[Alerte spoilers ! Je ne vais pas pouvoir m'empêcher de décortiquer tout le roman.]
L'Assassin royal est un série emblématique de la fantasy des années 90-2000. Cycle au long court, composé de plusieurs trilogies, certaines ayant un lien chronologique et d'autres ayant de nouveaux personnages et une nouvelle intrigue, c'est une saga-fleuve dont la dernière pierre est la trilogie le Fou et l'Assassin (en VO, The Fool and the Fitz).
Vous l'aurez deviné : c'est DENSE. L'univers est pourtant très basique : pas de faune et de flore exotiques, pas de nains, d'elfes ou d'ogres. L'histoire prend corps dans un cadre très réaliste, et hormis les quelques rares magies en activité, on pourrait se croire dans un roman historique se déroulant au Moyen-Âge.
Ce qui est dense, voyez-vous, ce sont le nombre et la complexité des personnages. Ce sont eux qui font toute la richesse du roman. Aucun n'est stéréotypé – sauf Royal. Tous entretiennent des relations riches – sauf Royal ; parce qu'il fallait un exutoire, je suppose.
Les réfractaires au genre de la fantasy pourraient s'exclamer que ça manque d'originalité. Sauf que l'intérêt de l'histoire n'est pas tant ce qu'on raconte que COMMENT on le raconte. Fitz, le personnage principal, est aussi le narrateur – un narrateur plus âgé qui revient sur les événements de sa jeunesse. Au début, il a six ans. Limité dans ses actions à cause de son âge, il est cependant doté d'un grand sens de l'observation et de beaucoup de sensibilité. Fitz est très introspectif : il essaye de se comprendre et de comprendre les autres, et grâce à son regard, c'est toute la société de Castelcerf qu'on va découvrir. Enfant bâtard d'un père déchu, personne ne fait attention à lui. Il peut donc tout entendre et tout voir.
Et Fitz grandit, lentement mais sûrement. C'est alors que l'inimitié qui règne entre lui et son oncle Royal incite son grand-père (le roi Subtil) à lui faire jurer allégeance à la famille régnante : les Loinvoyant. En échange du gîte et du couvert, Fitz va devoir se rendre utile… en devenant un second couteau. (Le pire emploi pour un enfant d'une telle sensibilité, mis qui suis-je pour contester les décisions royales ?)
Mais il y a plus grave : le jeune garçon réalise qu'il est détenteur d'une magie interdite, le Vif. Son esprit peut se mêler à celui des animaux, sentir la présence des êtres vivants, ou encore connaître leur état d'esprit sans les voir. On dit que cette magie, trop employée, ramène son porteur au rang d'animal. Mortifié par les violentes remontrances de Burrich, le jeune garçon s'emploie à cacher ce don inné. Il est donc doublement paria.
J'ai souvent reproché à Fitz d'être beaucoup trop plaintif, mais si on prend en compte sa jeunesse, son attitude est très compréhensible. Rabaissé, écarté, isolé, méprisé, il est normal qu'à l'adolescence il essaye de tirer la couverture à lui. Qu'il ne dise pas à Molly qu'il est le Bâtard. Qu'il fasse beaucoup de reproches à ses maîtres, Burrich et Umbre. Qu'il agisse parfois de manière inconséquente, voire irrationnelle.
Fitz interagit avec les Loinvoyant, mais aussi avec les serviteurs du château et les habitants de Bourg-de-Castelcerf. Cela fait beaucoup de monde, pourtant on n'est jamais perdu ! Chaque personnage est suffisamment caractéristique pour être reconnaissable, et je ne résiste pas au plaisir de vous faire une petite présentation :
Burrich : maître des écuries, il fut l'homme lige de Chevalerie, prétendant au trône. Mais son maître a abdiqué quand l'existence de Fitz fut révélée. Il est le mentor principal du héros, c'est un homme bourru, maladroit, porté sur la boisson, extrêmement exigent – mais juste. Avec lui, Fitz apprend à s'occuper des chevaux, des chiens et de faucons du roi. Burrich apparaît comme un personnage antipathique au début de l'histoire à cause de l'épisode Fouinot, mais on apprend très vite à l'aimer. C'est un personnage loyal, honorable et au passé douloureux.
Umbre : second professeur de Fitz. Sur demande du roi Subtil, il lui enseigne l'art de l'assassinat, l'étiquette et le savoir-vivre. C'est un homme mystérieux, décrit comme ayant des yeux aussi verts que ceux d'un chat et la peau grêlée – mais à cause de quoi ? Est-il le Grêlé, ce personnage de légendes qui sème la mort autour de lui ? J'aurais bien aimé, mais ce n'est pas le cas^^ Quand il était jeune, il a juste bêtement fait exploser un objet combustible près de son visage. À force de le fréquenter, Fitz réalise qu'il ne lui dit pas tout. Pis : qu'il lui cache des choses qu'il considère comme essentielles. Comme leur lien de parenté : Umbre est le demi-frère de Subtil, donc le grand-oncle de Fitz, bâtard tout comme lui. Ce qui n'empêche pas les deux de s'aimer beaucoup
Geairepu : scribe de la cour, c'est la première personne à reconnaître les qualités de Fitz – au point de vouloir le prendre en apprentissage. Ce détail est suffisamment important pour devoir le noter, car Fitz passe son enfance à être rejeté par les enfants comme par les adultes. Il est dénigré à peu près jusqu'à l'adolescence – ça m'a révoltée plus d'une fois.
Vérité : frère de Chevalerie et donc oncle de Fitz. Comme son nom l'indique, il est franc et loyal, incapable de dissimuler ou de manipuler. C'est un bon soldat, mais un mauvais prétendant au trône. Lorsque les côtes des Six-Duchés se font assaillir par les Pirates rouges, il consacre son entière énergie à les repousser à l'aide de l'Art – magie de la famille Loinvoyant, puissante mais addictive. Malheureusement, le peuple ne se rend pas compte des sacrifices de son roi-servant, et sa popularité décroit. Dans la famille Loinvoyant, il est le seul à lui témoigner une franche affection.
Royal : demi-frère de Vérité et Chevalerie, il est le produit du second mariage de Subtil. Hautain, orgueilleux, manipulateur, mesquin, déloyal et lâche, il est aussi profondément hostile à Fitz, qu'il voit comme un potentiel obstacle. Sa mère, la reine Désir, se considérait de meilleur lignage que son propre mari puisque ses deux parents sont Loinvoyant. Elle lui a transmis l'idée qu'il est la personne la plus qualifiée pour accéder au trône. En plus de cela, il entretient une jalousie profonde et malsaine envers ses deux aînés, dont il convoitait les jouets, les activités, et maintenant la couronne. Cerise sur le gâteau, il estime que son père est responsable de la mort de sa mère, décédée des suites d'une overdose des plantes hallucinogènes qu'elle adorait consommer. Royal n'a donc absolument aucune qualité et est le personnage le plus faible de la saga.
Molly : surnommée Brise-Pif, c'est une amie d'enfance de Fitz, avec lequel elle faisait les quatre cents coups dans les rues de Bourg-de-Castelcerf. On sent une attirance mutuelle naître entre eux, inavouée et inavouable, mais leur amour est compromis par les secrets que Fitz accumule. Incapable de faire confiance, doté d'une très mauvaise estime de lui-même, il a la fâcheuse habitude de taire les vérités qui le dérange dans l'espoir qu'elles disparaissent. Molly a horreur de cette lâcheté et exige de Fitz qu'il se prenne en main. Quelques fois elle le met à l'épreuve dans l'espoir qu'il lui prouve son amour et sa volonté, mais il échoue systématiquement. Et elle échoue systématiquement à renoncer à lui. Cette faiblesse lui vaudra de tomber enceinte, de devoir se cacher de la cour et d'accoucher dans le plus grand des secrets d'une petite fille. Elle l'élève et la nourrit avec l'aide de Burrich, qu'elle finit par aimer, persuadée que Fitz est mort.
Patience : femme de Chevalerie. Excentrique et maladroite (physiquement et socialement), franche et bienveillante, elle aime beaucoup son beau-fils mais ne sait pas comment le lui montrer sans l'embarrasser. Souvent, elle le convoque dans ses appartements afin qu'ils passent du temps ensemble – moments de supplice pour Fitz, qui s'ennuie odieusement ; moments de gêne pour elle qui essaie de se rapprocher de lui sans y parvenir. Et pour cause : elle est encombrante ! C'est elle qui houspille le roi Subtil pour lui donner une éducation digne d'un prince. J'ai adoré le développement de ce personnage. Elle découvre que l'homme qu'elle aimait a un bâtard, ils s'exilent tous deux loin de la cour, elle perd son mari, revient à Castelcerf pour protéger son beau-fils, endure l'ambiance de la cour, qu'elle ne supporte pas, assiste aux bouleversements de la guerre des Pirates et à la mort de personnages d'importance, perd Fitz, auquel elle s'était beaucoup attachée, organise la résistance de la côte face aux attaques, décide de prendre en main la direction de Castelcerf en l'absence des personnes compétences, devient un chef militaire accompli et réussi à tenir le pays jusqu'au retour de Vérité. Je m'incline.
Brodette : femme de confiance de Patience, surnommée ainsi parce qu'elle est toujours occupée à broder quelque chose. Cette activité n'est qu'une façade pour cacher son second talent : le combat rapproché.
Subtil : comme son nom l'indique, il est difficilement cernable. Son rapport avec Fitz est ambigu : il le respecte et le traite convenablement, mais se défie de lui, le voit comme une potentielle menace pour ses enfants – raison pour laquelle il le garde si près de lui. Royal est son fils préféré, celui à qui il passe tout, au grand dam de Fitz et de Vérité. Mais cette affection se verra trahie lorsqu'il tombera malade et se rendra compte qu'il a été empoisonné par son favori. C'est une des raisons pour lesquelles tous deux finiront par se rapprocher.
Le Fou : personnage très sibyllin, peu réputé pour sa causerie (lorsque Fitz annonce à Umbre qu'il lui adresse la parole de temps en temps, ce dernier est extrêmement surpris). Les origines du Fou sont obscures : on dit qu'il a incontestablement du sang humain dans les veines, mais sa dépigmentation et sa capacité à deviner l'avenir témoignent d'une autre ascendance. Une chose est sûre, il ne descend pas de l'Autre peuple, puisqu'il n'a pas les pieds et les mains palmés et qu'il n'a pas peur des chats. Mais qui, alors ? Et pourquoi fait-il le bouffon à la cour de Castelcerf ? Comment est-il arrivé jusqu'ici ? le Fou est sans conteste mon personnage préféré. Ses répliques sont excellentes, son courage est magnifique, son optimisme est stimulant, son intelligente est
Galen : cinquième maître de Fitz (après Burrich, Geairepu, Hod pour le maniement des armes, et Umbre), il est chargé d'apprendre l'Art à plusieurs adolescents plus ou moins proches de la famille royale afin de constituer un clan d'artiseurs capables de soutenir l'effort de Vérité. On dit de lui qu'il vénérait Chevalerie et qu'il voue une haine au moins aussi forte à Fitz. Ses méthodes d'apprentissage sont brutales et injustes, à tel point qu'il saccage le talent de son élève ainsi que son esprit. Fitz mettra des mois, voire des années à se remettre de ses mauvais traitements. Physiquement, il est décharné et toujours vêtu de noir. Il prône une vie d'ascète, méprise la bonne chère et les bavardages, oblige ses élèves à suivre son mode de vie dans le but de détruire leurs barrières psychiques. Pour couronner le tout, il est déloyal : son allégeance ne va qu'à Royal, dont il est le demi-frère du côté maternel. C'est ainsi que Fitz découvre qu'il a joué un rôle dans la mort du roi Subtil.
Sereine : comme Fitz, elle était le bouc émissaire de Galen, qui n'avait que mépris pour la gent féminine. Cependant, elle finit par développer une forme du syndrome de Stockholm et par le vénérer. À tel point qu'après sa mort (qu'elle attribue à Fitz), elle met tout en oeuvre pour lui ressembler physiquement et mentalement. La haine de son maître à l'égard du Bâtard lui a aussi été transmise, évidemment.
Kettricken : femme de Vérité. Née dans les Montagnes, fille de l'Oblat (c'est-à-dire, du roi), elle est arrivée à Castelcerf à la fin du premier tome.
Tous les personnages ont du bon et du mauvais en eux. Sauf Royal, qui est pourri jusqu'à la moelle. Non seulement il est l'ennemi principal du héros, mais il est aussi égocentrique, prétentieux, incompétent et mesquin. Tous les défauts du monde sont concentrés dans sa petite personne – c'est d'ailleurs surprenant de voir qu'ils arrivent à tous tenir en lui. Il n'a absolument AUCUNE qualité, et c'est ce que je regrette.
Viennent s'ajouter à cela l'environnement culturel des Six-Duchés : la tradition de nommer les membres de la noblesse en fonction de la qualité qu'on voudrait leur voir attribuer (Subtil, Vérité, Prudence, Chevalerie…), les fêtes, les relations avec les autres pays (les Montagnes, Calchède, Jamaillia, Terrilville…), les légendes autour d'êtres fantastiques appelés « Anciens », les légendes sur les rois de l'ancien temps (Sagesse, mais aussi Preneur, le créateur de la lignée Loinvoyant, ou encore Pie, le prince au Vif).
Et avec tout ceci, je n'ai même pas eu le temps de parler de la véritable intrigue ! Les Pirates rouges sont de plus en plus menaçants pour les côtes. Ils détruisent villes et villages sans rien emporter, simplement pour le plaisir. Pire : il semblerait qu'ils soient capables, par un moyen qu'on ignore, de « forgiser » leurs victimes (c'est-à-dire, de leur ôter tout sentiment humain). Une mère forgisée pourrait dévorer son nourrisson sans sourciller. Les forgisés pillent, tuent, volent comme des animaux doués de langage ; et ce sort est encore plus terrifiant que la mort.
C'est une saga incroyablement riche et prenante. Ça faisait trois ans que j'avais ce premier tome sur mes étagères sans oser me lancer, et je suis contente d'avoir finalement franchi le pas ! Quelques longueurs ralentissent la narration, mais ce n'est rien à côté de toutes ces qualités.
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