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EAN : 9782070741519
276 pages
Gallimard (26/05/1999)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Sur le ton de la fable, J. Kratochvil nous plonge dans l'absurdité du système communiste des années de 1945 à la chute du communisme, en Tchécoslovaquie, en Moravie. On assiste aux tribulations des narrateurs dont les récits se croisent et se confondent. L'un s'invente un père, quand l'autre veut échapper à celui qui se veut son père de substitution. Ce sont autant de variations burlesques et poétiques sur la meilleure façon d'être soi dans un monde piégé par l'Hist... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Au milieu des nuits un chant » est un roman « Kratochvilesque » !!! Celui d'un auteur tchèque remarquable de notre temps, dont l'écriture étonnante et particulière navigue aisément entre le roman et le conte, avec beaucoup d'originalité ! C'est le roman d'un auteur que la critique qualifie de postmoderne.
Sous l'appellation de postmoderne, on imagine surtout le fait que l'auteur perturbe souvent l'authenticité illusoire du récit, ou au contraire l'utilise comme source de tension, joue avec la forme, entre dans l'histoire en tant que narrateur et use d'effets aliénants.

Jiří Kratochvil est né en 1946, à Brno, en Moravie. Aujourd'hui octogénaire, il est considéré comme un doyen de la littérature tchèque. Sa vie et sa carrière d'écrivain ont été semées d'embûches. Son enfance et sa jeunesse sont marquées par l'absence de son père qui a émigré en 1952 aux USA, et par la persécution de sa famille sous le régime stalinien.
Ayant réussi à achever ses études de tchèque et de russe à l'université, il est d'abord enseignant et bibliothécaire, puis il tombe en disgrâce sous le régime dit de la « normalisation » après l'invasion des troupes soviétiques en 1968.
A partir de 1970, comme ce fut le cas pour de nombreux intellectuels, le régime communiste totalitaire ne lui permet que de faire des travaux subalternes, comme ouvrier auxiliaire, veilleur de nuit, téléphoniste… Il écrit, mais il ne peut même pas songer à publier ses textes !
Son premier livre ne sortira qu'en samizdat en 1978 et ce n'est qu'après la chute du régime communiste en 1989 que ses livres commenceront à paraître et que le grand public pourra découvrir son talent original et son imagination débridée.

« Au milieu des nuits un chant » évoque la vie de deux narrateurs vivant en Moravie, sur la longue période de 1945 à la chute du communisme en Tchécoslovaquie. Leurs histoires se croisent et se confondent. le premier narrateur du récit n'a ni père, ni nom. Sa mère a été victime d'un viol collectif à la fin de la 2e guerre mondiale !
Le 2e narrateur, Petr, a un père qui a dû quitter son pays. Il est tombé en disgrâce, car il ne voulait pas livrer son fils comme appât humain dans une chasse au lynx organisée pour des fonctionnaires du Parti !
Ce roman a tendance à avoir un sous-texte politique, voire moralisateur, souvent exacerbé jusqu'à la satire grotesque.

Il est à noter que Jiří Kratochvil s'adresse fréquemment à nous, lecteurs, en nous interpellant directement… « J'ai promis de vous raconter… », « Mais prêtez encore attention s.v.p. à ceci… », etc.

Ce roman est avant tout une fable, mais une fable basée sur le vécu de l'auteur. Par le biais de ses personnages, il revient souvent sur ses propres souvenirs au temps de son enfance et de sa jeunesse, du temps du Protectorat de Bohème - Moravie et des années 1950, où il mêle des scènes réelles à de la pure fiction.

Le jeune narrateur est en manque de repère affectif, étant donné que son père s'est exilé (tout comme l'auteur lui-même) et qu'il le recherche.
Sa famille aussi est sans cesse l'objet de persécutions (tout comme la propre famille de l'auteur l'a été) ou de quelque danger, mais le père et le grand-père ont toujours de bonnes idées pour contrecarrer les menaces.
Les motifs de rêve et les motifs érotiques sont également fréquents, souvent en relation avec ce qui précède.

Jiří Kratochvil évite délibérément un ton réaliste, il change l'identité des personnages.
Les noms qu'il donne à ses personnages sont largement évocateurs et font sourire : les policiers sont des « police-chinelles », le policier de la police secrète qui harcèle Petr et sa famille s'appelle « L'épervier » -toujours prêt à se précipiter avec ses griffes sur le père de Petr qu'il recherche-, un autre personnage, un tueur professionnel, s'appelle « Meschan garson », un autre policier au service de la sécurité de l'Etat s'appelle « Jeanmarais », c'est un policier maquereau !

Jiří Kratochvil mélange le réel et le fantastique, et l'intrigue avance jusqu'à l'absurde.
Il explique qu'en écrivant, il a transformé tous ses maux en récits grotesques.
Son livre est truffé de surprises qui nous étonnent et nous font rire ! Comme ce passage où la maman du narrateur veut fêter son anniversaire en l'invitant à la représentation d'un spectacle de cirque, lequel est dirigé par un patron maigre et maladif, qui payait de sa faible constitution et de sa pâleur de cire son amour immodéré des puces !
« La table était plongée dans l'obscurité et, du plafond, descendaient les grincements d'une musique enregistrée, une espèce de fanfare apoplectique aux cuivres tapageurs. Dans l'intervalle, de nombreux puçophiles s'avançaient lentement et, au nombre requis, le patron coupa net la fanfare. Il nous souhaita la bienvenue à la représentation qui allait bientôt commencer et nous assura que de toutes les attractions offertes ce soir par la métropole morave, ma foi animée, nous avions élu la plus remarquable, et après une courte allocution en mémoire des puces tombées au service de l'homme, il mit un disque sur le gramophone avec une musique évoquant l'atmosphère de Paris. »

L'auteur fait souvent allusion à Paris dans ce livre, ville qui était pour lui la capitale de la littérature et le reste encore aujourd'hui. D'ailleurs, en 2018, il a écrit un recueil de contes et d'essais qu'il a intitulé « Je suis Paris » !
Mais si Jiří Kratochvil éprouve un penchant pour la capitale française, il n'oublie pas pour autant sa ville natale, Brno, qui est constamment présente dans son livre, pour laquelle il montre un attachement particulier. Sa couleur locale donne à son récit un caractère inimitable.

On rencontre aussi nombre de belles métaphores poétiques au fil de ce roman, comme : « mon coeur battait comme un papillon pris au piège sous un verre », « il marcha longuement parmi les tombes qui se frottaient à lui comme des chiens affectueux », etc.

Le style d'écriture de Jiří Kratochvil est riche et complexe. Certains passages avec des mots argotiques et des personnages populaires font penser à ceux de nombreux romans de Bohumil Hrabal. Dans d'autres passages, plutôt nostalgiques et mélancoliques, on pense à Kafka. Dans d'autres encore, moqueurs et ironiques vis-à-vis des autorités de l'Etat, on est dans le registre des histoires du brave soldat Svejk. Dans les passages tenant de la fable fantastique, je me retrouvais plongé dans l'atmosphère de « L'écume des jours » de Boris Vian
L'écriture de Jiří Kratochvil contient une part de tout cela, mais il a son style à lui, particulier, difficile à bien définir !

« Au milieu des nuits un chant » est son 1er livre traduit en français. Un 2e livre intitulé « Un lamentable Dieu » est lui aussi disponible en français.

Un coup de chapeau à la traductrice, Nathalie Zanello-Kounovsky qui a dû avoir bien du fil à retordre !

J'ai beaucoup aimé l'histoire de ce roman sur la recherche d'un père inconnu, qui ouvre des questions sur la recherche d'identité, la vérité de la vie sans liberté et le besoin d'être ancré dans le monde.
Un très bon livre, à l'écriture originale, auquel j'accorde 4,5/5.

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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Depuis longtemps déjà, en proie à un processus irrépressible, j’observe que mon pouvoir magique de diriger les choses, les plantes, les bêtes et les gens autour de moi s’affaiblit et disparaît. Peu avant ma naissance, je baignais dedans comme dans le liquide amniotique et, encore après elle, j’en étais si imbibé que je pouvais le puiser au seau, mais maintenant il m’arrive à peine à la cheville et ce que je peux tout au plus remplir, ce sont des seaux de nostalgie pour ces temps lointains.
Et il me semble que j’aie commencé à perdre ce pouvoir à partir du moment où j’en ai pris conscience. Il existe probablement entre les deux faits une connexion directe : moins je savais et plus je pouvais. A peine sorti du ventre de ma mère, et suffoquant encore dans les larmes et les mucosités, je faisais revivre les choses mortes autour de moi, j’intervenais dans le destin des gens proches ou lointains et peut-être même que je faisais dévier les étoiles de leur trajectoire, provoquais des éruptions solaires, touchais la terre de mes petites mains impatientes, interdisant à tout jamais l’herbe d’y pousser, déplaçais des yeux dans le ciel un nuage radioactif et me vautrais en rêve avec d’immenses animaux fabuleux. C’étaient les jours les plus heureux de ma vie, voilés aujourd’hui, depuis longtemps, par la membrane de l’oubli.
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