Que font
nos âmes la nuit ? Que font nos âmes pour traverser le fleuve inquiétant de la nuit, pour passer de la rive du soir à la rive de l'aube ? Au mieux, sont-elles emportées par le clapotis des rêves, bercées par la cascade de l'amour, parfois entaillées par les roches noires des cauchemars, noyées par les larmes des regrets, en tourbillon dans les souvenirs s'élèvant tels des cailloux à fleurs d'eau, trempées par la sueur de l'insomnie, glacées par les fantômes, gelées par la mort, tapie, qui rôde.
Que font
nos âmes la nuit lorsque nous sommes confrontés à la solitude, celle du petit enfant dans une famille en crise ou celle de la personne âgée devenue veuve ? Ces âmes-là ont-elles dans leurs bottes des montagnes de questions où surgissent encore leur égo…mentent-elles effrontément ? S'en lavent-elles les mains ?
Le remède pour la vaillante Addie, veuve de 75 ans, est d'oser aller voir son voisin, Louis, également septuagénaire et veuf, pour lui faire une proposition. Elle lui demande de venir chez elle de temps en temps pour dormir avec elle. Pas une question de sexe, le rassure-t-elle, pas une question d'amour non plus, mais histoire d'avoir quelqu'un à ses côtés pour passer ce cap si difficile de la nuit, de partager une complicité, une forme d'intimité et de tendresse faite de discussions, de présence, de silence complice, de mains qui se serrent. Une façon d'apaiser leurs âmes respectives. Une façon d'allumer une veilleuse, pour cette traversée. de retrouver ce moment important, le rituel du coucher, comme pour les enfants, qui, de même, ont besoin qu'on leur raconte une histoire. Se moquant des ragots, des rumeurs, habituelles dans cette petite ville de banlieue où tout le monde se connait, dans cette Amérique puritaine, Louis tous les soirs va retrouver Andie, son pyjama et sa brosse à dent dans un sac.
De ce petit rituel sage, empreint de discussions, de découvertes, de gestes tendres qu'ils vont peu à peu réapprendre, retrouver, de respirations rassurantes, va émerger une forme d'amour, un amour serein, simple, basé sur la volonté de faire un petit bout de chemin ensemble. Un amour qui dépose un peu de rose aux joues et qui redonne goût à la vie. Un amour qui repousse la mort, qui éloigne l'assèchement des corps et des esprits, qui donne de nouveau des changements et des émotions fortes. Un amour qui permet d'aller à deux en pleine nature et de gouter ensemble quelques bonheurs simples : « Louis retira sa chemise, son pantalon et son caleçon puis alla les déposer sur l'herbe. Revenant dans l'eau, il s'inonda le corps et s'assit dans le ruisseau. Bon, si tu veux jouer à ça. Addie ôta sa robe par le haut, retira ses sous-vêtements et s'accroupit dans l'eau fraîche à côté de lui. Et puis je m'en fiche si quelqu'un nous voit, décréta-t-elle. Ils demeurèrent face à face avant de s'allonger dans l'eau, tous deux très pâles à l'exception de leurs visages, leurs mains et leurs bras. le ventre un peu trop plein, ils étaient rassasiés, comblés. Ils sentaient le courant qui faisait glisser de petits doigts de sable sous leurs corps. »
Un très beau roman, rare, où
Kent Haruf met à l'honneur, avec pudeur et délicatesse, l'amour des personnes du troisième âge. J'ai été happée par la grâce et la lumière de ce récit. Par sa bonté. Lu d'une traite. Je finis avec quelques larmes aux yeux.