Cabotin, il fit un geste circulaire plein de
munificence et je dois dire qu’il ne manqua pas
de théâtralité.
— À la lettre S, sur la rangée du fond, en bas à
droite, votre Simenon m’a mis en garde quant à la
nature européenne. Que de poésie subtile dans votre
désespérante rêverie des bas‑fonds de la conscience
humaine. Bien entendu Le locataire m’a touché au
coeur, mais la délinquance civile et le crime contre
l’État ne doivent pas être confondus avec, disons,
l’indulgence littéraire. Sommes‑nous d’accord ?
— C’est pourquoi je vous ai demandé si vous
n’aviez pas mieux à vous occuper, de cela nous
sommes d’accord.
— J’ai étudié vos existentialistes, ils sont
remarquables, eux aussi, l’absurde est une notion
qui n’a pas cours en Égypte vous vous en apercevrez
incha’Allah .
Il était accompagné d’un collègue de la même
esthétique qui collait bien avec le café Impérial. Je
crus me trouver à Lisbonne au Café Martinho da
Arcada dans l’attente d’y voir venir Fernando
Pessoa. Parce que leurs tenues vestimentaires
étaient semblables à celles de l’intranquille poète
lisboète. Sûrement les complets‑vestons sortaient-ils
de chez un tailleur qui avait dû connaître
apprenti les rigueurs de la coupe qu’on marque à
la craie, les renforts d’épaulettes et l’entrejambe
qui doit solennellement porter à gauche ou à droite,
question d’en parler entre hommes... Ils prirent
place devant moi. Et bien entendu ce n’était pas
dû tout à fait au hasard. Celui à la figure
chevaline barrée d’une moustache fine parla le
premier.
Un grand chagrin s’installe comme une maladie chronique. Au lendemain les cafés où ils avaient leurs habitudes lui sont tôt devenus insupportables. Le Grand Café du Nil en particulier où le garçon lui a demandé où était son habibti, à la table même où elle lui avait dit – elle lui avait dit tant de choses que nous ne savons pas… mais nous savons qu’elle lui a dit « Das Grand Café du Nil ». Ces mots qui forment le titre d’un projet mais qui ne sont que des affects il s’y accrochait comme on retient les derniers instants d’une vie qui déjà appartient au néant tutélaire.