Citations sur Le Solitaire (127)
Je fus pris d'un regret énorme, amer. J'avais eu le bonheur à côté de moi. Une fois encore, je l'avais raté. Le destin veut m'aider et la providence m'envoie ses anges que je repousse, ou que je n'aperçois pas. Il devait y avoir plein de fontaines de vie dans les jardins, dans les rues, que je ne voyais pas. Il devait y en avoir, certainement. Quand je sortis, j'écartai les bras pour mettre la main sur une, par hasard. Le temps était sec, pas une goutte d'eau. Des passants m'injuriaient. Cependant je continuai de marcher ainsi dans l'espoir désespéré de trouver la vie et dans le désespoir d'être bientôt abandonné.
Je revins dans la grande pièce. Le bleu du ciel n'était plus tout à fait le même. Le soleil ne lui donnait plus l'éclat de tout à l'heure. C'est lorsque le soleil ne le faisait plus briller que je reprenais conscience que le ciel était un toit. La terre est un globe à l'intérieur d'un autre globe qui se trouve vraisemblablement à l'intérieur d'un autre globe qui lui-même se trouve à l'intérieur d'un autre globe qui... Essayer de concevoir la finitude d'un globe dans la finitude d'un autre globe dans la finitude d'un autre globe, dans la finitude d'un autre globe, dans la finitude d'un autre globe, toutes ces finitudes étant liées l'une à l'autre infiniment, cela me donnait la nausée, mal à la tête. Le vertige.
Le passé est toujours beau et tendre et on le regrette, on s'en aperçoit trop tard. Il nous faut une certaine perspective, cela n'a pas d'importance que l'on soit ministre, ou gratte-papier, milliardaire ou clochard. Mais oui, mais oui, le monde ensoleillé nous l'avons en nous-mêmes, la joie pourrait éclater à tout instant continuellement, si on savait, je veux dire si on savait à temps. Qu'elle est belle la laideur, qu'elle est joyeuse la tristesse, comme l'ennui n'est dû qu'à notre ignorance! Le froid le plus glacial ne peut résister à la chaleur du coeur. A condition de savoir sur quel bouton appuyer pour qu'elle s'allume. En somme nous regrettons tout, cela prouve que ce fut beau.
Je philosophe trop.C'est cela mon tort.Si j'avais été moins philosophe, j'aurais vécu plus heureux. On ne doit pas philosopher quand on n'est pas un grand philosophe.Et même ceux-là, quand ils sont grands, sont pessimistes (....)
( Folio, 1989)
L'inexistence est sanglante. Nous ne vivons pas. C'est bizarre. On tue et on se tue pour se prouver que la vie existe. Mais il n'y a rien, dis-je, il n'y a rien, il n'y a rien, criai-je de toutes mes forces. Je regardai autour de moi, et je m'aperçus qu'il n'y avait personne.
... l'amour fait surgir des montagnes, l'amour brise le fer, brise les entraves, rien ne lui résiste, nous le savons bien. C'est notre médiocrité qui fait que nous lâchons, que nous renonçons. Le Grand Amour ne sait pas ce que c'est que le renoncement, ne connaît même pas ce problème, ne se résigne jamais, la résignation c'est pour les médiocres, ainsi que l'échec.
Aimer le désert, aimer le bleu de la mer, aimer la blancheur des navires, cela me semblait possible. Aimer les gens, cela me semblait plus ardu. Ne pas les détester, d’accord. Mais les aimer, ces créatures qui bougent, qui parlent, qui s’agitent, qui font du bruit, qui exigent, qui désirent, qui crèvent ? C’est plutôt comique.
Sur la droite, en quittant la chambre à coucher, il y avait la salle de bains. J’entrai dans la salle de bains, y restait deux secondes : C’est ma salle de bains, me dis-je […]. J’aimais aussi ce couloir sombre, ça faisait mystérieux, on pouvait marcher. Aller jusqu’au bout, revenir, aller jusqu’au bout, revenir, ça donnait l’impression d’un souterrain ou de corridors secrets que traversaient les belles courtisanes pour arriver secrètement à la chambre du seigneur.
Quand est-ce que je me réveille sur la vérité ? Quand je ne vois que misère et pestilence ou lorsque je pense que toute l’existence, que toute la création est un mois de mai fleuri et lumineux ?
Depuis ma naissance je n'ai rien appris et je sais que je n'apprendrai rien. Ce sont les bornes de l'imagination que je voudrais enlever. Les murs de l'imagination que je voudrais faire sauter.