Je commence par une petite histoire de lectrice…
Le 17 août 2020, je poste une chronique sur ce livre, j'annonce « lecture commencée puis au bout d'une centaine de pages… je le laisse, ce n'est pas un abandon, mais un rendez-vous reporté… je le mets de côté en espérant ne point l'oublier ».
PGilly, un ami babel, me rappelle en octobre au non-oubli…
Et aujourd'hui, en mars 2021, je peux enfin rédiger une chronique de ce livre, que j'ai apprécié, vraiment, car j'ai lu le livre du début à la fin entre le 10 et le 13 mars (environ). Mais entretemps, j'ai supprimé la première chronique (car on ne peut pas en faire deux, ce qui est compréhensible).
La (la nouvelle, la vraie) chronique commence…
Une saison à Hydra est un roman construit autour de quatre personnages (principaux et donc quelques autres secondaires), chacun intervient, dans chaque chapitre, leur tour étant différent.
Ce n'est pas un roman chorale comme je l'expliquerai plus loin.
Les quatre personnages sont en premier lieu Emmanuel Joyce, dramaturge, célèbre, célébré, donc argenté, sexagénaire, irlandais, marié à Lilian depuis vingt ans, plus jeune que lui (elle aurait 45 ans minimum), présentée comme fragile, malade, cardiaque, névrosée, superficielle, égocentrique, axée sur son image, sa beauté, ses toilettes. Son portrait est vite dessiné dans le livre.
Depuis neuf ans, ce couple « meeeeerveilleux » est accompagné par un factotum, Jimmy, manager, secrétaire, intendant, il a une trentaine d'années, célibataire (à un moment je me suis demandée s'il n'était pas homosexuel, mais erreur) ; il est quand même a-sexué…
Nous sommes à la fin des années cinquante.
Le trio voyage, nomade, entre Londres et New York, au gré des mises en scène des pièces écrites par Emmanuel (qui supervise les productions).
Dès le premier chapitre, avec la tentative de suicide d'une secrétaire, insignifiante, l'on comprend que Em et sa femme Lilian sont dans une relation de « je suis le tombeur » « je suis la femme trompée » et que Jimmy, le factotum, recolle les morceaux au nom de l'art du théâtre et de quelques liens qu'on ne comprend pas trop.
Cette introduction m'avait semblé, à ma première tentative de lecture, complètement inintéressante, baignant dans un monde superficiel et complètement innervé.
Mais une fois que la nouvelle secrétaire entre en scène (pour remplacer celle qui a fait sa TS et dont tout le monde se fout par la suite), Sarah, rebaptisée Alberta, on entre alors dans un quatuor dont les relations sont de plus en plus tissées finement, avec beaucoup de sensibilité, et leur intervention à tour de rôle permettent à l'auteur de fournir des éléments sur leur vie passée. Ainsi, les trois protagonistes, Em, Lilian et Jimmy, vivant dans un luxe, une superficialité (hôtels, restaurants, voyages…) reviennent d'un passé sombre, cruel, pour chacun, faits d'abandons, de pauvreté, de deuils trop précoces, de dénuement, et surtout, surtout d'un désert affectif immensément désolant.
Ainsi, le lecteur entre dans ce trio parce qu'il comprend, avec une empathie recherchée par la forme, l'écriture et la structure, ce qui lie les trois. le rassembleur paraissant alors Emmanuel (le seul dont on ne parle pas à la première personne), celui qui paradoxalement, est écrit par les autres et par l'auteur.
Puis survient Sarah, Alberta, jeune fille, une vraie campagnarde, anglaise, fille de pasteur, orpheline de mère, pour qui la famille a toujours été source d'affection – malgré l'absence de la mère – d'attention, de protection (oncle Vin et Tante T). Contrairement aux trois autres (Lilian, orpheline de père et de mère, Emmanuel, orphelin de mère, a quitté le foyer hostile chassé par une belle-mère digne des contes d'Andersen – et Jimmy, qui n'a connu ni père ni mère que un orphelinat non pas inhumain, mais déshumanisé.
Sarah est embauchée comme secrétaire, malgré sa candeur, sa naïveté, son absence de séduction, et son côté empoté. Malgré ou grâce à….
L'auteure nous livre ici sans ironie, simplement, par sa narration, une rimbambelle de stéréotypes sur des Anglais, les gens du théâtre, les écrivains, on dirait aujourdhui « les people », ceux qui ne créent rien mais ont une image.
Sarah rebaptisée Alberta entre donc dans le trio. Et le quatuor s'envole de Londres à NewYork puis la Grèce. A NewYork, l'étape sera courte puisque « faute de grive on mange des merles ».
Donc les castings organisés par ou pour Em et Jimmy échouant tous, ils regardent de concert cette petite anglaise insignifiante (mais pas que…) et s'imaginent qu'elle tiendra le rôle. Et que la merlette devra se transformer en grive… et pour cela on part tous pour Hydra, une ile paradisiaque qui va bien sûr nous transformer tout ce monde… Em se remettra à écrire, Alberta deviendra une merveilleuse actrice, Lilian… ben on sait pas trop. Et Jimmy ben… on sait pas trop non plus du coup.
Lorsqu'on arrive à Hydra, les descriptions de l'auteure font merveille : couleurs, parfums, mouvements sur la mer, dans le ciel, ombres et lumières, le lecteur peut se laisser bercer, dorer, rêver, attendrir et aimer, beaucoup aimer, créer beaucoup moins, car Em n'écrira pas une ligne.
Les sentiments s'exacerbent. Les passés des uns et des autres éclatent peu à peu jusqu'au coup de tonnerre final (mais chut.. !!, sinon je découvre…) , ce qui arrive à Alberta est en lien avec le passé douloureux des autres, le quatuor est définitivement scellé.
Dans ce livre très romanesque, émouvant, agaçant parfois (car les personnages sont assez désopilants) l'enfance occupe une place centrale : enfance volée (pour Em), enfance choyée, heureuse pour Lilian mais qui n'a rien pu ou su transmettre, enfance qui n'a pas existé pour Jimmy (dépersonnalisée et déshumanisée), seule Alberta peut revendiquer une enfance, elle en sort à peine, et surtout les deux personnages secondaires Julius et Mathias.
Julius, la lumière de ce roman, la générosité, l' élan vers l'autre, l'humilité, l'intuition, la spontanéité, l'authenticité, la curiosité, la nature, mais aussi la tendresse, la profondeur et le lien filial.
Mathias, l'enfant de la non chance, de la malchance, une victime de plus, dans ces relations artificielles, basées sur l'apparence, et sur la croyance dans le bien matériel, Mathias, le contre portrait de Julius.
Un très beau roman où le protagoniste Em va s'éteindre et où Alberta et Julius pourront illuminer.
Mais pour moi, seul Julius va dans la lumière. Alberta ira vers des lumières artificielles, celles du théâtre, du superficiel, de l'artificiel, peut être d'une richesse matérielle, Julius lui continuera vers une richesse lumineuse, profonde, authentique, celle de la curiosité, celle de l'ouverture à l'autre, celle de la main tendue.