Amateurs de courses effrénées, de survivants à la lutte pour échapper à une horde de zombies voraces, de déchiquetage et de démembrements violents, de flots d'hémoglobine se déversant de corps en charpie (vous avez saisi l'idée ou j'en rajoute encore un peu ?)… passez votre chemin, Tokyo Ghoul ne vous apportera pas cette dose d'adrénaline.
Cette fabuleuse série, certes horrifique, est avant tout psychologique, à mon sens. Je détaille.
Tout d'abord, l'histoire. La ville de Tôkyô est malmenée par des séries de meurtres, vraisemblablement commis par des goules. Ces créatures sont dangereuses (doux euphémisme) en ceci qu'elles n'apparaissent pas comme telles devant témoins (comme beaucoup de criminels, vous me direz ; mais le débat ne se situe pas là. Quoique). Elles se fondent dans la population et rien ne permet de découvrir leur véritable apparence – à moins que vous ne soyez l'une de leurs proies, mais du coup il est trop tard. La population vit donc dans la peur, néanmoins ces goules existent et il faut bien faire avec. de fait, on évite de sortir trop tard le soir, on reste dans des zones très fréquentées… Mais bien évidemment, ce n'est pas toujours le cas : Il y a toujours ceux qui s'en fichent, qui n'y croient pas trop.
Ken Kaneki, un étudiant en lettres comme il en existe tant au Japon, n'est pas très impressionné par cette histoire ; autant dire qu'il s'en soucie peu. Timide, sa préoccupation du moment est plutôt située du côté de la jolie brune à lunettes qu'il n'a jamais osé aborder… Sa mère aurait dû lui enseigner de se méfier des jolies brunes à lunettes, surtout lorsqu'elles se montrent un peu trop entreprenantes… Allez, spoilons dans la bonne humeur : Il se fait mordre par la jolie brune à lunettes, qui était en réalité (tenez-vous bien)… une goule !!! Et c'est véritablement là que l'histoire débute.
Sui Ishida nous entraîne dans la psyché du héros, qui, cherchant à comprendre ce qui lui arrive, analyse chacune des transformations de son corps. Il sent qu'il se transforme peu à peu en goule, l'horrible créature, l'ennemi public numéro 1, et il ne le supporte pas : il en faudrait peu pour qu'il sombre totalement dans la démence.
J'ai employé un ton léger au début de cet article, mais nous avons vraiment affaire à un manga violent. Tenez, au hasard rien que les titres des trois premiers chapitres : Tragédie (p.3), Malaise (p.49), Horreur (p.79). Et c'est sans compter le trait résolument sombre qui porte magnifiquement, dans sa noirceur, le côté tourmenté du héros. le génie de
Sui Ishida est de prendre le parti d'utiliser un thème qui fonctionne à merveille sur tous les supports aujourd'hui – à savoir les zombies – et d'en faire une série horrifique, à teneur aussi élévée en action pure qu'en introspection épouvantée. Comme dit précédemment, le lecteur va suivre l'évolution de Ken, ainsi que la profondeur de sa détresse. Cette évolution implique un fort changement dans sa vie : Il n'est pas tout à fait une goule, mais il n'est définitivement plus un être humain. Comment faire pour le cacher à son entourage ? Doit-il en parler à ses amis ?... Et comment se faire accepter par les autres goules ? Elles savent le reconnaître, mais l'inverse n'est pas encore vrai… A travers le mythe du mort-vivant,
Sui Ishida nous parle du problème de l'intégration, de l'importance du regard des autres dans notre société actuelle, et comment le regard que l'on porte sur soi-même peut rapidement dévier et être dénué de toute objectivité. Cette tranche de vie sociétale est sublimée par des démembrements sauvages et des gerbes de sang car, malgré tout, nous sommes bel et bien dans une histoire de morts-vivants, et que la cohabitation avec les êtres humains (et les hybrides, notez bien) se passe rarement sans heurts.
Toujours en cours de publication lors de la rédaction de cette critique, ce manga psychologico-horrifique est en passe de devenir un classique du genre. A classer dans la catégorie des shônen-up (pour adolescents avertis), il se conseille à partir de 14 ans. A noter également que cette série est la première oeuvre de l'auteur : Cette indéniable réussite devrait lui ouvrir toutes les portes...