Voilà un beau portrait de femme passionnée, très vivante et passionnante.
Ottavia Selvaggio vit à Rome. Son père est restaurateur, au grand dam de sa femme qui refuse ostensiblement de faire la cuisine à ses enfants pour manifester sa colère contre ce choix d'un métier aussi absorbant.
C'est pourtant la même voie que va choisir Ottavia, contre l'avis de sa mère, parce que la passion d'une cuisine différente et inventive l'anime plus que tout.
Et pourtant Ottavia va avoir trois hommes dans sa vie.
Le premier, Cassio, qu'elle a entraperçu dans la cuisine de son père, et pour qui elle éprouve un coup de foudre immédiat, est comme elle passionné de cuisine. Il détient un secret jusque-là jalousement gardé : la recette de la fameuse Sacher Torte que seul le grand restaurant autrichien détenait. En échange de la transmission de cette recette au père d'Ottavia, il va rentrer dans sa brigade et apprendre le métier. Avec Ottavia ils vont pratiquer ensemble pendant des heures entières, concentrés sur les tâches à exécuter, et les gestes remplaceront les paroles inutiles.
Cassio demeurera sa grande passion, même si elle le quittera sans un regard en arrière quand elle comprendra qu'il s'abîme dans l'alcool et la drogue, alors qu'il tient son propre restaurant.
Ottavia elle aussi va avoir son propre restaurant. Mais avant cela elle rencontrera un autre homme, Clem, étudiant français aux Beaux-Arts, dont elle tombe amoureuse au premier regard. Lui aussi souhaite la revoir et lui donne son adresse parisienne. Alors, quand Ottavia prend le train direction Paris, elle fonce tête baissée telle qu'elle l'a toujours fait : sans un remords, elle est prête à tout pour retrouver le bel étudiant dont elle ne sait rien.
Arrivée à Paris, elle va retrouver ce Clem qui semble l'attendre passionnément, lui aussi, mais après une soirée et nuit d'ivresse, il la laisse repartir, et ensuite ne lui donne plus aucune nouvelle : Ottavia en ressortira profondément blessée , et plongera dans le travail comme elle a toujours su le faire en apprenant la cuisine française et en rencontrant une compatriote, Marina, avec qui elle scellera une amitié durable.
Et enfin Ottavia va rencontrer Bench, un critique gastronomique, mais sur tout un homme telle qu'elle en a besoin, qui prend soin d'elle et lui donne trois enfants, et fait en tant que mari tout ce qui est nécessaire pour que la famille fonctionne, puisque bien sûr Ottavia, malgré ses maternités, se consacre toujours avec autant de passion à la quête d'une cuisine qui soit la sienne uniquement.
C'est un très beau portrait de femme parce qu'Ottavia vit intensément tout ce qui lui arrive, qu'elle ne dévie pas d'un pouce de la ligne qu'elle s'est fixée, et qu'elle avance dans la vie avec sa passion dévorante nichée au coeur de ses pensées, ses actes et la majorité de son temps de travail.
On peut la décrire égoïste, tyrannique, individualiste et même sans coeur (ses enfants craignent qu'elle les abandonne) mais elle a le mérite de la cohérence et de se dévouer à une quête qui n'aura pas de fin.
Alors quand Clem surgit du passé pour lui expliquer ce qui s'est produit suite à la nuit parisienne et veut effacer le passé pour donner un avenir à leur relation, Ottavia va hésiter. Fera-t-elle le chemin inverse et sera-t-elle prête à tout quitter à nouveau pour suivre celui dont elle est tombée amoureuse il y a quelques temps déjà ? le récit nous le dira, mais ce n'est pas le plus important.
Le plus important c'est cette flamme logée dans son coeur qui n'est pas près de s'éteindre. Quiconque a vécu auprès d'un artiste peut comprendre cette forme d'égoïsme qu'incarne celui qui vit pour sa passion. Ici c'est la cuisine (et
Julia Kerninon en parle très bien) mais ce pourrait être la peinture (comme dans « La nourrice de
Francis Bacon »), la musique (comme dans « le grand feu » de Leonor de Recondo) ou bien sûr la littérature.
Intense, ce pourrait être le qualificatif qui traduirait la vie d'Ottavia, une femme attachante parce que profondément libre de suivre le cours de sa destinée.