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sur 199 notes
Le silence est quasi inexistant sur une île. Il y a les cris des mouettes, des pies huîtrières, des eiders et ceux des cormorans qui se dressent sur l'écueil comme des moines carbonisés, ajustant leurs soutanes selon le vent. le bruit du vent, omniprésent, qui emporte constamment le sol dans la mer. le silence est rare et sa durée « varie selon les saisons, le silence peut durer longtemps dans le gel de l'hiver, comme lorsqu'il y avait de la glace autour de l'île, mais celui de l'été est toujours comme une petite pause entre un souffle de vent et un autre, entre le flot et le jusant, ou pendant ce miracle qu'est l'instant où l'homme cesse d'inspirer avant d'expirer ».

Pourtant c'est bien le silence qui a fait place en moi en lisant ce beau livre insulaire « Les invisibles » de Roy Jacobsen. Il a bercé ma respiration au rythme des saisons, au rythme des multiples activités immuables à mener pour survivre sur une île, au rythme des épreuves et du courage indispensable à avoir en tant qu'ilien. Au rythme des petits bonheurs simples. Un livre qui m'a apporté du calme, a épousé ma solitude de lectrice. La trame narrative y est lente mais aussi toujours en mouvement. Je m'y suis sentie comme en mer : bercée par les vagues, ballotée par moment, et en même temps ancrée en mon moi intérieur. Je m'y suis sentie bien.

Et comme toujours en mer, j'ai aimé l'horizon, tout est horizon sur une île, plan infini où les nombreuses îles norvégiennes ressemblent à des temples flottants les jours d'hiver brumeux ou à des perles de collier en été. La faune et la flore nous sont racontés dans ce livre et les paysages sont magnifiques, toujours changeants ; la plume de Roy Jacobsen les sertit d'une poésie délicate et très imagée : « Ingrid marche avec ses chaussures en poil de chèvre sur un plancher de verre entre l'île et Moltholmen, et elle voit en dessous d'elle des algues, des poissons et des coquillages dans un paysage d'été. Oursins, étoiles de mer et pierres noires sur le sable blanc, poissons qui filent à travers des forêts oscillantes, la glace est comme une loupe, claire comme l'air ».

Nous suivons le quotidien d'une famille de pêcheurs sur une île tout au nord de la Norvège, une île proche du cercle polaire, dans l'archipel dit aux milles îles qui porte le nom des familles qui y vivent. Hans Barrøy, trente cinq ans, habite avec sa jeune femme Maria, sa petite fille Ingrid, sa soeur retardée, du moins différente, Barbro et son vieux père Martin, sur leur toute petite île, l'île Barrøy. Ils en sont les uniques habitants. Les saisons rythment le dur travail de la pêche et des fenaisons, le maillage des filets, le ramassage de la tourbe, les réparations de la maison, l'accouplement annuel du bélier, le tri des déchets échoués après les tempêtes. Toutes ces besognes sont décrites de manière détaillée et respectueuse d'un savoir-faire ancestral se transmettant au fil des générations. La vie de ces iliens est rude, avec peu de confort, les sentiments ne s'expriment pas, du moins s'expriment silencieusement, la pudeur est de mise. Parfois les sentiments explosent et déferlent sans aucune digue pour les retenir.
La vie sur l'île de Barrøy est par moment un paradis, par moment un enfer, des jours de richesse et des jours de désespoir, la frontière entre les deux est ténue.

Le personnage central est la petite fille, Ingrid, à la longue chevelure de la couleur du goudron, aux yeux pétillants « où la bêtise morne de la pauvreté est tellement absente ». Elle observe ce monde d'adultes dont les repères ne sont pas toujours faciles à comprendre. Très attachée à son île, elle la préfère de loin à l'école qui a lui volé son beau sourire que son père aime tant. « Tu rigoles de tout, dit-il en songeant qu'elle connaît la différence entre le jeu et ce qui est sérieux, qu'elle pleure rarement, qu'elle ne fait pas la tête de mule ni ne ressasse, qu'elle n'est jamais malade et qu'elle apprend ce qu'il faut » se rassure-t-il, lui qui a tellement peur qu'elle soit comme sa soeur, différente. Mais non, Ingrid s'avère être vive, sensible, intelligente, courageuse, curieuse et solaire. Nous allons suivre sa vie et son destin sur presque deux décennies. C'est une fille de la mer « qui ne voit pas les vagues creuses comme un danger ou une menace, mais presque toujours comme un chemin et une solution ».

Les invisibles…l'auteur parle-t-il de ces iliens qui vivent si retirés qu'ils en deviennent invisibles, notamment pour les gens du pays ? Ou alors des pensées et des sentiments, notamment la peur, qui doivent être invisibles dans cette vie simple et rude ?

Ce roman évoque une époque révolue, celle de la Norvège avant la découverte du pétrole. C'est un roman captivant de par son ton monotone, simple mais pas ennuyeux, comme si l'auteur avait voulu associer son écriture à l'image de la vie insulaire. Un roman qui parle beaucoup du labeur, des gestes, sans relâche. C'est très efficace bien que déstabilisant de prime abord. le roman gagne peu à peu en profondeur et en poésie, les chapitres sont courts, telles de courtes nouvelles ayant pour thème exclusif cette île, puis au fur et à mesure que nous découvrons la vie sur l'île et les personnages, le récit prend de l'épaisseur. L'écriture, malgré ce ton qui se veut par moment monotone, est sublime. Je vous propose de clore mon ressenti avec un passage qui m'a particulièrement plu :

« Plus rarement, ils trouvent une bouteille à la mer qui contient un mélange de nostalgie et de confessions, et qui concerne une autre personne que celle qui la trouve ; si elle avait touché le bon destinataire, elle lui aurait fait verser des larmes de sang et remuer ciel et terre. Les îliens les ouvrent avec tout leur bon sens, ils en tirent les lettres et les lisent, s'ils en comprennent la langue, ils se font des idées sur le contenu, des petites idées bien vagues – les bouteilles à la mer sont d'étranges véhicules de manque, d'espoir et de vie inachevée –, puis ils rangent ces lettres dans un coffret où l'on met les choses que l'on ne peut ni posséder ni jeter, ils font bouillir la bouteille et la remplissent de jus de groseille, ou bien ils la posent tout simplement sur le bord de la fenêtre de l'étable comme une sorte de preuve de son propre vide, les rayons de soleil se teintent de vert en la traversant avant de retrouver leur couleur parmi les brins de paille secs sur le plancher »

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Debut du XXe siècle,
Hans Barrøy, trente cinq ans, habite avec sa jeune femme, sa petite fille, sa jeune soeur retardée et son vieux père une toute petite île au large de la Norvège. Ils en portent le nom et en sont les uniques habitants.
Face à une vie de labeur dans la pauvreté, esclave d'une nature sauvage aux hivers trés rudes, où Hans doit partir pêcher pour quelque mois aux îles Lofoten, -la pêche étant leur revenu vital -, la famille survit à toutes les épreuves.
Le personnage central du livre est la petite fille, Ingrid, sensible, intelligente, courageuse, curieuse qui observe ce monde restreint d'adultes avec ses propres codes et dont les repères ne sont pas toujours facile à comprendre. Bien que forte, le destin va la défier pour le meilleur et le pire, une histoire qu'on va suivre sur presque deux décennies; Barrøy est un paradis, comme il peut être l'enfer.......

La chaleur de ce récit émouvant vient de l'amour et de la solidarité entre les membres de cette famille dans des conditions de vie difficile où chacun a son rôle et s'y tient. Amour au sens large, l'amour entre les époux, entre le père et la petite fille, entre le frère et la soeur, la petite fille et sa tante,la petite fille et son grand-père.....Quand à son charme, c'est sans aucun doute son langage simple. Des gens humbles, dont les ressentis et les pensées sont exprimés indirectement, avec pudeur. Tout est dans la description des gestes et entre les lignes. Ici même le silence parle.
Descriptions intéressantes aussi des divers coutumes et modes de vie de l'époque sur ces îles, comme les femmes qui mangeaient debout et qui finissent par s'asseoir, leurs coffres, les domestiques esclaves non payés,....

Une histoire passionnante aux personnages magnifiques, dans un décor grandiose, dont les héros sont des enfants qui face au destin sont forcés à devenir des adultes précoces. C'est est l'un des cinq titres sélectionnés dans le monde entier pour le Booker Prize 2017 en Angleterre, dont je ne peux que vous conseiller la lecture !


"Un îlien n'a pas peur sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil,.."


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Ils sont invisibles parce qu'ils vivent sur de toutes petites îles dans le nord de la Norvège, au début du 20ème siècle, et que ces îles, dont souvent ils portent le nom (ou l'inverse), sont à l'écart des principales routes maritimes, même pas marquées sur les cartes.
Sur Barrøy, Hans, 35 ans, est le chef de famille. Il vit là avec son père, sa soeur attardée mentale, sa femme et leur fille Ingrid. Tous travaillent dur, selon leur âge et leurs capacités. La pêche, la laine des brebis, la récolte de duvet d'eider, les potagers, les tâches sont diverses et variées mais incessantes et souvent rendues très difficiles par les conditions climatiques sauvages, à l'image de la nature. La terre et la mer sont leurs éléments nourriciers mais peuvent aussi ruiner leurs espoirs de survie quand les tempêtes ou les accidents s'en mêlent. Cette vie rude et spartiate, monotone, à l'écart, est racontée depuis le point de vue d'Ingrid, 7 ans au début du roman, qui s'étale sur une petite dizaine d'années. Intelligente et sensible, la fillette observe les adultes sans forcément tout saisir de leurs agissements. Mais même si elle ne comprend pas tout, elle ressent les choses, bousculée elle aussi par la vie et les coups du sort.
Avec son écriture dépouillée et ses dialogues laconiques, "Les invisibles" est un roman taciturne dans lequel on ne gaspille pas son énergie en vaines discussions, tant on est occupé à survivre et à lutter contre les éléments. Mais le texte n'est pas noir ni froid pour autant, le printemps et l'été ramènent la lumière, et l'amour et la solidarité familiale réchauffent les coeurs tout au long de l'année.
En plus de nous en apprendre beaucoup sur le mode de vie insulaire d'il y a un siècle, "Les invisibles" nous emmène en immersion dans une saga familiale attachante, faite de courage, de drames, de silence et de lenteur.
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Ils sont une petite famille et ils vivent sur une île, Barrøy quelque part près des iles Lofoten. Ce sont des îliens et le nom de l'île est aussi leur nom de famille.

Il y a Martin, le grand-père, Hans son fils, Maria sa femme, Barbro, la soeur de Hans, et surtout Ingrid. Ingrid qui est petite au moment où démarrer l'histoire, mais qui va devenir l'une des personnes les plus importantes que ce territoire.

La vie y est âpre, belle et rude tout à la fois. On vit à moitié des travaux des champs (un peu d'élevage, et quelques pommes de terre en potager) et de la mer (de la pêche, soit en rejoignant les grandes campagnes de pèche dans les Iles Lofoten, soit en pêchant tout autour de l'île du lieu, du flétan, ou en confectionnant du guano).
Et à ma grande surprise le récit est tout à fait passionnant.

A la mort de Martin, c'est Hans qui devient pleinement le chef de famille. C'était déjà un peu le cas depuis qu'il vieillissait et qu'il n'était plus en mesure de réaliser tous les travaux nécessaires. C'est lui qui tente de placer sa soeur Barbro chez d'autres familles en tant que domestique – mais cela ne prend pas et Barbro restera sur Barrøy.

Hans va décider des travaux, même si l'argent manque toujours et qu'il faut s'échiner après chaque période de pêche dans des travaux de bête de somme. Barbro l'aide, parce que même si c'est une femme, elle est dure à la tâche elle aussi. Mais Hans et Barbro n'arriveront pas tous seuls à réaliser un ponton d'accotement : ils font venir quelques ouvriers suédois pendant quelques semaines pour les aider. Ils repartiront rapidement, laissant cependant une surprise dans le ventre de Barbro qui accouchera quelques temps plus tard d'un garçon qu'on baptisera Lars …

On n'est pas épargné par la vie sur une île pareille. Une naissance, plusieurs morts, et ce sont encore des enfants – Ingrid, Lars – qui vont devoir bientôt prendre des décisions comme des adultes.
Qu'est-ce qui fait qu'un récit est si passionnant ? Son écriture, sans aucun doute.

Sans jamais nous infliger aucun pathos (à l'image de cette grande dispute en Ingrid et Lars à coups de tisonnier, mais sur laquelle l'auteur ne s'appesantira pas du tout, Roy Jacobsen nous décrit leur quotidien, fait de peines (beaucoup) de quelques joies au milieu de beaucoup de rudesse, à l'image de ces images qu'il décrit si bien aux quatre saisons. Mais avec une affection partagée entre eux pour faire fasse à l'adversité. Il y est question du rire aussi, le rire d'Ingrid que son père aime tant, et qu'elle va perdre lorsqu'elle partira à l'école comme les autres îliens.

Le personnage d'Ingrid est flamboyant, magnifique. Elle est intelligente, délicate, et très courageuse. Et du courage, elle va en avoir besoin pour affronter ce que lui réserve le destin.

Personnellement je l'ai lu d'une traite, avec l'envie irrésistible de connaître la suite (Roy Jacobsen a écrit également « Mer blanche » et « Les yeux du Rigel » où l'on continue de suivre la destinée de la belle Ingrid.

Avec ces « Invisibles », on pense à son voisin islandais Jon Kalman Stefansson « Entre ciel et terre », « A la mesure de l'univers » ou bien « le coeur de l'homme » pour la force du récit, ou à son compatriote Per Peterson (« Pas facile de voler les chevaux) pour les paysages et la présence de ces personnages dans des territoires si différents des nôtres.

Une histoire passionnante que celle de ces « invisibles » qui au fil de la lecture nous deviennent de plus en plus « essentiels ». Beaucoup de pudeur et de profondeur pour décrire le quotidien de quelques personnages qu'on a l'impression d'avoir vraiment rencontrés.

Une grande réussite.
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Quand on habite sur une île du Nordland, un peu plus bas que les Lofoten, battue par les vents, la neige, la glace, le froid, quand on travaille à en crever, quand la construction qu'on a commencée se débine après une tempête et que tout est refaire, quand il faut aller à l'école sur une île voisine et endurer l'absence de ses parents quinze jours durant, on tient. On se bat. On se serre les coudes.
Et on est invisible. Invisible aux yeux du monde civilisé.

Ce roman, c'est ça : la description méthodique des tâches sur l'île et de la vie de famille rythmée par le travail. le point de vue de chaque membre est abordé et brassé dans une perspective commune. Mais c'est la petite Ingrid, qui a trois ans au début du récit, qui retiendra notre attention, c'est une petite fille enjouée et courageuse, et elle aura bien besoin de ces qualités pour supporter ce qui suivra.

A vrai dire, j'ai été déçue, je m'attendais à davantage de psychologie, à davantage d'évènements spéciaux. Cette vie quotidienne où les filets de pêche, la récolte de la tourbe, et j'en passe, n'ont plus de secrets pour nous, c'est intéressant, mais lassant au fil des pages, du moins pour moi. Surtout qu'il y a beaucoup de termes techniques que je ne connaissais pas du tout et qui m'ont quelque peu rebutée.

Oui, je sais, il faut lire entre les lignes ; mais là, je ressens un peu trop de réticence à le faire. Peut-être suis-je trop fatiguée pour le moment, peut-être me faut-il un peu plus de rebondissements pour arriver à retenir mon attention. Peut-être.

N'empêche, j'ai fait l'acquisition de la suite, « Mer blanche », lors de l'achat de ce premier tome. Je le lirai, c'est sûr, mais pas tout de suite. Je vais attendre d'être plus en forme pour affronter cette vie méritante et difficile, loin d'être invisible !
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Voilà donc le premier épisode de cette saga norvégienne, lu après le deuxième … Et je confirme qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu le premier pour apprécier le deuxième.

Dans ce premier épisode, Jacobsen pose le décor de la saga, cette fameuse île de Barroy, véritable cosmos en réduction où les étoiles dorment dans l'herbe sous la neige, ce temple flottant sur l'horizon. Il nous présente ses habitants, ces pêcheurs paysans, plus pêcheurs que paysans d'ailleurs, plus chasseurs qu'esclaves d'une terre. Et parmi ceux-ci on fait la connaissance d'Ingrid qui sera le personnage principal du deuxième épisode. La vie y est rude, l'enfance ne dure que quelques années, car très vite les enfants sont amenés à donner un coup de main et à prendre des responsabilités. La seule distraction est la pêche à la bouteille à la mer, échouée sur les plages après les terribles tempêtes, et la lecture des messages emprisonnés, des messages de nostalgie ou de confessions. Mais le décor est somptueux, la liberté totale et la tranquillité un bien inestimable, et pourtant si fragile …

Ici encore c'est un plaisir de lecture, même si je reconnais avoir été moins dépaysée qu'avec « mer blanche ». Néanmoins j'ai passé un très bon moment en compagnie d'Ingrid, de Hans, de Lars et de tous les autres.
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J'avais repéré la parution très récente du roman « les yeux du Rigel » qui est le 3ième volet de la trilogie de Roy Jacobsen, un auteur norvégien que je ne connaissais pas.
J'ai donc lu  Les invisibles traduit par Alain Gnaedig, puis  la mer blanche  et  les yeux du Rigel  à la suite sans interruption et avec un immense bonheur car c'est une lecture qui m'a complètement transportée.

J'ai vécu une page d'histoire particulièrement émouvante en suivant pas à pas le quotidien d'une famille de pêcheurs sur l'île Barrøy tout au nord de la Norvège, dans l'archipel dit aux milles îles qui porte le nom des familles qui y vivent.

La famille Barrøy où Hans est le chef de famille est au complet en ce début du 20 ième siècle. Les saisons rythment de manière immuable le dur labeur de la pêche et des fenaisons, le maillage des filets, le ramassage de la tourbe. Les scènes des travaux et besognes sont décrites de manière détaillée et respectueuse d'un savoir faire ancestral qui se transmet de génération en génération. le rythme est lent mais toujours en mouvement comme la mer.


Sur l'île, les enfants naissent, ont à peine le temps de grandir pour travailler durement dans cet horizon sans limite dont ils ne voudraient pourtant aucun autre . Dans la famille de Hans Barrøy le travail se fait en silence mais avec le bruit incessant du vent et les cris des oiseaux. Alors quand la brume descend et le silence se fait, ils peinent à laisser leurs outils pour faire place à leurs pensées.
Les sentiments sont tus mais le corps et l'esprit sont naturellement offerts au vent comme la petite Ingrid qui préfère de loin son île aux bancs de l'école qui lui a défait son sourire. Les élans tristes ou passionnés sont contenus quitte à ce qu'ils déferlent un jour puissamment sans aucune digue pour les retenir.

Quelle magnifique écriture façonnée comme une pierre précieuse ! Poétique, réaliste, elle m'a poinçonné le coeur. Je me suis raccrochée à ce radeau de petits bonheurs solidaires qui navigue sur l'eau malgré la violence des éléments et les blessures de l'existence. Je me suis profondément attachée aux membres de la famille Barrøy qui ne font qu'un avec la mer. Indomptables et fiers, femmes et hommes sont attachés à leur bout de terre lointain.

La maison sur l'île est un havre de douceur, côté sud ou côté nord qui ont leur préférence selon les saisons . Roy Jacobsen a des yeux de divin en faisant voir et toucher la belle vaisselle polonaise, la nappe aux minuscules fleurs rouges et jaunes reliées par des sarments verts. Tout est beau et simple. Et pourtant le regard n'est jamais le même ni les couleurs de l'horizon.
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Sur l'ile de Barrøy, survit l'unique famille qui a donné son nom à cette minuscule île de Norvège, battue par tous les vents et proches d'autres îles un peu plus importantes. En ce début du XXème siècle, Martin le patriarche a laissé son fils Hans prendre les choses en main avec sa femme Maria, et Barbro, fille de Martin, un peu attardée, est cantonnée aux tâches pénibles mais faciles. Et puis il y a Ingrid, fille unique de Hans et Maria, une petite fille intelligente, curieuse, témoin de la vie sur l'île et qui sera amenée à continuer la tradition familiale avec d'autres membres qui vont s'ajouter à la famille, Lars, fils de Barbro, puis Félix et Suzanne.

Les invisibles, ce sont les membres de cette famille isolée sur leur île, qui déploient toute leur énergie pour survivre, développer l'activité économique d'autosuffisance, construisant remise, séchoir à poisson ou quai pour développer le commerce qui se résume quelquefois à du troc, mais qui dans la dureté de leur vie, essaient d'améliorer le quotidien et de réaliser quelques rêves, une vie difficile ponctuée par les campagnes de pêche dans les Lofoten en hiver pour dégager de l'argent sonnant et trébuchant.
Les invisibles est un roman âpre autant que la famille que l'on voit vivre au gré des saisons, des tempêtes, des choix des uns et des autres...On sent les événements historiques toucher l'île mais avec les sons et les sensations amorties par la distance, les événements climatiques, le temps, on évoque la discussion de Suédois qui évoquent la guerre, l'écroulement du marché avec ce que l'on devine être la crise de 29, des événement qui ont des répercussions sur les îliens dans leur vie quotidienne, mais ne la changent pas complètement. Les invisibles ce sont également les relations entre taiseux, qui n'expriment que maladroitement leurs sentiments, enfouissent ou taisent leurs envies et leurs rêves, puis lâchent des mots crus ou des mouvements violents, a coups de baffes ou coups de tisonnier, une vie d'autarcie, d'autosuffisance mais non exempt de friction et de violence.
Même si j'ai apprécié l'ambiance bien rendue de cette vie âpre et dure, j'ai trouvé le style assez terne, oscillant entre poésie - le lieu et les conditions s'y prêtent - et des conversations triviales, un chaud et froid qui ne m'a pas spécialement séduite et la répétition des événements sur plusieurs années est quelque fois lassante.
Une lecture mitigée pour un roman âpre décrivant bien une nature qui est l'un des personnages principaux...
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Les invisibles raconte la vie des Barrøy, l'unique famille installée sur l'une des dix milles îles et îlots qui bordent la côte norvégienne. La famille est propriétaire de cette île, si petite qu'elle est juste un écueil sur l'océan, un point invisible sur la carte du pays mais un univers à elle seule.
A la fois paysans et pêcheurs, les pieds ancrés dans la terre et le regard tourné vers la mer, enfants comme adultes y mènent une vie de dur labeur, de vide, de solitude et de gravité. de quoi mourir d'épuisement et d'ennui s'il ne fallait sans cesse veiller à entretenir le fragile équilibre du rapport entre les bêtes et les hommes, la terre et la mer afin de se maintenir à flot pour que l'île ne se transforme pas en radeau pourri.
Il leur faut constamment lutter pour survivre, rester libre et maître de leur destin. Pour tous c'est une existence rude, sans aucun confort, laissant peu de place aux paroles et aux sentiments qui s'expriment silencieusement. Mais dans ces silences on devine leurs espoirs et leurs rêves. Et leurs craintes.
C'est un roman à la fois captivant et déconcertant par son ton presque monotone, à l'image de la vie insulaire. Il est aussi déroutant par sa la géographie car il n'est pas évident de s'y retrouver parmi les îlots de l'archipel et les Barrøy étant des gens de peu de mots, certaines situations paraissent un peu obscures, difficiles à vraiment bien comprendre.
J'ai cependant été totalement séduite par cette escale norvégienne et je ne peux que vous conseiller de vous embarquer vous aussi pour cette belle lecture franchement dépaysante.
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« Il avait sa manière à lui de se relier à la nature. Il avait développé une présence attentive à l'environnement. Il habitait si petitement ce monde, mais il lui rendait, à sa manière, grandement hommage. C'était un invisible qui n'avait d'yeux que pour le visible. »

Cet extrait n'est pas de Roy Jacobsen, mais de Jean-Noël Rieffel, dans « Eloge des oiseaux de passage », dont je viens de faire la critique.
Le personnage dont il parle ne vit pas aux Lofoten. Il n'habite pas sur une île minuscule où les rares habitants doivent faire face à une nature hostile.

Il sillonne des rues résidentielles en jaune fluo, il croise à longueur de journée d'autres passants, pressés et concentrés, comme les jus de fruits qu'on met en bouteilles.
Ceux-là déferlent en tous sens, comme les torrents des montagnes, translucides et insouciants. Comme des fourmis affairées à leur unique préoccupation, ils avancent dans la masse, la tête en bas, pour se faufiler sans se toucher.
Ils regardent le sol, las, dodo si facile à mirer, mais ils dénotent, hors de portée, sans voir le va-et-vient cadencé du balai qui rythme les trottoirs, d'une lenteur monotone.
Entre les mains du gilet jaune au masque bleu, qui collecte feuilles mortes, papiers, tickets de métro et mégots de cigarettes.
Il ne respire pas l'air pur du large, n'a pas ce sentiment de solitude intemporelle, il n'est que le cantonnier d'une municipalité, si pâle, alité pas encore, mais insensible à ces humains qui l'entourent, qui ne le voient pas dans cette jungle urbaine où les sons ne sont que des bruits inaudibles et assourdissants.
Il fait fi de cette foule hagarde, il a les yeux rivés au ciel à scruter le moindre vol, à épier le discret pépiement, il observe le visible au naturel.

Les invisibles sont partout, aux yeux de tous, pour qui sait s'en servir.
Il y a soixante ans, le biologiste Jean Rostand s'interrogeait :

« Il est des moments où je me demande si nous ne serons pas les derniers amants du réel, les derniers à nous servir passionnément de nos yeux pour rendre justice aux féeries du visible. »

On ne sait plus se servir de nos yeux, alors que nous sommes de plus en plus nombreux porteurs de lunettes.
Triste paradoxe d'une société qui refuse de voir le détail, obnubilée par l'effet de masse qui obscurcit l'horizon. Habituée aux écrans réducteurs, notre vue se rétrécit, et n'arrive plus à voir l'essentiel.
Même dans le brouillard, les îliens autochtones gardent une visibilité intacte. Ils connaissent leur environnement à la perfection, se réfèrent à tous les endroits qu'ils ont sillonnés, qu'ils ont imprimés dans leur mémoire, sans GPS.

C'est l'histoire d'une famille qui vit sur une île, au large de la Norvège, seule occupante des lieux vu la petitesse de l'endroit. Nous sommes au début du XXe siècle et Ingrid est une petite fille qui va être baptisée ; nous la suivrons jusqu'à l'âge adulte et c'est à travers elle que nous voyons d'abord le reste de la famille. Il y a là le grand-père Martin, puis les parents d'Ingrid, Hans et Maria, et la soeur de Hans, Barbro, un peu simplette.
La vie est dure sur l'île, le quotidien difficile, le père part tout l'hiver pêcher aux Lofoten. Ils ont tout juste le nécessaire et doivent se montrer ingénieux pour assurer leur subsistance dans ce lieu battu par les vents, livrés aux éléments où ils restent parfois isolés quelques jours parce qu'ils ne peuvent pas prendre la barque qui les mène au continent, juste en face. Là, se trouve l'usine avec laquelle ils font quelquefois commerce.
« Mais une île, c'est grand comment ? Il y a à peine un kilomètre du nord au sud et un demi-kilomètre d'est en ouest, elle possède de nombreuses buttes, des creux de terrain, des vallées herbeuses, elle est découpée par des criques profondes, des pointes tourmentées et trois plages blanches. Et même si, par une journée normale, ils peuvent surveiller les brebis du haut de la cour de la ferme, ce n'est pas si simple de garder un oeil sur elles quand elles se couchent dans les hautes herbes. Et cela vaut aussi pour les gens, même une île a ses secrets. »
Le roman se déroule sur un mode contemplatif, si l'environnement est rude, il est aussi magnifique, surtout à l'époque où le soleil ne se couche pratiquement plus. L'auteur ne décrit pas par le menu ce que pensent les personnages, mais nous le comprenons facilement à travers les actes des uns et des autres. Toute une vie palpite derrière une apparente immobilité. L'isolement rend les liens plus forts entre les membres de la famille. La pauvreté règne, mais Hans s'efforce de trouver des solutions pour améliorer leur vie.
Maria sait rester à sa place mais n'est pas une épouse inexistante. Elle a son mot à dire et ne se gêne pas pour le faire quand les décisions de Hans ne lui conviennent pas. Les caractères sont bien trempés. Ingrid observe toute cette vie autour d'elle et engrange les informations qui pourront lui être utiles plus tard.
L'île n'est pas loin de la côte et il y a des allers-retours fréquents, pour les achats, aller à l'école, éventuellement travailler. Il y a quelquefois des visiteurs, pas toujours bienveillants. Les années passent, avec leur lot d'épreuves, mais toujours les occupants reviennent dans l'île, leur point d'ancrage. Leur lieu de confinement, où le silence n'est pas un vide, mais une absence de son qui s'écoute.
« Sur une île, le silence est plus brutal que celui qui peut s'abattre sur la forêt, sans prévenir. La forêt est souvent silencieuse. Sur une île, il y a si rarement du silence que les gens s'arrêtent net, regardent autour d'eux et se demandent ce qui se passe. le silence les étonne. Il est mystérieux, presque chargé d'espoirs, c'est un étranger sans visage vêtu d'un manteau noir qui arpente l'île à pas feutrés. Sa durée varie selon les saisons, le silence peut durer longtemps dans le gel de l'hiver, comme lorsqu'il y avait de la glace autour de l'île, mais celui de l'été est toujours comme une petite pause entre un souffle de vent et un autre, entre le flot et le jusant, ou pendant ce miracle qu'est l'instant où l'homme cesse d'inspirer avant d'expirer. »

La force du roman réside dans l'équilibre entre la description du quotidien et l'évolution des personnages auxquels on s'attache. Ils restent droits dans les épreuves, on ne triche pas dans un tel environnement et les enfants sont contraints de devenir des adultes avant l'heure, écrasés sous les responsabilités.
Les invisibles ne sont pas ceux que l'on croit. Ces îliens se connaissent tous, ils existent aux yeux de tous, bien plus que nous, anonymes dans la foule infernale. Ils ont soif d'idéal, montent les voiles, observent les étoiles, que des choses pas commerciales.
Leur ciel est clair, bien plus que nos idées, qui se donnent en spectacle sur les réseaux sociaux. Plus nous avons de suiveurs, plus nous sommes seuls.
Ils ne sont pas suivis, mais ils sont solidaires.
Leur décor est grandiose, nos écrans moroses.
Nous sommes un troupeau transparent muni d'oeillères.
Ce sont des invisibles qui n'ont d'yeux que pour le visible.
Un petit bonheur réconfortant.
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