Un miroir qui renverrait mille fois la même image, en y ajoutant un seul élément microscopique pour chaque reproduction. Une mise en abîme digne d'un palais des glaces, dans lequel Emma Lindahl, experte en biens anciens vient en apparence faire le tour du propriétaire d'un manoir en Suède. Sauf que ce manoir est sur une île sur une autre île, accessible à heures fixes, vidée de ses habitants au coucher du soleil. Sauf que ce manoir a observé le corps sans vie d'une jeune fille il y a quelques années, pendue à l'un de ces grands arbres paisibles, qui reproduit de nouveau limage macabre. Sauf que les propriétaires ne se montrent pas, spectres ne craquant les vieux parquets qu'au delà des visibles. Sauf que ce manoir renferme des messages qui tombent aux pieds d'Emma...
"Je me précipite pour ramasser les morceaux et les inspecter de plus près. Les deux brosses rectangulaires ne semblent pas avoir souffert de la chute. Je respire un peu et les repose sur la desserte. Puis je saisis la troisième comme sil s'agissait d'un oiseau blessé. J'essaie de reloger la partie métallique qui s'est détachée du manche lorsque j'aperçois un bout de papier plié à l'intérieur. Je le retire par automatisme. Il s'agit d'une note. Une note dont les mots hérissent mon corps de chair de poule
AIDEZ-MOI JE SUIS ENFERMÉE ICI"
Le blanc de la neige vous enserre dès les premières pages, chassant les couleurs qui dissipent la vue, laissant vos autres sens aiguisés, aux abois. Des portraits exhudant tantôt la peur et la tension de muscles bandés autour des mâchoires, tantôt la relâche délicieuse offerte par l'éloignement de l'effervescence des villes, et la proximité d'un groupe d'habitants qui deviennent une famille insulaire, celle d'Emma, mais aussi la vôtre.
Les vies se croisent dans la buée des respirations, et parmi ces vapeurs, celle de Karl, l'enquêteur intervenu au cours de l'enquête de ce meurtre sanglant, cette pendue exsangue, une paire de ciseaux gisant ouverte sur le poitrail, ciseaux eux-mêmes pendus au cou de la pâle endormie, les gros orteils cousus entre eux.
Naviguant entre mythologie viking et folie moderne,
Johana Gustawsson nous offre des émotions dignes d'une lecture de sauna : le chaud et le froid bousculent le lecteur, les moments de douceur devenant progressivement de plus en plus enveloppants, et les temps de douleur de plus en plus cuisants. le café de l'île et sa douce Anneli, le café de
l'île de Yule, tirant son nom du cri poussé par les marins face à un rocher devant cette île. Un cri, comme tant d'autres semblent jaillir de ce manoir inquiétant, depuis lequel nous parle Viktoria, gouvernante attentive et inquiète de l'attitude de la maîtresse de maison sur son fils. Inquiète des sautes d'humeur que ce peu d'occupants laisse résonner dans les espaces vides.
Comme les pas crissant dans la neige, votre esprit est fasciné par les horreurs qui apparaissent peu à peu sous vos yeux. Votre raison voudrait refuser de suivre cette auteur dans cette sphère glacée. Mais Johana suit elle-même Emma, qui poursuit le fantôme de cette femme disparue. Une mise en abîme, toujours. Une illusion d'optique qui vous explose au visage sur les révélations finales. Magistral !