Exil sous le croissant et l'étoile

Une lecture inhabituelle pour moi et bien intéressante : un document historique nazi, très largement enrichi d'autres commentaires et documents (introduction partisane, contextualisation, loi nazie appliquée pour forcer la main aux émigrants, notices biographiques des universitaire évoqués dans le rapport, explication sur le système universitaire turque au 20ème siècle).

Pour le rapport de Scurla, le document en question, il s'agit d'un rapport administratif sur les professeurs (et autres enseignants) en poste dans les université turques, et sur les relations diplomatiques à entretenir pour placer les candidats souhaités par le Reich afin de servir au mieux ces intérêts.

C'est ce deuxième point que j'ai trouvé le plus surprenant et informatif : à quel point la politique a pu se mêler de nomination qui ne les concernent a priori pas - avec succès ou échec comme nous l'apprend le rapport comme les documents joints. Je pense que ces tentatives diplomatique sont nettement plus universelles que nazi et ce témoignage éclairant peut nous permettre d'ouvrir les yeux sur de telles stratégies.

Le point de vue de la présentation est beaucoup celui de la persécution des émigrants allemands - c'est à dire les allemands non soutenus par le Reich qui ont dû trouver du travail à l'étranger. Un des points intéressants que j'ai découvert, c'est que dans les milieux concernés une minorité était juive ou assimilé, beaucoup simplement "non aryen" ou politiquement peu recommandable. On y lit beaucoup de soupçons sur de petites enquêtes de personnalité et peu de fait. On sent la crainte immense du pouvoir d'influence d'intellectuels enseignants. de ce point de vue, je pense que c'est un document qui en apprend énormément sur les manipulations politiques "discrètes" d'un système qui veille très attentivement à ne propager qu'une seule idéologie. On le constate d'autant mieux en mettant les observations de Scurla en parallèle avec les notes biographiques - très complètes ! - fournies.

Ces notes sont très bien faites, je conseille de les lire au fur et à mesure de la lecture du rapport - ce que je n'ai pas fait et je le regrette - pour comparer la vision de Reich à ce qu'étaient effectivement les personnes citées, la déformations obtenue en entendant parlé de réputations, en sautant aux conclusions ou plus simplement l'opinion que l'on se fait avec des opinions très différentes de celles du lecteur. Là encore, je pense que ce double éclairage donne une belle leçon humaniste qui dépasse son contexte historique.

Le contexte est bien expliqué par les divers documents très variés accompagnant le rapport. Certains - notamment les courtes introduction - étant très politiquement connotées il est très amusant d'y voir certaines technique oratoire de manipulations appliquées pour dénoncer dans le sens qui arrange (et qui est le bon cette fois) les techniques oratoire de manipulations utilisées à l'époque.

Ce n'est pas difficile à lire, mais pas palpitant : il s'agit de suggestion de faits, de listes de noms et de postes. Mêmes les documents joints ont pour la plus part une vocation informative factuelle. ce n'est donc pas une lecture détente à dévorer d'un seul coup ! Il va plutôt falloir ouvrir son esprit d'analyse et se mettre dans le peau d'un historien, ce que pour ma part je n'avais pas en,core eu l'occasion de faire à ce niveau et dont je suis maintenant ravie d'avoir fait l'expérience.

J'ai par contre été chagrinée par certains choix éditoriaux. Les différentes notes et références apparaissent à chaque fois à la fin des parties concernées - c'est à dire une centaine de pages plus loin sans marqueur visible. Les notes informatives ne sont d'ailleurs pas différenciées des références dans les renvois, et les notes de l'édition française quand au vocabulaire spécifique sont quant à elles en fin d'ouvrage - mais pas dans les toutes dernières pages non plus. le tout induit énormément de manipulations et nuit à la fluidité de la lecture - qui n'est pas le fort de ce livre, pas étonnant vu qu'il présente un document historique assez aride.

Côté choix réussi en revanche, le livre est particulièrement beau et agréable à manipuler.

Exil sous le Croissant et l'étoile est un recueil de textes autour du rapport Scula sur l'activité des universitaires allemands en Turquie pendant le IIIème Reich. Il contient le rapport lui-même (1939),des témoignages, de courtes biographies des universitaires souvent calomniés par Scula, ainsi que le texte de loi sur la restauration des fonctionnaires du Reich (7 avril 1933), en annexe un article sur les université turques, un glossaire...
Le lecteur accède directement aux sources de l'Histoire, aux documents officiels, aux témoignages contradictoires. Au lecteur de faire une analyse pertinente, d'en tirer les leçons.
Souvent, je dis que L Histoire et les livres d'Historiens ma parlent plus que certains romans historiques trop romancés.
Me voici confrontée à L Histoire, et à une histoire que je connais mal. J'aime lire les historiens "au travail" et le progrès de leurs recherches.
J'ai cru en ouvrant le paquet que je n'arriverai pas à lire ce pensum.
Finalement, L Histoire me parle et je me suis laissée emporter par des faits dont j'ignorais l'existence.

Je ne savais pas l'importance que le Reich accordait à l'existence de ces facultés, écoles techniques allemandes en Turquie. J'ignorais qu'un enseignement universitaire était dispensé en langue allemande à Ankara et Istanbul, je ne me rendais pas compte de l'importance économique du commerce induit par ces enseignants (produits phytosanitaires, chimiques, textiles....) . parallèlement je ne connaissais pas l'importance de l'émigration allemande en Turquie : juifs - suivant le trajet antique des Juifs espagnols- mais aussi communistes ou autres persécutés, protestants....
Ce rapport pointe la surveillance tatillonne des nazis qui poursuivent leurs opposants jusqu'en Turquie, dénigrant leur travail ou cherchant à appliquer les lois raciales jusque dans les instituts universitaires turcs.

Ce rapport daté de 1939 a encore des implications actuelles qu'il serait bon de rappeler dans les liens entre la Turquie et l'Europe. Il raisonne aussi dans une optique historique beaucoup plus large, comme l'accueil des Juifs dans l'empire ottoman comme dans la Turquie moderne qui lui a succédé.
Je remercie Babélio et les éditions Turquoise de m'ovoir fait découvrir ce livre Je tiens à signaler la qualité d'édition des ces livres, belle couvertures et illustrations.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..

Il s'agit du troisième livre des éditions Turquoise que j'ai la chance de lire.

Comme dans les deux ouvrages précédent l'ouvrage est très bien fait.

Cette lecture était très inhabituelle pour moi : le travail documentaire est incroyable, et le résultat est impressionnant. Nous sommes très loin des docu fiction traditionnels.

Cette période (dont le rapport retrace les faits) est en effet méconnue de nous, mais également de nombreux turcs.

Un énorme pincement au coeur quand on voit que par le passé ce pays faisait preuve de plus de liberté et plus "d'accueil" que ce que le gouvernement actuel à mis en place.

Ce livre est très intéressant j'ai eu du mal à trouver le temps d'être concentré durant sa lecture, mais encore une fois le résultat est très bien.

Merci à Babelio et aux éditions Turquoises.