Livre très décevant, pas particulièrement cohérent ni très profond, dans un style assez loufoque, peu importe si cela sort de la plume de Saint
Hemingway. L'histoire, largement inspirée par l'engagement volontaire de l'auteur sur le front italien durant la 1ère Guerre mondiale, se décline globalement en trois grands ensembles : la blessure du narrateur et sa convalescence à Milan en charmante compagnie, le retour au front et la débâcle, et la fuite en Suisse où a lieu l'accouchement de sa douce.
De ces trois parties, c'est vraiment celle du milieu qui m'a le plus plu (ou le moins déplu), notamment une scène particulièrement marquante de cour martiale expéditive pour les officiers fuyards. J'ai plutôt apprécié la représentation de la guerre à l'échelle d'une toute petite unité, prise entre deux feux, pour qui les « amis » sont autant voire plus dangereux que les « ennemis ». Très intéressant de voir le côté désabusé de ces soldats sevrés de tout chauvinisme par l'étendue des pertes, qui n'ont plus d'autre ambition que de rentrer chez eux, même si on leur prête régulièrement des intellectualisations pas très crédibles et surtout pas très profondes (« Je hais la guerre ! » T'as trouvé ça tout seul, mon grand ?). Pour les deux autres parties, on passe son temps à essayer de cerner ce narrateur tantôt débrouillard, compétent, dévoué en amitié, tantôt insupportable, mufle et égoïste. En même temps, sur le papier, c'est une bonne chose qu'il soit aussi complexe et pas un archétype de vertu ou de vice, mais dans les faits, il y a une vraie dissonance entre l'officier dynamique, fiable, assez sensible qui prend en charge le récit et le sombre c*nnard qui prend en charge les dialogues.
Je dois faire un sort à la romance présentée dans ce livre. Catherine, l'autre personnage central, est une « Marie-couche-toi-là » complètement excentrique et ambivalente, gaga de son Américain, qui se perd en « tu es tellement gentil avec moi » les quelques rares fois où il se comporte normalement, et qui s'inquiète à chaque page de savoir si elle est « une bonne petite femme » pour lui. D'où sort l'histoire d'amour qui vient se superposer à l'histoire de guerre ? En l'espace de quelques lignes, Catherine passe d'une conquête de plus (à qui le narrateur dit « je t'aime » sans le penser, grand classique) à LA femme de sa vie ; et entre temps, zéro explication ! Zéro description d'une évolution de l'état d'esprit du narrateur qui permettrait de concevoir l'origine de cette affection subite. Rien, donc, de toutes les circonvolutions qui font l'essence du roman sentimental : hier c'était comme ça, maintenant c'est comme ça, et puis voilà ! Et cela se termine par le mélodrame attendu de la grossesse qui se passe mal, histoire de faire pleurer dans les chaumières avant de fermer le livre, ça ne sert à rien mais ça fait toujours son petit effet. Complètement caricatural, complètement gratuit. Franchement, donner plus largement la préférence au récit de guerre et faire de Catherine un personnage totalement secondaire aurait, je pense, rendu quelque chose de beaucoup plus intéressant.
Il faut que je dise un mot sur cette écriture vraiment particulière, qui fait la part belle aux dialogues, et qui se caractérise principalement par le procédé de la répétition. Un personnage peut répéter jusqu'à cinq fois mot pour mot la même phrase, la même information, la même proposition, à deux-trois répliques d'intervalle, au point qu'on se demande pourquoi le narrateur ne sort jamais la seule réplique crédible en l'occurrence : « non mais merci, vous l'avez déjà dit, j'ai compris maintenant ! ». On se croit parfois dans une pièce d'
Ionesco. Tous parlent exactement pareil, dans une indistinction totale des caractères que seul un trait récurrent par personnage vient nuancer. Exemple le plus frappant, le sourire tantôt reconnaissant, tantôt résigné de l'aumônier, c'est à se demander pourquoi le narrateur ressent le besoin de préciser systématiquement qu'il sourit puisque c'est apparemment toujours le cas. Quelques scènes assez savoureuses, cela dit, notamment le rapport au style indirect libre des conversations de potes bourrés, mais globalement, on cogite pour trouver les passages qui ne sont pas pénibles. Disons les descriptions, allez, les descriptions de paysages sont bien, effectivement …
Un livre dont je ne comprends pas le succès, dans la mesure où je n'ai clairement pas vu de fil directeur, où les rares prises de position s'étouffent dans les bons sentiments, et où le récit ne s'embarrasse absolument pas de rendre crédibles ses personnages et ses dialogues.