Il s'agit du premier tome d'une nouvelle série, indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016, coécrits par
Jeremy Haun &
Jason A. Hurley, dessinés et encrés par Haun, avec une mise en couleurs de
John Rauch. Il commence par une introduction d'une page de
Scott Snyder qui en dit tout le bien qu'il pense.
Il y a 2 ans, une nouvelle maladie sexuellement transmissible est apparue sur Terre. le symptôme est qu'elle transforme l'individu infecté en un modèle de beauté, grand élancé, musclé pour les hommes (mais sans excès), avec des rondeurs bien placées pour les femmes (sans aller jusqu'à des tailles de bonnets exagérées), avec une peau discrètement plus satinée et brillante. Aujourd'hui, une femme affectée par ce virus appelé la Beauté entre en combustion spontanée dans une rame de métro. L'affaire est confiée à 2 inspecteurs de police : Kara Vaughn (elle-même affectée par le virus Beauté) et Drew Foster. le matin, ce dernier explique à sa femme Janna qu'il doit partir pour ce cas. Après un temps consacré à l'investigation, ils sont interrompus par l'agent Brandon du CDC (Center for Disease Control) qui les dessaisit de l'affaire car elle s'avère d'importance nationale.
De retour au commissariat, Vaughn et Foster sont affectés sur un autre dossier : interpeller Eddie Bennett, l'un des principaux activistes anti-Beauté. L'interpellation ne se passe pas très bien. L'agent Brandon rend compte des résultats de son intervention au sénateur Timothy Robeson qui a des intérêts pharmaceutiques dans cette histoire (et qui rend lui-même compte aux époux Abernathy). Alors que le nombre de cas de combustion spontanée augmente, l'organisation des activistes anti-Beauté prend contact avec Vaughn et Foster.
Jeremy Haun n'est pas un artiste très prolifique, il a un peu travaillé pour Image (The Darkness rebirth) et pour DC sur Batwoman. Il propose une série toute nouvelle, alimentant ainsi la corne d'abondance de l'éditeur Image dans les années 2010, avec une variété de titres et de genres sans fin. le point de départ du récit est à la fois très malin et un peu convenu. le lecteur est immédiatement séduit par ce concept de maladie sexuellement transmissible qui transforme les individus en canon de la beauté. Il s'agit d'une idée assez ironique puisque finalement c'est la possibilité pour l'humanité d'atteindre un de ses objectifs : devenir beau quel que soit l'individu, sans effort diététique ou physique. C'est assez moqueur car comme achèvement de l'humanité, être physiquement beau reste assez dérisoire par rapport à des aspirations plus sociales, politiques, intellectuelles ou spirituelles. D'un autre côté, c'est un peu convenu car les canons de la beauté retenus par
Jeremy Haun sont ceux vendus par les marques de produits de beauté, par les responsables marketing de produits en tout genre, à l'échelle de la planète.
En découvrant la première page, le lecteur est agréablement surpris.
Jeremy Haun réalise des dessins de type réaliste avec un bon niveau de détails. Cette page comprend 4 cases de la largeur de la page, un plan fixe sur une rue piétonne. le lecteur observe les différentes personnes avec des morphologies différentes, des tenues vestimentaires différentes, l'impression que ces passants sont effectivement en train de marcher et de se déplacer, des façades d'immeuble plausibles. Les personnes atteintes de Beauté ne disposent pas d'une aura écrasante, mais
John Rauch les fait discrètement ressortir avec leur peau mordorée.
Tout au long de ces 6 épisodes, le lecteur apprécie ce niveau d'implication de l'artiste, tant pour les accessoires, les tenues vestimentaires et les endroits.
Jeremy Haun a l'art et la manière de donner de la crédibilité à chaque endroit : le bureau du chef de Vaughn & Foster, les toilettes femmes du commissariat, la cuisine des Foster, un parking souterrain, une salle de cinéma désaffectée, un énorme bureau dans les locaux d'un grand magazine, l'installation souterraine des activistes anti-Beauté, etc. Haun apporte le même degré de finition dans les vêtements ou les accessoires, variant même les modèles de monture de lunettes de vue en fonction de qui les porte. le lecteur a donc vraiment l'impression de s'immerger dans des environnements crédibles et plausibles, sans exagération visuelle qui nécessiterait un supplément de suspension consentie d'incrédulité.
Dans la deuxième séquence, le lecteur constate également que
Jeremy Haun détoure beaucoup d'éléments avec un trait fin, sans ajouter d'aplats de noir dans ces surfaces, ou de hachures pour leur conférer une texture. Ce parti pris graphique constitue un frein à l'immersion du lecteur pour certains décors. Ces derniers restent bien conçus et bien montrés, mais ils manquent parfois de consistance. Ainsi cette deuxième séquence montre une femme atteinte de Beauté entrer en combustion spontanée. Les parois du wagon sont dépourvues de toute publicité, de tout graffiti, de toute usure ou toute dégradation.
John Rauch a beau ajouter de discrets motifs dans ses couleurs, ces parois restent factices. Lorsque le sénateur Robeson se présente à madame et monsieur Abernathy, ils se tiennent dans leur bibliothèque. Les étagères sont remplies de livres, mais uniquement détourés de traits simples, sans spécificité, sans crédibilité.
John Rauch a beau varier la couleur des dos de chaque tome, le lecteur a l'impression de regarder un modèle de démonstration rempli de livres factices. Cette absence de texture diminue également l'impact de la représentation des corps dénudés (peu nombreux, mais représentés de face sans fausse hypocrisie quant à a nudité).
Convaincu par la majeure partie des visuels, le lecteur ressent l'impression d'être dans une série télé policière de bonne qualité, sur la base d'une idée très accrocheuse. Il apparaît que les coscénaristes ne se contentent pas de jouer avec la contamination et la réaction des infectés, ni avec des individus qui prennent soudain feu. Ils proposent une vision assez cynique de la société américaine, dans laquelle les intérêts financiers sont entremêlés aux intérêts politiques (le double positionnement du sénateur Robeson), dans laquelle le capitalisme règne en maître (l'entreprise pharmaceutique dont l'objectif premier est le profit et non la santé). Ce qui est le plus terrible est que cette vision provient directement du monde réel. Comme pour les dessins, le scénario n'exige pas beaucoup de suspension consentie d'incrédulité. Néanmoins le point de départ original assure que le lecteur n'ait pas l'impression de lire un journal d'actualités.
Le temps d'une ou deux séquences, le lecteur se demande si les auteurs n'en font pas un peu de trop en intégrant des éléments pour ratisser plus large. Il y a donc 2 ou 3 corps dénudés (mais finalement dénués de séduction érotique du fait de dessins trop académiques), un politique aux pratiques très discutables, et même une relation homosexuelle. Pourtant ces doutes sont atténués parce que finalement Haun et Hurley savent faire exister leurs personnages. Ainsi ces éléments ne sont pas de simples dispositifs narratifs au fonctionnement mécanique. Ils émanent de la personnalité des protagonistes, ils leur donnent plus d'épaisseur, ils servent à nourrir l'intrigue. En particulier les relations entre le couple homosexuel sont basées sur l'affection et la confiance, sans aucune image racoleuse, choquante ou provocatrice.
Comme il est de coutume dans le monde de l'édition des comics, ce tome porte le numéro 1. Début 2016, les épisodes du tome 2 sont en chantier. Les auteurs racontent un thriller rapide sans être frénétique. Les dernières pages apportent une résolution satisfaisante à l'intrigue principale. le lecteur sent qu'une suite est possible, mais il ne ressort pas frustré de sa lecture car l'histoire pourrait également s'arrêter là.
Le tome se termine avec la reproduction des différentes couvertures et couvertures variantes, au nombre total de 20. En particulier, le lecteur apprécie celles de
Jeremy Haun, Jenny Frison, la photographie des auteurs singeant l'une des couvertures alternatives de la série Sex Criminals (la quatrième impression du premier épisode),
Ben Templesmith,
Christopher Mitten,
Riley Rossmo,
Mike Huddleston, ou encore
Greg Hinkle.
Au final, ce tome comprend une histoire complète, un thriller bien troussé qui prend comme point de départ une maladie sexuellement transmissible : la beauté. Les auteurs n'exploitent pas à fond ce concept philosophique, mais ils proposent un récit comprenant plusieurs facettes, noir sans être glauque. Les dessins de
Jeremy Haun permettent un bon niveau d'immersion, même s'ils manquent parfois d'un peu de texture.