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EAN : 9782012170391
411 pages
Hachette Livre BNF (01/04/2013)
5/5   1 notes
Résumé :
Les confessions : souvenirs d'un demi-siècle 1830-1880. Tome V / Arsène HoussayeDate de l'édition originale : 1885-1891Le présent ouvrage s'inscrit dans une politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature Française mise en place avec la BNF.HACHETTE LIVRE et la BNF proposent ainsi un catalogue de titres indisponibles, la BNF ayant numérisé ces Œuvres et HACHETTE LIVRE les imprimant à la demande.Certains de ces ouvrages reflètent des courants de... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
— Je viens déjeuner avec M. de Balzac.

― En êtes-vous bien sûr, monsieur ?

— Comment ! Je n'en doute pas, à moins que M. de Balzac ne déjeune pas.

Le bonhomme avait l'air fort contrarié : j'allais le déranger et j'allais déranger son maître.
Il me fit entrer dans la salle à manger, non pas sans doute parce que je venais pour déjeuner, mais parce que le salon, pareil au salon de ces dames du demi-monde, attendait encore les miracles du tapissier.

Rien sur les murs, rien aux fenêtres, mais Balzac avait écrit lui-même sur les panneaux : « Là un Raphaël ; ici un Titien. » Tous les panneaux étaient couverts de chefs-d'œuvre imaginaires, dont Balzac parlait avec une foi robuste comme s'il les voyait tous les jours.

C'était le chaos par les livres et les journaux, par tous les matériaux de la Comédie humaine, ce monument ! Balzac se contentait de ce capharnaüm pour son cabinet de travail.

Au bout de quelques minutes, le grand romancier parut, à peine réveillé, dans sa fameuse robe de moine, cheveux ébouriffés, pantoufles chinoises rôties par le feu.

— Ah ! je suis charmé de vous voir ! Nous allons déjeuner ; mais je vous préviens que je ne déjeune pas comme un moine.

― Je déjeunerai comme vous ; le déjeuner pour moi n'est pas une affaire d'État, il m'est arrivé plus d'une fois de ne pas déjeuner du tout.

― Vous avez raison de ne pas vous attarder à table le matin, quiconque déjeune sérieusement à Paris n'arrive à rien. L'homme de génie ne déjeune guère : Napoléon restait dix minutes à table quand il ne déjeunait pas debout.

Hélas ! j'avais une faim de loup ce jour-là. Tout ce que me disait Balzac aiguisait encore mes dents. Son pâle serviteur arriva, apportant sur un grand plat de Chine, six grappes de raisin et quatre petits pains d'un sou.

— À la bonne heure, dis-je à Balzac, « vous aimez les belles porcelaines, c'est déjà un régal. »

— N'est-ce pas ? Par malheur, mes gens me cassent tout ; voyez plutôt, celui-ci nous a servi des assiettes ébréchées.
Le serviteur avait pris dans le buffet je ne sais quelle faïence ornementée à la française, vers 1830, quand il n'y avait plus un atome d'art dans l'industrie.
Cependant je me disais :

— Voilà le dessert, mais le déjeuner ? Or, le déjeuner c'était le dessert.

Balzac me fit signe de me mettre à table ; il se plaça pompeusement en face de moi en me disant de l'air le plus aimable du monde : « Si vous êtes un gourmand, parlez ! je vous enverrai chercher une poularde ou un perdreau. »
J'allais dire oui pour le perdreau, mais Balzac me coupa mon appétit :

— Un poète comme vous ne doit vivre que de l'air du temps... Vous voyez bien ces jolis verres de Venise que m'a donnés la duchesse de Duras, vous y boirez le meilleur vin de Chypre.
Disant ces mots, Balzac me versa de l'eau, après quoi il me passa les raisins.

— Une seule grappe ? vous avez droit à trois grappes, mon hôte.

Il renversa le plat sur mon assiette et ne garda pour lui que les trois grappes les plus légères.
Et nous voilà gaiement à ce déjeuner fastueux.

— N’est-ce pas que mon vin de Chypre est bon ? Il m'a été donné par un arrière-petit-fils de doge, un Contarini. Vous verrez quand vous serez célèbre, vos lecteurs vous enverront les meilleurs vins ; moi, j'ai du Johannisberg, j'ai du vin de Champagne, j'ai du vin de Malaga, j'ai de tous les vins hormis du vin ordinaire. C'est bien simple, on me donne les grands vins et je n'ai pas de quoi acheter le vin du cabaret.

— Monsieur de Balzac, je ne doute pas que votre vin de Chypre ne soit délicieux, mais nous n'en avons pas encore bu ?

— Voyez ma distraction, dit Balzac en allant lui-même au buffet, « j'étais convaincu depuis dix minutes que nous buvions du vin de Chypre. »
Telles étaient les illusions de Balzac qu'il avait cru vraiment que nous buvions du vin de Chypre tout en nous versant de l'eau de Seine.

Il ne trouva pas de vin de Chypre, mais il trouva une bouteille à long museau contenant quatre verres de vin du Rhin que nous bûmes avec onction.
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Cependant j'égrenais ma troisième grappe de raisin. Balzac, me voyant rompre mon second pain :

— Attendez, nous ne sommes pas au bout, nous avons du thé et du café.
Je lui dis que je n'avais pas l'habitude de manger du pain avec du thé, encore moins avec du café.

— Oui, mais j'arrose mon thé et mon café d'une vapeur de lait. Et quel lait ! Vous m'en direz des nouvelles. Une grande dame qui a un château en Normandie fait arriver chez moi, tous les matins, une bouteille cachetée à son chiffre, qui renferme tout l'arôme de ses prairies.
La vache là n'a jamais donné de lait plus savoureux. - C'est bien naturel, n'êtes-vous pas un demi-dieu de l'Olympe ? Oui, un dieu de la fable ; mais je suis déjà revenu de toutes les glorioles de la plume.
Voyez-vous, mon jeune ami, il n'y a ici-bas que l'argent. Avec tout mon génie, je ne fais pas encore grande figure dans le monde ; mais quand je serai richissime, j'aurai enfin raison des imbéciles.

— Pourquoi pas, dis-je, puisque vous avez raison des gens d'esprit ?

— Ne trouvez-vous pas que c'est irritant de n'avoir pas le sou ; par exemple, j'ai dîné hier chez Mme de Girardin, j'ai dépensé mon dernier louis en route à prendre un fiacre et acheter des gants ; j'ai rencontré un ami et un pauvre, si bien qu'à minuit, en revenant chez moi, je n'avais pas un sou pour passer le pont des Arts. On m'a dit : « Halte-là. » Je me suis demandé sérieusement, en levant le poing vers mon étoile, si je ne ferais pas mieux de me jeter à la Seine que de me détourner pour prendre le Pont-Neuf.

On apporta alors le thé et le café ; Balzac me servit du café et me passa le fameux lait cacheté aux armes de la grande dame. Je trouvais donc l'occasion de manger mon second petit pain.
Le grand romancier ne se contenta pas de mettre du lait dans son café, il y mit du thé. Je finis par l'imiter, parce que tout était bon pour apaiser ma faim.

Mais Balzac voulut nourrir mon esprit. Il m'enseigna l'art d'être un grand romancier en me disant ceci :

— Voyez-vous, mon cher ami, il faut commencer par avoir vingt-quatre mille livres de rente (c'était un chiffre sérieux en ce temps-là), courir le beau monde, se payer un cheval de selle, se prendre aux passions, pour le jeu de l'amour, entre deux femmes ; mourir pour l'une, tandis que l'autre se désespère pour vous ; se faire chercheur d'or avec l'âpreté d'un avare, jeter l'argent par la fenêtre avec la prodigalité d'un fils de famille ; fouiller Paris la nuit avec les gens mal famés ; avoir la meilleure place et la meilleure lorgnette au théâtre ; ne pas oublier les coulisses pendant l'entr'acte ; voir la mort de près, soit à la guerre, soit dans un duel.
Et puis ne jamais parler en vain, poser partout des points d'interrogation ; parler c'est perdre son temps, écouter c'est étudier ; il n'y a point d'ignorant qui ne vous apprenne quelque chose. Tout homme vous montre l'homme, si vous savez regarder en lui. 

Ainsi me parla Balzac. Je le regardais dire avec quelque scepticisme tout en admirant la leçon.

— C’est bien, lui dis-je, mais si je fais tout ce que vous me dites là, il ne me restera pas le temps d'écrire. Et puis votre théorie n'est pas à la portée de tout le monde.
Je ne doute pas qu'un homme d'esprit ne devienne un grand romancier s'il vous écoute à la lettre, mais s'il a vingt-quatre mille livres de rente, il n'écrira pas, il se contentera de ses romans en actions ; il aura peut-être raison, ceux-là sont encore les meilleurs.

Balzac souriait avec amertume. "Je crois qu'il n'y a point d'école, même la vôtre, pour faire des romans ; vous n'avez pas, j'imagine, vingt-quatre mille livres de rente ; vous n'avez pas couru toutes les aventures que vous recommandez. Voyez-vous, mon cher grand romancier, il n'y a que les métiers qui s'apprennent, l'art ne s'apprend pas. Vous avez raison d'étudier les hommes, c'est le devoir de quiconque tient la plume. Et encore quand on s'appelle M. de Balzac, on étudie l'univers et l'infini dans son cœur ; tout homme de génie est un exemplaire du livre de Dieu : tout y est !…Eh bien, s'écria Balzac, portons un toast à Dieu, le premier romancier du monde !"

Et nous nous quittâmes le cœur léger et l'estomac aussi.
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— Chez Balzac qui fait des miracles, le vin du coin se changera en chambertin. 

— N’est-ce pas nous, s'écria Balzac avec indignation, « qui devrions boire les meilleurs vins de France et d'Espagne ? Quand je serai riche, vous verrez comment j'entends la vie : tous ceux qui auront mal dîné chez moi prendront leur revanche. »

— Vos amis vous ruineront, ô Balzac ! dit Ourliac.

— Ils me ruineront ?

— Oui, bête sublime ! s'écria Laurent Jan, « nous te ruinerons, si nous dînons bien chez toi autant de fois que nous y avons mal dîné. »

— Je comprends, dit Balzac en éclatant de rire ; « mais tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si vous dîniez trop bien, vous n'auriez plus d’esprit. »

J'étais quelque peu inquiet ; je me rappelais le déjeuner de la rue Cassini (où Balzac lui avait fait passer de l’eau pour du vin…); mais voilà tout à coup Albéric Second qui arrive les mains pleines : il connaissait la maison, il apportait un pâté de gibier et un homard.

— La manne dans le désert ! s'écria Balzac, « ô Albéric premier ! on voit bien que vous connaissez les grignoteuses de l'Opéra : vous venez ici comme si vous alliez en partie fine. »

— Trop fine ! dit Albéric en voyant le menu.

Or, le menu, c'était une botte de radis, un vol-au-vent et des pieds de cochon.

— Comment ! dit Balzac avec fureur, « on n'a pas truffé les pieds de cochon ? »

Laurent Jan l'apaisa en lui disant : « Voilà ce que c'est ! tu ne penses qu'à truffer ton style. »

Balzac embrassa Albéric tout en mettant le nez sur le homard et sur le pâté.

— Vous sauvez la vie de mes convives, lui dit-il ; « nous boirons à votre santé ! Ourliac, courez au cabaret : vous êtes malin, vous nous dénicherez sous les fagots quelques bouteilles du temps de la comète. »

Ourliac soupira : « Ce Balzac est décidément marié à l'Illusion, il veut trouver du vin de la comète dans un cabaret qu'on a bâti l'an passé ! »

Le dîner fut gai, n'en doutez pas. Ourliac avait fini par dénicher deux bouteilles de vin de champagne et six bouteilles de Moulin à vent. Aussi les têtes tournèrent quelque peu.
Naturellement on réforma le monde ; on fit des maréchaux de France littéraires et on fonda une maison rivale de la maison de Rothschild. Au dessert, tout le monde était riche et glorieux ; ce qui est, après tout, la plus belle ivresse.
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Alfred de Musset nous donna rendez-vous pour minuit et demi.
Nous nous imaginions souper à quatre et nous perdre en paradoxes littéraires ou mondains. Aussi fûmes-nous quelque peu surpris de voir arriver cinq demoiselles inattendues. Le poète nous les présenta comme des femmes du monde qu’il avait rencontrées à une réception officielle.
"- En effet, dis-je, ces dames sont fièrement décolletées."
"-Eh bien ! Dit Alfred de Musset, si vous êtes offusqué, jetez-leur le mouchoir."

Il faut dire tout de suite que ces cinq grandes dames ne venaient ni de la rue Taibout ni de la rue du Hasard – c’étaient des odalisques sans sérail fixe, des comètes éperdues, des étoiles filantes.
Elles répondaient à l’appel d’une dame espagnole – Madame de Planès qui avait beaucoup de crédit. Elle avait un salon ouvert au boulevard des Capucines, où ses jeunes amies venaient goûter au retour du Bois, quelquefois souper au retour du théâtre. Véritable agence de mariages éphémères, pas beaucoup plus immorale que toutes les agences affichées dans les journaux ; aussi ladite dame se disait-elle patentée avec garantie du gouvernement, sous prétexte que les hommes de cour venaient chez elle.
Cette fois donc, A. de Musset s’était adressé à cette agence matrimoniale, où il était bien connu et où, d’ailleurs, on ne recevait que la meilleure société.
En nous quittant, il avait passé boulevard des Capucines et il nous était revenu avec les 5 soupeuses.

Tout comme la vertu, le vice a ses degrés. Certes, ces soupeuses-là étaient mille fois plus perverties que les dîneuses de la première fête, quoiqu’elles fussent moins médaillées, mais elles appartenaient à ces femmes tombées, plus ou moins séparées de corps, qui ont passé par l’école du monde.
Toutes les cinq étaient jolies, ce qui est bien rare dans ces compagnies-là, puisque celles qui sont belles ont la faveur d’avoir des amis laides comme si l’ombre donnait plus d’éclat à la lumière.
« J’ai pris cinq femmes, dit A. de Musset, parce qu’il y en a toujours une qu’il faut mettre à la porte. »
Toutes les cinq se récrièrent à la fois : « ce n’est pas moi ! Ce n’est pas moi ! »

Le souper fut très gai et d’un admirable décousu : les femmes changeaient de place, elles n’étaient pas trop bêtes pour des femmes d’esprit. Beaucoup de phrases imprimées déjà, mais aussi beaucoup d’imprévu. Quand une pointe de vin de Champagne fait jaser les femmes, elles trouvent sans chercher. C’est le flot qui passe plus ou moins frappé de soleil.
A.de Musset jetait des mots à tort et à travers, des mots d’un effroyable scepticisme. Il développa avec beaucoup d’éloquence ce paradoxe que je reproduis à peu près :

« La femme est née perdue avec toutes les perversités des Venus et des Eves, avec toutes les férocités des bêtes fauves. Les comparer aux jeunes lionnes serait les flatter, il faut les comparer aux jeunes tigresses. L’innocence première n’est qu’une fable pour les enfants qui vont au catéchisme ; ce n’est qu’en traversant toutes les stations des crimes amoureux, qu’elles finissent par s’élever à la vertu ; le vers de V.Hugo n’est pas vrai : la femme revient à la virginité idéale sans l’avoir perdue ; elle ne s’élève qu’à force de chutes : voilà pourquoi Madeleine Pécheresse est plus simple que les plus simples. Voilà pourquoi Vénus garde la souveraineté de l’Olympe, quand Junon n’est qu’une petite bourgeoise de qualité. »

Les 5 soupeuses écoutaient A de Musset avec admiration. Quand il eut parlé pendant un quart d’heure, elles détachèrent des roses de leur corsage et improvisèrent une couronne, que la plus pervertie alla poser sur le front du poète avec un baiser sonore. Il voulut d’abord jeter cette couronne, mais il la porta gaiement, comme eût fait Horace.
« Après tout, dit-il, j’aime mieux ça qu’une couronne d’épines ou qu’une couronne impériale. »
C’était au temps où on parlait du couronnement de Napoléon III.
« Et pourtant, reprit de Musset, je voudrais bien pour 8 jours porter cette couronne-là : je me reposerais peut-être le dimanche, mais je ne laisserais pas grand-chose à faire. »

La femme qui lui avait posé la couronne lui dit : « Qu’est-ce que tu ferais pour moi ? »
Il la regarda. « toi, tu es née comédienne, je te ferai un rôle – Et moi ? Dit une autre. »
C’était la moins tombante des 5, elle prenait ça et là des airs de biche effarouchée : « Toi, je te jetterais à Saint-Lazare (quartier connu à l'époque pour une sorte de prison administrative de prostitués) pour t’apprendre à vivre – Et moi, dit la 3ème, qui jouait au bel-esprit. – Toi, je te condamnerais à trois ans de Buloz et de la rue Revue des Deux Mondes ».
Au nom de Buloz, Roger de Beauvoir partit comme une fusée. Buloz était son antipode. A tout propos, il le hachait menu comme chair à pâté.

Tout en parlant, on buvait ; on finit par parler si haut, qu’on ne s’entendit plus. Cependant, on prit plaisir à continuer cette comédie sans queue ni tête ; on oublia l’heure, on ne songea pas à s’en aller, si bien que l’aurore aux doigts de roses nous ouvrit les portes du soleil.
Je ne sais plus qui rapatria les femmes, mais il fallut rapatrier A. de Musset lui-même.

Le lendemain, dans les coulisses de la Comédie Française, il eut l’air d’avoir tout à fait oublié le souper, tant il se montra grave et digne
"vous êtes-vous bien amusé cette nuit ?" Lui demandais-je après avoir causé théâtre.
« Moi, je me suis amusé plus que vous et les autres, plus que les femmes elles-mêmes. »
« Pourquoi ? »
« Parce que je n’étais pas là »
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Comme nous nous promenions avant le dîner, nous rencontrâmes M. de Balzac, qui dépassait la grille du Luxembourg.

- Êtes-vous content de votre cheval ? Demanda à Sandeau l'auteur d'Eugénie Grandet.

- Bien sûr ! J'arrive du bois de Boulogne, que j'ai parcouru en cinq minutes !

Dans ses perpétuelles illusions, Balzac, qui avait promis un cheval à Jules Sandeau, s'imaginait que son ami montait déjà ce cheval, quoiqu'il ne le lui eût pas donné.
Je regardais tour à tour Balzac que je ne connaissais pas et Jules Sandeau que je croyais connaître.

- Il n'a pas pris le mors aux dents ? reprit Balzac.

- Non, parce qu'il sait qui je suis.

Ce qu'il y a d'admirable, c'est que Sandeau se prêtait aux illusions de Balzac.
Comme Balzac me regardait du coin de l'œil, Jules Sandeau lui dit : « Je vous présente l'auteur de la Couronne de Bleuets. »

— Oui, oui, un beau roman, si j'y avais mis la main, répondit-il.

Je m'inclinai, Balzac s'inclina imperceptiblement :

— Monsieur, si vous voulez venir déjeuner avec moi un de ces matins, je vous dirai comment on fait un roman.

Sur quoi il passa outre, après un charmant sourire à tous les deux.

— Soyez tranquille, me dit Jules Sandeau, « il ne vous dira pas comment on fait un roman, parce qu'il n'en sait rien ; son génie va devant lui sans connaître son chemin. Si vous allez déjeuner chez lui, vous courez grand risque de ne pas déjeuner du tout, mais enfin vous ne perdrez pas votre temps. »

Je n'en revenais pas de voir M. de Balzac si bourgeoisement attifé. Il n'y avait en lui rien de l'artiste si ce n'est l'œil, un œil profond comme l'œil de la vérité, et lumineux comme le soleil. Il y avait plutôt de l'homme de loi affairé. Pour moi surtout qui ne vivais qu'au milieu des intransigeants du romantisme, je trouvais étrange que Balzac ne fût pas étrange.
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