Youhou,
Houellebecq is back !
Après des mois d'attente et quelques passages infructueux à la médiathèque, me voici enfin en possession du précieux bouquin, dans son élégante édition "de luxe", s'il vous plaît ! Reliure soignée et couverture rigide, tranchefile et signet rouge en guise de marque-page, format harmonieux respectant le nombre d'or quant au rapport hauteur/largeur : un bien bel objet, donc.
Et le contenu alors ?
Ben là je vais vous surprendre (ou pas) : c'est du
Houellebecq !
Toujours ce total désenchantement, ce goût immodéré pour la provoc et cet étrange rapport au sexe, au déclin, à la mort.
Toujours la même peinture morose d'une société au bord de l'effondrement, toujours ce ton mi-cynique mi-blasé pour pointer tous azimuts la médiocrité culturelle et spirituelle de l'époque, le délitement de l'Occident et des repères traditionnels, l'immigration galopante, l'impuissance ou la vacuité des hommes de pouvoir.
Cette fois pourtant - et c'est assez rare pour être signalé - on voit poindre un semblant de tendresse de l'auteur envers certains de ses personnages, auxquels ils accordent quelques qualités morales et même de brefs instants de répit, de consolation, (de bonheur ?) au cours de leur insignifiante existence, par ailleurs réduite à une morne et brève reptation vers le néant.
Dans cette très légère anticipation,
Houellebecq nous transporte dans la France de 2027, année d'élection présidentielle, où nous attend Paul Raison, haut fonctionnaire au
Ministère de l'Economie et des finances.
Paul travaille avec application au service de son ministre, un certain Bruno Juge (le clone de l'actuel locataire de Bercy, décrit comme l'homme fort du gouvernement, particulièrement compétent et investi). Il partage ainsi son temps entre les affaires de l'Etat (perturbées par une mystérieuse menace d'attentats internationaux qui à mon sens ne présente pas vraiment d'intérêt et alourdit inutilement le roman...), la campagne électorale et diverses complications familiales, alimentées notamment par l'état de santé de son père, les déboires professionnels de sa soeur et le marasme conjugal de son frère victime d'une épouse perverse et manipulatrice.
Autant de sujets, bien sûr, qui permettent à
Houellebecq d'exposer son point de vue, dans le style direct et fluide qu'on lui connaît, sur différents pans de notre société moribonde.
Il dresse cependant en la personne de Paul (nouvel avatar de l'écrivain ?), un portrait un peu plus nuancé que d'habitude, et trouve le moyen d'offrir à son héros la joie d'une seconde chance en ressuscitant de manière plutôt originale une histoire d'amour que l'on pensait définitivement enterrée.
Lumière fugace mais bienvenue dans un ciel uniformément gris !
Entre les tractations politiques, la dénonciation de la maltraitance ignoble infligée aux résidents des EHPAD, la misère sexuelle et affective à laquelle serait confrontée une part grandissante de la population, voilà que peu à peu se dessine pour Paul un autre horizon, une harmonie possible, l'espoir d'un couple revigoré et solide comme au premier jour qui donnerait enfin du sens à l'existence.
Hélas l'éclaircie est de courte durée...
La dernière partie du livre relate en effet un combat aussi poignant que désespéré : celui livré par Paul contre un cancer fulgurant de la mâchoire et de la langue.
Pris par l'émotion, j'avoue avoir eu bien du mal à lire certains chapitres, sans doute les plus sensibles et les plus mélancoliques qu'il m'ait été donné de trouver chez
Houellebecq.
Voilà pour l'essentiel ... mais il y aurait encore tant à dire sur ce livre très dense ! Peut-être aurait-il mérité quelques coupes ? Je pense par exemple aux passages longs et répétitifs consacrés aux récits des rêves de Paul (j'ai vite abandonné l'idée d'en comprendre le sens caché !), ou encore à une scène pornographique particulièrement dérangeante. Je pense enfin, évidemment, à la fameuse intrigue parallèle sur cette sombre affaire de terrorisme qui ne mène nulle part et que l'auteur semble d'ailleurs avoir abandonné en cours de route.
Ces quelques réserves mises à part,
Anéantir m'est donc apparu comme un roman très fort et très abouti, typiquement "houellebecquien", mettant toutefois en scène des personnages plus humains qu'à l'accoutumée. Sans être excessivement sympathiques (faut pas pousser !), ils ont pour une fois de quoi émouvoir et nous rappellent que, parfois, l'amour sauve.
Les aficionados du génial visionnaire vont adorer, et les contempteurs de l'imposteur dépressif continueront à le trouver inexplicablement surcoté.
En bref, voilà un livre qui ne fera sans doute pas bouger les lignes entre les deux camps, mais qui invite à bien des analyses et qui, sans doute, fera encore couler beaucoup d'encre.