Entre ce roman, considéré comme de la première période du grand écrivain, et la nouvelle L'élève que j'ai lu d'une seule traite juste avant, quelle différence d'approche, et pourtant, seuls 11 ans les séparent.
Personnellement, je préfère le non-dit, le cours énigmatique, l'inquiétante étrangeté que l'on trouve dans la nouvelle, (comme c'est le cas de beaucoup d'autres, telles
le tour d'écrou).
Ici la narration est claire, brillante, incisive ; les chapitres sont courts et construits autour d'une seule péripétie de l'intrigue.
Une intrigue simple, mais qui donne la part belle aux analyses des caractères.
Mais, à part la jeune Catherine Sloper, que l'on peut considérer comme physiquement quelconque et niaise, mais que pour ma part, je considère comme la seule personne « normale » du roman, une femme simple, bonne (mais pas c….., je trouve), tous les autres protagonistes sont antipathiques, voire totalement affreux.
Il y a le père d'abord, le Docteur Sloper, un père tyrannique et sans coeur, qui n'a pas supporté la mort de sa femme juste après la naissance de sa fille, qui ne la retrouve pas dans sa fille, dont il méprise l'absence de beauté et d'esprit, tout en affirmant l'aimer. Médecin très riche, veuf d'une femme d'une grande fortune, il va veiller de façon obstinée, presque maladive, à ce que sa fille ne tombe dans les mains d'un capteur d'héritage. Et ce n'est pas joli, joli.
Il y a sa soeur Lavinia, que le Docteur Sloper héberge dans sa grande maison de
Washington Square depuis la mort de son époux, une intrigante incorrigible, une entremetteuse malsaine, dont les manigances autour de sa nièce Catherine, seront toujours néfastes.
Il y a enfin ce Morris Townsend, beau jeune homme brillant et plein d'entregent, qui va séduire Catherine, mais dont le Docteur Sloper va tout de suite sentir le coureur de dot, et dont l'enquête qu'il va mener va rapidement lui confirmer que le prétendant est un égoïste, un paresseux, un homme sans scrupules.
Tout le roman va décrire les manoeuvres cruelles, sans pitié, d'un père manipulateur, en vue de convaincre sa fille de ne pas épouser ni fréquenter ce Morris, celles pleines de mensonge, de calcul, de pression psychologique et de rage du jeune homme auprès de Catherine, et enfin celles, ambiguës et perverses, de la tante Lavinia dont la fausseté de jugement fera aussi beaucoup de dégâts.
Au milieu de tout cela, la pauvre Catherine va d'abord s'éprendre follement de Morris Townsend, mais se trouver écartelée entre l'amour pour ce dernier et la fidélité à un père qu'elle adore mais qu'elle craint.
Et finalement sa simplicité de coeur, sa placidité, sauront la guider pour affronter l'épreuve de la trahison, et, une fois les yeux ouverts, se détacher de tout, son père compris.
C'est une histoire bien cruelle dans un milieu bourgeois bien comme il faut, une analyse psychologique acérée et sans concession, mais j'ai trouvé ce roman plutôt conventionnel et d'une certaine affectation.
Et pour reprendre cette phrase mainte fois répétée de
Proust, « chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même, etc… », je suis content d'avoir lu ce roman, mais ce n'est pas ma « tasse de thé » (même avec une madeleine!). C'est la part incontournable de subjectivité à laquelle on ne peut échapper quand on fait la critique d'un livre.
Dernière remarque. le roman est un écrit à la manière d'une biographie de Catherine Sloper, et le narrateur se permet de donner son avis sur l'histoire, ce qui m'est apparu fort artificiel.