Le parc enchanté
Il y a un grand jardin qui s'étend à perte de vue.
Il y a des allées parallèles. Il y a des jets d'eau.
Il y a des bancs de pierre. Il y a un ciel gris. Il ne
fait ni chaud ni froid. Quelque part dans ce jardin –
l'imprécision me plaît –, assis sur un banc de pierre,
il y a un homme, un homme qui fixe un caillou de l'allée.
Les allées en effet sont couvertes de cailloux blancs et
ronds. L'homme ne fixe pas n'importe quel caillou.
Il fixe un caillou qu'il a choisi très soigneusement,
après avoir éliminé des milliers d'autres cailloux.
Donc, l'homme fixe le caillou. Dans ce caillou, il y a
un grand jardin qui s'étend à perte de vue. Il y a des
allées parallèles. Il y a des jets d'eau. Il y a des bancs
de pierre. Il y a un ciel gris. Il ne fait ni chaud ni froid.
Mais, dans ce jardin-là, il n'y a personne.
De pures sépultures pardonnant aux cyprès
tant d'ombre et tant d'été tant de vie
de pures sépultures vont ouvrir
de grandes zones d'évidence blanche
dans les lents mouvements de ma vie quotidienne
et j'aurai des enfants de lumière
aux paupières fendues de sel
sans cesser d'aimer la fraîcheur
des éponges imbibées de feu clair
en ma chair aux multiples lampes
aux pétales serrés sur ce soir
qui meurt pieusement saison
allusive au sommet de ma course.
Un cèdre m'appartient C'est le sauveur du jour
car sa lumière éclate en moi qui deviens soudain
sauvage
La sève est au cèdre ce que je suis au sang
la blancheur du feuillage où naît l'amitié du soleil
(Je voyageais sans voyager dans l'autre éternité
celle d'avant l'orgueil
quand l'enfance était pour moi un irréel état d'esprit
et non ce temps qu'on regrette et non ce temps qu'on
arrête
plus O mémoire tu ne peux rien pour moi rien pour
toi
que t'exiler dans l'exil du désert Ma vie Un cèdre
et ce Liban natal genèse d'aube
l'envers de l'œil qui reconnaît la race
la racine de ce cèdre issu de l'âme
où l'inconnu se défait de son double)
Ma présence impossible est dans l'éternité
du jeu toujours naissant des flammes
Mon impossible absence est dans l'ubiquité
du feu toujours mourant des ombres.
J'ai cherché mes verbes
ô nuit qu'abrège un feu de joie
dans la douceur et le parfum des sables
J'y ai trouvé la vie éclatante
et le ciel bleu de neige
et l'orgueil des mers énigmatiques
O nuit qu'un verbe abrège
nuit qui tarde à s'éclaircir entre les arbres
nuit sensuelle où vont mourir
les grands animaux blancs du crépuscule.
Hommage d'E. Savitzkaya à Jacques Izoard