"Comme la vie est lente et comme l'Espérance est violente"
Apollinaire -
le pont Mirabeau
Quand on me demande quels sont mes auteurs préférés le nom de
Gaëlle Josse vient rapidement dans ma liste. Découverte avec
le dernier gardien d'Ellis Island je ne l'ai plus quittée depuis et ses romans suivants
L'ombre de nos nuits, et
Un été à quatre mains m'ont enthousiasmée. J'aime les thèmes qu'elle aborde et surtout son écriture sensible et poétique, je n'aborde jamais un livre de Gaëlle sans un bon paquet de post-it... J'ai eu la chance de la rencontrer, je la suis sur les réseaux sociaux et j'apprécie autant la femme qu'elle est que l'auteure. J'ai lu "
Une longue impatience" deux fois et ai mis des semaines à rédiger ma chronique car trouver les mots pour parler d'un tel livre ne m'était pas simple.
L'histoire se déroule dans un petit village breton et commence en 1950 dans la période si particulière de l'après guerre. Anne, la narratrice, est confrontée au départ brutal de Louis, son fils de seize ans, sans un mot d'explication après une terrible dispute avec son beau-père Étienne Quémeneur qui ne supportait plus "ce témoin encombrant d'une autre vie" depuis la naissance des deux jeunes enfants du couple. " Il a décidé de partir en me laissant l'absence et le silence pour seul souvenir." A force de violence physique et verbale, Louis s'est senti indésirable alors que sa mère était écartelée entre son fils et son mari, reconnaissante envers Étienne de l'avoir sortie de la misère alors qu'elle se battait pour survivre seule avec son fils après la disparition en mer de son mari.
Ce remariage avec le riche Étienne Quémeneur, pharmacien, a propulsé Anne, pauvre veuve d'un pêcheur, dans un autre monde. Elle vit dans une grande et belle maison qu'elle n'a jamais pu considérer comme la sienne, dans un village où les ragots vont bon train, où elle est jalousée pour son ascension sociale. "Je sens cette jalousie, cette acidité envers ceux qui ont échappé à leur condition".
Depuis le départ de Louis, Anne attend son fils avec pour seuls objectifs de ne pas perdre pied, résister à l'attraction des eaux tourbillonnantes du Trou du diable. Chaque jour elle monte sur la corniche au bout du sentier face à l'océan et guette les bateaux à l'horizon, car elle a appris qu'il a réussi à embarquer sur un cargo. Seule sur son avancée rocheuse au bord de la falaise elle guette... Tous les jours elle trouve ensuite refuge dans la petite maison de pêcheur aux volets bleus où elle vivait avec Louis et son père. Sa vie se résume à ce chemin, aux deux maisons et à l'obsession de tenir debout pour sa famille en accomplissant les gestes du quotidien.
" Son absence est ma seule certitude, c'est un vide, un creux sur lequel il faudrait s'appuyer, mais c'est impossible, on ne peut que sombrer, dans un creux, dans un vide."
Le roman raconte cette attente, les souvenirs que se remémore Anne et les lettres qu'elle écrit à son fils pour lui décrire le festin qu'elle prévoit pour son retour, un festin tout en couleurs et en odeurs de la Bretagne. le tout se déroule sur une durée qui n'est pas précisée mais les saisons et les années défilent...
Gaëlle Josse a fait le choix de centrer son récit sur les sentiments d'Anne, son mari qui "l'a sauvée et détruite" reste à la périphérie du récit avec son silence, son remords et son impuissance. Les deux jeunes enfants du couple grandissent dans l'absence de Louis alors que les villageois "aux vies étriquées et aux regards envieux" observent derrière leurs rideaux.
Gaëlle Josse restitue à merveille l'atmosphère de la Bretagne qu'elle semble bien connaitre. La rigueur des éléments, le vent, les marées, la rude vie des pêcheurs, l'angoisse des femmes de pêcheurs, l'océan et son lot de malheurs, les chapelles et calvaires en granit, les mouettes, les hortensias, camélias, genêts et bruyère de la lande... Tout y est...
Gaëlle Josse a brossé un portrait d'une mère inoubliable "torturée par l'absence, par l'attente, par le silence, par l'inquiétude, par le remords" et a eu la très belle idée de ponctuer son attente par de magnifiques lettres adressées à Louis. Dans ce roman, chaque mot, chaque phrase sonnent juste pour retranscrire les ressentis d'Anne et son amour maternel. le poids des différences sociales, la question des familles recomposées, la culpabilité, la dette, l'amour et le pardon sont également présents dans ce récit empreint d'une douce mélancolie qui se termine d'une façon bouleversante.
J'ai vécu la lecture de ce roman tout en délicatesse et sensibilité comme un pur moment de grâce.
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