Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour…
Les livres sont des voyages immobiles parfois étonnants. Je viens de vivre une véritable douche écossaise car du Mexique au Japon, il n'y a qu'un pas en littérature.
Alors que mon précédent livre était en effet mexicain («
Sauver le feu » de
Guillermo Arriaga) marqué du sceau pimenté de la passion amoureuse et de la violence extrême, ce polar japonais de
Keigo Higashino a ce côté feutré, subtil et délicat caractéristique de la société nippone. Aucune effusion de sang, aucune course poursuite ni coup de feu, aucune bestialité, aucune scène de sexe, et pourtant meurtre il y a et passion amoureuse ultime il y a.
Ce ne sont ici pas les pulsions qui règnent en maitre et dictent les comportements, mais la logique et la psychologie, une logique diabolique, une psychologie fine, qui orchestrent cette histoire dans laquelle nous connaissons dès les premières pages le coupable. Ainsi, un peu comme Columbo, nous allons petit à petit, énigme après énigme, comprendre le modus operandi du coupable pour tenter de brouiller les pistes. C'est un roman policier tout en finesse et en délicatesse. Avec une fin extrêmement poignante, dramatique et grandiose qui m'a touchée en plein coeur.
Pour protéger sa fille Misato, Yasuko étrangle son ex-mari qui ne cessait de les harceler, venant chez elles à l'improviste et quémandant toujours de l'argent. Ce crime imprévu, perpétré dans leur appartement, les terrifie et, lorsque leur voisin de palier, Ishigami qui a tout entendu et qui a deviné ce qui s'est passé, propose de les aider à faire disparaitre le corps, elles acceptent avec un certain soulagement. Elles suivent à la lettre ce que leur indique de faire et de dire ce brillant professeur de mathématiques en qui elles ont toute confiance.
Pour Ishigami c'est une façon inespérée d'approcher la belle Yasuko dont il est profondément amoureux, secrètement amoureux cependant tant il ne se sent pas à la hauteur avec son physique sans charme, corps trapu et grosse tête cachant de tout petits yeux. C'est un vieux garçon qui ne cesse de faire des mathématiques s'attelant inlassablement à résoudre un problème mathématique auquel il voue sa vie. Seules ses venues quasi quotidiennes chez le traiteur où travaille Yasuko pour aller acheter son bento pimentent quelque peu sa vie, brefs éclats de lumière dans sa vie morne qu'il cache sous une apparence d'impassibilité.
Quand le cadavre est découvert à quelques kilomètres de l'immeuble, les policiers trouvent rapidement l'identité de la victime malgré son visage broyé, ses bouts de doigts brûlés, ses vêtements rapidement calcinés, comme si on avait voulu masquer son identité. Il s'agit bien de l'ex-mari de Yasuko. La femme devient le suspect principal, sauf qu'Ishigami a tout prévu, la mère et la fille disposent d'alibis en béton armé. Les policiers n'y voient que du feu.
Mais cette machinerie bien huilée va se gripper grâce à la perspicacité du physicien Yakawa, ami de l'inspecteur Kusagani chargé de l'enquête, et surtout ancien camarade d'Ishigami, partageant tous deux, il y a des années de cela, les mêmes bancs à l'Université. le physicien connait le génie du mathématicien et comprend sa manière de fonctionner, admiratif de cette intelligence pure dont le cerveau fonctionne tel un engrenage implacable.
Yukawa comprend notamment que le mathématicien a mené les policiers par le bout du nez, les amenant à se focaliser sur les alibis qui deviennent très vite des impasses, des culs-de-sac dont ils repartent aveuglés, prisonniers.
« Qu'est-ce qui est le plus simple, trouver la solution d'un problème, ou vérifier la solution trouvée par quelqu'un d'autre ? ».
« Si une personne médiocre cherche à réaliser une opération de camouflage complexe, elle creusera sa propre tombe en recherchant la complexité. Une personne géniale ne tombera pas dans ce travers. Elle arrivera à résoudre le problème extrêmement complexe en sélectionnant une méthode très simple qu'une personne normale n'utiliserait certainement pas ».
La beauté feutrée, la justesse, la grande maîtrise enveloppent ce livre tant dans le scénario, que dans les dialogues percutants et sans emphase, mais surtout dans les silences et les non-dits, dans la retenue qui colore l'amour et l'amitié. Tout est délicat, serein, même quand l'ignoble est décrit, même quand l'amour se fait sacrifice. Jusqu'au cri final, animal, qui nous fauche…
Notons que la plus grande beauté dans ce livre provient des mathématiques-même qui sont ici au service du romantisme le plus pur qui soit.
Dans ce polar japonais d'une très grande et belle finesse,
Keigo Higashino nous mène par le bout du nez. le lecteur est comme dans un jeu d'échec dans lequel l'auteur aurait plusieurs coups d'avance sur nous. Et surtout, il procède lui-même comme le mathématicien Ishigami : en nous faisant croire que nous tenons entre les mains uniquement un polar à énigme, nous découvrons en réalité qu'il s'agit ni plus ni moins d'une histoire d'amour fou, d'une histoire d'amour sacrificielle inconcevable. du grand art !
J'ai bien entendu d'autant plus hâte de découvrir les deux autres tomes de cette trilogie consacrée aux enquêtes du commissaire Kusagani associé au physicien Yakawa. Un grand merci à Eric (@Casusbelli) qui se fait éclaireur dans cette lecture chronologique des livres de cet auteur japonais qui avait reçu le prix du Polar international de Cognac pour La maison dans laquelle je suis mort autrefois et le prix Naoki pour celui-ci !