J'arrive tranquillement au bout de « Même pas mort », premier volet du cycle des "Rois du Monde" de
Jean-Philippe Jaworski.
Il s'agit de la jeunesse de Bellovèse, prince orphelin du roi des Turons, au bénéfice de son oncle, le haut roi des Bituriges. Exilé avec sa mère et son frère Ségovèse, il est placé sous la surveillance et la bienveillance de l'un des héros du haut roi, Sumarios. Toujours chevelus et pas encore admis dans la compagnie des hommes, Bellovèse et Ségovèse prennent le chemin des armes à l'occasion d'une guerre arverne. C'est au cours du premier affrontement de sa vie que Bellovèse se fait perforer le flanc droit et aurait dû mourir. Sa survie improbable lui vaut un interdit qu'il lui faut lever en se rendant à l'île des Vieilles.
C'est ainsi que plusieurs récits s'enchâssent, finissant par s'entremêler dans les fièvres de l'enfant poursuivi par un monstre invisible et celles de l'adolescent percé d'une lance, encadrées par cette figure presque tutélaire d'un Bellovèse d'âge mûr et au faîte de sa gloire. A quel âge sommes-nous ? Qui rêve ?
J'ai trouvé que la deuxième des trois parties du livre, intitulée « Les marches ambrones », accusait quelques longueurs. C'est celle qui s'attache à suivre le départ à la guerre de Bellovèse et de son frère et si chacun des événements qui y prennent place sont intéressants et riches de sens, ils auraient peut-être gagné à être plus condensés. Cette partie du récit ne m'a finalement emporté que dans ses dernières pages… justement quand tout s'est accéléré. Il fallait emprunter le chemin pour y parvenir, mais on n'avait peut-être pas besoin d'autant le rallonger.
De ce point de vue-là, la première partie « L'île des Vieilles » pèche également un peu dans ses premières pages et je pense qu'il faut un peu s'accrocher. J'ai découvert
Jaworski avec «
Gagner la guerre » que j'ai aimé de bout en bout. Mais « Même pas mort » n'est pas une copie et se déroule dans un univers très différent, et Bellovèse rappelle bien plus le Resplendissant du Vieux Royaume que Benvenuto. J'ai donc buté et douté en lisant les premières pages, pas certaine d'adhérer au monde celte et ennuyée par ces longueurs. Mais j'aurais eu tort de laisser tomber.
La dernière partie « L'île des Jeunes » fait référence à cette destination vers laquelle tend un Bellovèse suffocant d'une lance plantée dans le torse. A demi-mort, c'est là qu'il renoue avec ses souvenirs d'enfant et que l'on ne sait plus qui de l'adolescent ou de l'enfant rêve de l'autre. Les courses à la fois physiques, intimes et mystiques à travers une forêt habitée de légendes et de dangers, courses menées par un vieux fou un peu devin, et ponctuées de rencontres à la lisière du réel.
La construction du roman prend finalement tout à rebrousse-poil. C'est dans « L'île des Jeunes » que se nouent les premiers liens entre Bellovèse et les deux compagnons qui l'attendront aux abords de « L'île des Vieilles », mais aussi avec les héros celtes dont il partagera la guerre dans « Les marches ambrones ». J'ai bien aimé le parti-pris de ne pas faire les présentations de façon un peu artificielle en début de livre, mais plutôt de remonter petit à petit le fil des peurs, des tensions et des confiances. J'ai aimé que les personnages soient construits au travers du regard subjectif et forcément limité de Bellovèse. J'ai aimé pressentir les mystères autour de Suobnos ou d'Albios, autour de Sumarios et de Troxo… et accepté que Bellovèse ne parvienne pas à les percer pour l'instant.
Concernant le style de
Jaworski dans « Même pas mort », il me semble qu'il est plus ardu que dans «
Gagner la guerre ». Je comprends bien le plaisir qu'il y a à jouer avec les mots – et ça pique la curiosité – mais j'imagine qu'il faut aussi faire quelques compromis si on ne veut pas perdre en chemin des lecteurs moins familiers des mots.
Le contexte permet de comprendre la plupart des expressions qui pourraient poser problème. Mais je m'interroge tout de même quand aucun dictionnaire en ligne ne connaît le mot « ai » (autrement que pour le paresseux des mots croisés) et que le titre offert en référence pour l'expression « ais disjoints » est «
Les mystères de Paris » d'
Eugène Sue publié en… 1843. Tout ça pour parler de bêtes planches disjointes, ce qu'on comprend aisément par le contexte, et ainsi éviter une redondance. A noter également quelques termes très spécialisés avec lesquels on aura peu d'occasions de briller en société, à moins de fréquenter une bande d'archéologues du gallo-romain.
De façon générale, je trouve que « Même pas mort » est d'un abord plus rude et une lecture un peu plus exigeante que «
Gagner la guerre ». Cela se justifie un peu par le fait qu'il aborde la civilisation mal connue des Celtes, se rapporte à un univers nettement plus guerrier. Mais il aurait gagné en contrepartie à être un peu plus condensé sur certains passages, sans pour autant que ça nuise à l'histoire et aux personnages. C'est un peu dommage mais pas suffisant pour m'empêcher de continuer à découvrir la suite des « Rois du Monde » !