Ceci est une lettre ouverte à M.
Moncef Belkhayat, ancien ministre, industriel, commerçant, politicien et actionnaire majoritaire de la société Horizon Press, éditrice du quotidien économique et financier “Les Inspirations ECO”, de la web TV “Horizon TV” et du portail d'informations généralistes “LesEco.ma”, entre autres.
J'aimerai commencer ma lettre par une citation attribuée à
Ibn Khaldoun : « Les temps difficiles créent des hommes forts, les hommes forts créent des périodes de paix, les périodes de paix créent des hommes faibles, les hommes faibles créent des temps difficiles. »
Perspicace que vous êtes, vous allez certainement vous situer par rapport à la citation vers la fin de la lettre.
Depuis le début de la crise sanitaire, un élan de solidarité a été observé chez l'ensemble des marocains : Dons en valeur et en nature, soutien moral et solidarité inouïe. Jusqu'à peu, on croyait cette solidarité disparue du registre des valeurs marocaines, surtout de chez les plus riches d'entres eux. Cela me laissait un peu sceptique quant à la solidarité affichée par ces derniers, sa portée et même sa motivation. Après tout, un capitaliste libéral qui se respecte, ne donne pas d'argent sans avoir une contrepartie, sauf si on le force à le faire, mais ça, c'est une autre histoire.
Le dernier bras de fer entre votre personne, M. Belkhayat, et vos salariés prouve que la solidarité affichée ne l'était qu'en apparence. du marketing, simple et surtout méchant. Et puis un investissement en vue d'un retour sur investissement escompté auprès de l'état. Un petit jeu : on fait semblant d'aider, pour légitimiser notre future demande d'aide par la suite. Car visionnaire que vous êtes, vous avez vu venir les temps durs, et vous saviez que la main invisible du marché qui faisait votre bonheur jusqu'à peu, cessera de vous apporter sa bénédiction, et que vous auriez besoin d'un filet de sauvetage, et ce, pour l'ensemble de vos businesses, qui depuis la déclaration de l'état d'urgence, peinent à respirer. Et qui de mieux pour sauver une entreprise privée, si ce n'est l'état.
Vous n'êtes pas le seul M. Belkhayat, mais vous êtes en 1ère ligne pour défendre la position des capitalistes du royaume qui jugent que l'état devrait les sauver aussi, comme il sauve tout le reste. Un capitalisme qui se veut communiste d'un coup, privatisant les gains quand il faisait bon de vivre, et mutualisant les pertes quand la tempête est arrivée.
Sachez monsieur, que la tempête passera, mais l'histoire retiendra que vous avez refusé de payer vos salariés, et que vous vous êtes même permis de les menacer de fermer le journal, s'il le fallait.
Vous avez aussi affirmé être « dans un combat entre libéral et communistes ». Mais sans préciser qui est qui dans l'histoire.
Et puis, vous avez dit : « Ce n'est pas leur journal, c'est le mien et un journaliste est un employé d'une structure », en rappelant que « l'entreprise ne leur appartient pas ».
Oui, nous savons très bien qu'elle vous appartient, en majorité certes, mais vos actions n'écrivent pas d'articles, ne font pas d'enquêtes, et ne créent que peu de valeur. Sans l'âme du journal, ses journalistes, votre journal ne sera tout simplement pas lu, et votre argent perdu. Vous détenez des titres, mais je ne vous vois pas écrire au quotidien 30 pages que le journal distribuait il y a un moment. C'est le travail des collaborateurs sur plusieurs années qui a créé l'âme du journal, et si on veut emprunter le langage que vous comprenez : son goodwill, que vous êtes en train de détruire en si peu de temps. Rappelez-vous que les lecteurs suivent les rédacteurs, et non pas votre personne.
Après, vous alléguez avoir convaincu 80% des salariés du journal à renoncer à des montants variant entre 20% et 50% de leurs salaires, utilisant la loi de travail pour réduire les horaires de 20% envers ceux qui ont refusé votre offre, pour baisser leur salaire sous prétexte de la minimisation relative de la charge de travail. Comme s'ils travaillaient moins, par choix. Et vous dites : « Tant que nous respectons la loi, personne ne peut me forcer à quoi que ce soit. Et jusqu'à présent, je respecte la loi ». Certes, mais la loi dit aussi que les travailleurs sont tenus de respecter le confinement, et l'état a ordonné l'arrêt de la distribution des journaux, vous auriez préféré produire des journaux et les distribuer, contre la loi ?
Et puis vous dites ne pas « comprendre pourquoi le gouvernement a décidé de suspendre la presse écrite », rappelant « le droit fondamental du citoyen d'être informé ». Oui, mais il y a un droit encore plus fondamental que vous semblez omettre : le droit à la vie. Distribuer des journaux est un facteur de risque car, au cas où vous l'auriez oublié :
(1) en produisant, les travailleurs sont exposés aux bureaux et aux usines d'impression au risque du virus, et on a vu ces derniers jours, ce que le non-respect des mesures de sécurité a causé à Casablanca et à Marrakech dans des unités industrielles et commerciales ;
(2) en distribuant les journaux en format papier on expose toute une population au risque d'une propagation rapide du virus à travers le papier.
Et puis si vous semblez l'oublier, car je ne pense pas que vous l'ignorez, les marocains sont déjà passés à l'ère du numérique et consultent les news sur leurs téléphones, l'arrêt de la presse écrite ne remet pas en question leur droit fondamental à l'information. Nous sommes toujours informés, trouvez-vous une meilleure formule pour justifier vos aberrations, celle-là ne tient pas la route. Et rappelez-vous que les salariés ont aussi un droit fondamental de toucher leur salaire. Vous l'avez dit, c'est vous l'entrepreneur, c'est à vous de prendre à charge les risques de votre entreprise, comme vous en preniez les bénéfices, les salariés, sont salariés pour une raison : La sécurité que le salaire leur permet. Et la sécurité est aussi un droit fondamental, en passant.
Vous avez choisi l'entrepreneuriat alors que vous étiez un temps salarié, assumez vos choix, et acceptez la petite perte occasionnelle comme vous acceptez les grands gains dans la durée.
Le capitalisme libéral est rusé, vous en êtes la preuve, il ne prend que le bon à lui seul, et mutualise le mauvais. En temps de crise, il finance le risque à travers l'état, et l'état se finance auprès de la populace in fine, à travers les impôts. D'où ma lettre.
Je ne suis ni salarié de votre empire, ni journaliste, je suis simple citoyen qui voit les riches du pays pousser l'état à s'endetter pour sauver leurs business. Car si l'état vous sauve tous ensemble, alors qu'il n'en a pas les moyens, c'est à nous tous de rembourser les emprunts qu'il aura levé pour vous financer, alors que nous ne touchons rien de vos dividendes. Pourquoi nous, et les générations à venir, devrions vous sauver, sans contrepartie ? C'est bien ça, le libéralisme ? Ou est-ce le communisme ? Excusez-moi, je ne vous suis plus. Mais je sais que si l'état emprunte pour vous financer, il le fera au dépend de ses dépenses sociales dans l'éducation, la santé et autres, et puis se refinancera à travers les impôts. Et on sait très bien sur quelle tranche de la population l'impôt pèse le plus.
M. Belkhayat, si votre entreprise est en difficulté, et vous n'êtes pas en mesure de la sauver par vos propres moyens, cédez-la à quelqu'un qui en assumera le risque, au lieu de crier misère.
Non, l'homme d'affaires que vous êtes a eu l'audace de demander un prêt avec la garantie de l'état, pour un montant de 5,4 MMAD pour trois mois. Une modeste somme comparée à votre empire commercial et industriel. Mais que vous refusez de payer vous-même, car en vrai, vous n'êtes nullement solidaire. Ce n'était que de la pub de mauvaise qualité, comme votre slogan Khoukoum Moncef. Mais ça on le savait déjà. Enfin si vous, vous demandez l'aide de l'état et la garantie de la CCG, que ce que la PME devrait faire ? Lever des emprunts sur le marché des capitaux, ou à l'international ?
Le monde de demain ne pardonnera plus la cupidité du capitalisme, et les citoyens ne pardonneront plus les personnes qui usent de leur ruse pour tirer profit à titre personnel des richesses du pays. le citoyen de demain n'oubliera pas votre position et sera encore plus exigeant et intelligent dans ses revendications. Figurez-vous que si le peuple veut protester, il n'aura plus qu'à se confiner volontairement pour une durée, et les têtes commenceront à chauffer, puis à tomber. le boycott n'était qu'un petit avant-goût. Maintenant, le virus a ouvert la porte à une nouvelle façon de faire la chose politique : Ne plus consommer, se confiner économiquement.
Vous êtes la première affiche publicitaire de tous vos produits. Imaginez si la demande de vos produits ne reprend pas après le confinement. Juste imaginez. Et payez les pauvres salariés. 2 mois, ça passe rapidement. L'histoire retiendra les faits et les enseignements.
En espérant ne pas vous voir, ni vous ni vos semblables, lors des prochaines élections, veuillez accepter monsieur, mes salutations les plus distinguées ?
Citoyen marocain.
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