demande encore comment j'ai pu vivre jusqu'à ce jour sans l'avoir encore lu. Inutile de vous dire que je vais approfondir ma connaissance de l'oeuvre de
Louis Guilloux.