"Et si tous ses éclats, aussi dispersés et coupants qu'ils aient été, avaient parfois réussi à disperser une telle lumière ?"page 189.
Une interrogation, pour deux histoires d'amour, l'une immortalisée sur la toile de Georges de la Tour, l'autre, celle encore vivace de sa rupture avec B. l'être aimé.
Gaëlle Josse écrit les pages de "
l'Ombre de nos Nuits", assise devant ce tableau si intime qui fait revivre Saint-Sébastien dont le corps est traversé de flèches, que tente d'enlever une servante.
Le roman entrelace deux chagrins, deux renoncements, et peut-être même deux échecs.
Gaëlle Josse passe de l'un à l'autre, du tableau à son histoire personnelle, l'un éclaire l'autre, et s'agissant de Georges de la Tour, c'est la lumière qui est au centre de ses pensées.
Dans le tableau de Georges de la Tour, une jeune femme soigne le blessé, c'est la propre fille du maître qui prend la pose, Claude. C'est Claude qui est la femme aimée, par celui-la même qui assiste le maître, le jeune Laurent devenu par son travail, l'apprenti délicat, et vigilant de Georges de la Tour.
Pendant toutes ces séances de pose c'est Laurent et non Étienne le fils du maître, qui aide la jeune fille, la rassure, lui permet d'exprimer toute sa grâce, sa fragilité et sa fraîcheur.
La rencontre entre
Gaëlle Josse et l'ingénieur, répond à la même géographie amoureuse, entrelacs de lignes de la main ou d'arborescences qui bientôt inondent les deux amis. La voix grave et ombreuse de
Léonard Cohen, "Dance me to the end of love", caresse en boucle ses pensées.
Puis viendra le temps des interrogations, des doutes, comme ces fragments de discours amoureux, qui savent si bien construire les premiers pas de la désillusion.
Laurent, malgré les honneurs que Georges de la Tour a recueillis auprès du roi sent bien qu'il lui faudra s'émanciper pour grandir encore, mais n'a-t-il pas emporté avec lui une copie du portrait fragile de Claude.
Quant à
Gaëlle Josse, assise devant ce sublime tableau, n'a-t-elle pas de profonds regrets pour cette histoire qui semblait prête à l'emporter.
Entre la découverte de ce tableau peint par Georges de la Tour en 1639, tableau plus intimiste que d'autres scènes peintes, comme le Tricheur, et les réflexions d'un coeur meurtri par une aventure sans lendemain,
Gaëlle Josse, dans la même veine que pour
les heures silencieuses, dissèque avec élégance et finesse, les failles et les qualités de ses personnages.
À la lumière des chandelles, et dans le labyrinthe des ombres, avec pudeur elle nous attache à la nostalgie qui se dégage de sa rupture, lui donne une coloration moins douloureuse, sans regretter les moments de bonheur. L'histoire du tableau révèle aussi que les oeuvres d'art, sont le fruit de passions amoureuses, de ruptures et de moments de grâce.
Un grand moment d'émotion, de redécouverte de ces tableaux de Georges de la Tour restés si longtemps dans l'ombre, ( Trois siècles d'oublis, Beaux Arts N° 148 : 1997 / 1998) .