Dès les premières paragraphes, le récit vous saisit par le colback et vous vous retrouvez entraîné dans ce maelstrom fait de personnages et de situations, vous menant de la première révolte russe de 1905 aux Jeux Olympiques de 1972 à Munich.
Le récit raconte la destinée d'une famille lettonne de Riga. Les deux frères, Konstantin (Koja) et Hubert (Hub) Solm suivent un destin très rocambolesque.
Ils voient leur grand-père prêtre et proche du régime tsariste massacré par les révolutionnaires de 1905, puis les frères doivent fuir les bolcheviks. Durant ces événements fondateurs de l'Europe et de monde, la famille recueille une petite orpheline, Ev, juive et amoureuse de ses deux demi-frères et avec lesquels, tout au long du livre, elle entretiendra une relation pariculière, amoureuse et charnelle. Tragique également. Les frères Solm deviennent espions pour le parti nazi qui se prépare et mettre l'Europe à feu et à sang. Ils finissent Waffen SS tous les deux, Hub étant plus impliqué que Koja qui garde une âme d'artiste comme son papa.
L'histoire est racontée sous forme de conversation/confession, dans une clinique munichoise en 1972, entre Koja et un hippie en quête du nirvana. C'est une fresque passionnée. le fer, les larmes et le sang se croisent dans cet Apocalypse qu'est le XXe siècle (et encore, Kraus n'y aborde ni Vietnam, ni Algérie, Corée, Indochine, Yougoslavie etc …).
L'auteur essaie lui aussi de comprendre comment des citoyens allemands sont devenus des fonctionnaires zélés et affidés d'un régime perverti et assoiffé de sang.
Chris Kraus ne s'attarde pas sur les Hitler, Himmler ou Heydrich du IIIe Reich, mais aux subordonnés de quelques échelons en-dessous qui, quoiqu'on en dise. Ce sont aussi ceux-ci qui ont largement contribué à mettre l'Europe à l'index en la soumettant à la scélératesse.
Kraus réussit, à mon sens, mieux que Littell à décortiquer cette lente évolution d'Allemands (les Lettons sont de tradition plutôt allemande), même si elle restera à jamais en grande partie indicible à nos yeux. Mais au moins, tentons de nous replacer dans la république de Weimar, dans une Allemagne à le Reconstruction post GM1 difficile. Ce contexte fut propice à cette nouvelle religion que fut à ce moment-là le nazisme. Je cite donc cette phrase massue du livre :
« ..car devenir un bon nazi était comme devenir un bon chrétien. Les bon nazis étaient une évidence. Il n'y en avait pas d'autres, les choses se faisaient d'elles-mêmes ».
A plusieurs reprises, sur les Livres en Partage ou simplement sur FB, j'ai donné mon avis sur l'Homme et sur le fait que je le considère comme le prédateur principal de sa propre espèce. Ce livre me conforte dans cette opinion et pire, ses instinct ne se manifestent pas seulement lors de situations extrêmes comme des guerres ou des révolutions, mais tout simplement au cours de la vie quotidienne, en temps de paix. Mais existe-t-il vraiment de petits actes de salaud ? Quand nous sommes prêts à piller la maison d'une famille sinistrée (voir inondations Belgique..), ne le sommes-nous pas également pour tuer un bébé survivant au fond d'une fosse biélorusse, en 1942 ?
Pour en revenir brièvement au livre : onze cents pages c'est long. Même quand le sujet est haletant, il se peut qu'il y ait quelques deux cents pages en trop. Dans ce cas, faites comme moi : passez-en quelques unes et continuez à lire. Quant au style, il est direct et bien rythmé. L'humour grinçant y est très présent et c'est ce qui convient finalement le mieux pour mettre en scène cet immense panier de crabes dansant sur les tombes des Juifs d'Europe.
Eric Pernin avait chroniqué
la Fabrique des Salauds en février, au début de l'existence de notre groupe. Il était moins dithyrambique que moi. Mais je persiste : oeuvre magistrale