AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,12

sur 583 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Claude Lanzmann est mort. Certes, ce n'est pas un scoop, mais « La Fabrique des salauds » vient nous le rappeler. Car que n'aurait-il pas dit d'un tel roman!
Roman qui appartient à la catégorie confession d'un nazi, comme « La Mort est mon métier » ou « Les Bienveillantes », ce que détestait Lanzmann. Comment peut-on laisser la parole au bourreau? Car tout le monde n'a pas l'extraordinaire capacité à parler au nom du mal sans le rendre sinon sympathique, du moins acceptable. Sous la plume de Nabokov, ce vieux saligaud de Humbert Humbert peut faire pitié, il n'en demeure pas moins répugnant. Mais le héros de Chris Kraus est beaucoup plus ambigu, et en l'occurrence ce n'est pas un compliment.
Le romancier a en effet créé l'archétype du nazi romantique. Entré en politique par hasard, auteur de quelques crimes de guerre sur lesquels il ne s'appesantit pas, il n'en demeure pas moins un personnage tragique, beau monstre suscitant la terreur et la pitié.
Dans la bibliographie donnée à la fin de son livre, Kraus cite Nabokov et John Irving (!) mais pas Jonathan Littell. Difficile, pourtant, d'échapper à la comparaison. Comme Aue, Solm se retrouve à assassiner des Juifs au cours de la Shoah par balles. Mais si le personnage de Kraus vide son chargeur sur une femme et son enfant, c'est contraint par sa hiérarchie et épouvanté par son acte. le personnage de Littell, lui, tue en geignant parce que les cadavres sur lesquels il marche forment un sol mouvant et traître sur lequel il glisse. A la fin du massacre, il demandera un thé pour se réconforter. Chez Littell, le monstre est médiocre, chez Kraus, il est humain.
Autre exemple: les deux romanciers imaginent un amour incestueux, ce que je trouve plutôt bien vu car comme l'a dit un célèbre crétin français borgne et désormais gâteux, « Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines », ce qui au bout du compte ne lui laisse pas d'autre choix que de coucher avec ses filles. Ou sa soeur. Donc, si l'inceste chez Littell participe à l'idéal de pureté de l'aryen xénophobe, chez Kraus, la soeur n'est qu'adoptive et en plus elle est juive. Solm est peut-être nazi mais il n'y a pas moins raciste que lui: ses trois amours sont une Noire, une Juive, une Russe, bref le comble de la sous-humanité pour tous ses collègues de travail.
Résumons: Solm est un monstre, bien sûr, mais son petit coeur souffre et le mal qu'il fait est parfois le seul moyen qu'il ait trouvé pour protéger celle qu'il aime. On compatit.
Entendons-nous bien: je ne lis pas pour apprendre que les nazis sont méchants et que tuer c'est mal. Je lis surtout pour qu'on me balance des vérités dérangeantes et je devrais applaudir à ce récit qui me fait sortir, c'est peu de le dire, de ma zone de confort. Mais être en simple position d'auditrice ne me permet pas d'avoir le moindre contre-champ. L'auteur laisse la parole à son personnage sans me donner de grain à moudre pour traquer en lui la mauvaise foi.
Ce sentiment inconfortable d'être prise en otage par la désertion d'un romancier qui a laissé son personnage prendre entièrement en charge son récit ne m'a pas empêchée d'être estomaquée par la fresque ainsi déployée: si j'ai lu 2-3 choses sur la seconde guerre mondiale, je ne savais rien de la construction de la RFA et pas grand chose de son rôle central dans les tractations de la guerre froide. L'évolution des relations entre l'Allemagne et Israël vaut aussi son pesant de révélations et Kraus parvient à ne pas perdre son lecteur dans un jeu de dupes cyniquement acrobatique.
Enfin, aux 3/4 du roman, le récit de Solm montre des failles. Nous ne saurons pas s'il se ment à lui-même, mais à nous, oui. le personnage d'Ev, dont le prénom biblique semblait désigner la femme mythique et idéale, reprend sans doute la bonne vieille parabole du mal dont la pomme mordue sur la couverture rappelle lourdement le symbole: le mal est séduisant, ô combien. Et il a des arguments. Alors, contrairement à Ev, sachons le repérer quand il en est encore temps. J'aime à croire que c'est la morale de cette histoire, malgré un romanesque trop échevelé pour être vraiment honnête.
Commenter  J’apprécie          472
On a comparé ce roman aux Bienveillantes de Jonathan Littell car ces deux romans nous plongent dans le passé douloureux de l'Allemagne. Cependant, je constate au moins deux différences majeures.
première différence majeure, ici, l'action ne se termine pas à Berlin en avril 1945 car l'auteur veut explorer la suite, comment une partie des élites nazies intègre les services secrets, les ministères de la jeune République fédérale allemande. Et le roman prend une autre dimension dans cette relation étrange qui se noue entre le Mossad et les services secrets allemands, car Israel a besoin d'armes et la RFA de renseignements sur ce qui se passe à l'Est. C'est donc aussi un roman sur la guerre froide, un contexte dont d'anciens criminels nazis comme Klaus Barbie, évoqué, ont bénéficié.

Deuxième différence, le héros, il est beaucoup plus complexe, tragique, pas un monstre froid mais un anti-héros tragique. Son frère fait de lui un SS, il participe à un massacre en Lettonie, puis cherche la rédemption dans l'amour, prend des coups, il est trahi et trahit, il perd sa fille avec qui il se met à dialoguer, il est emporté par les courants sombres de l'Histoire, frôle la folie et la mort.

Bref, un roman à part, baroque, autour d'un anti- héros qui se désigne lui-même comme un demi-enfoiré, avec une multitude de personnages secondaires
Commenter  J’apprécie          380
Depuis longtemps, « La fabrique des salauds » faisait parti de mes envies de lecture, mais je n'avais osé ouvrir ce roman, impressionnée par le nombre de pages. Et oui, plus de mille pages. J'ai eu tord de repousser cette lecture à plus tard. Il faut seulement prendre un bon élan et avoir un peu de temps à soi. Certains passages sont pénibles à lire, mais essentiels pour qu'on ne perde pas de vue notre passé.
*
« La fabrique des salauds » est une fresque historique, une saga familiale, une longue confession dans laquelle deux frères, Hub et Koja, s'aiment, se haïssent, s'entraident, se déchirent, se trahissent pour l'amour d'une femme Ev, leur soeur adoptive.
*
Le premier mot qui me vient à l'esprit, c'est : énorme. Enorme vous l'aurez compris par le nombre de pages. Enorme surtout par sa densité, par son ampleur, sa profondeur.

Le deuxième mot qui me vient tout de suite après, c'est : instructif. Un voyage dans le temps et l'espace. On navigue dans des pans entiers de l'Histoire du XXème siècle, allant de la révolution russe en 1905 à Munich dans les années 1970, de Riga à Tel Aviv en passant par Berlin, Munich ou Moscou. Ce roman est le fruit d'un immense travail documentaire.

Le troisième mot est : effarant. Comment devient-on un criminel de guerre, un « salaud » ? Comment des nazis ont pu échapper aux procès et aux condamnations ? Comment les services secrets occidentaux et soviétiques ont-ils pu enrôler, à la fin de la guerre, des milliers de criminels nazis, mettant à profit leurs compétences, leurs savoir-faire, et leur expérience professionnelle ? Quelle ironie, quelle immoralité d'avoir recruté des nazis, qui n'ont pas changé de métier, mais seulement d'employeur !
De nombreuses fois, je me suis surprise à me dire : comment est-ce possible ?
*
Le récit débute dans une chambre d'hôpital en 1974. Koja Solm, le narrateur, a reçu une balle dans la tête et entreprend de raconter son étourdissante vie à son voisin de chambrée, Swami, un jeune hippie pacifiste. Mais quelle vie ! Complètement incroyable.
C'est ainsi que l'auteur nous transporte au coeur de l'histoire, de l'espionnage et du contre-espionnage, de la révolution russe et des premiers massacres de 1905 à la prise d'otages israéliens à Munich en 1972, en passant par la création du parti national-socialiste, la montée du nazisme, la seconde guerre mondiale, la Shoah, la fondation d'Israël, la guerre froide, …
La trame du récit est adroitement conçue. Présentant son roman comme de longs monologues entrecoupés de retours dans la chambre d'hôpital, Chris Kraus rend compte d'un engrenage dans lequel est tombé Koja, faisant de lui un criminel, un monstre aux principes moraux bien fragiles.
« Mais parce que nous n'avions pas réussi à protéger nos vies du mensonge, alors que Hub, Ev et moi, je le jure, n'aspirions qu'à la vérité, le nanisme entra dans notre existence, puis la dépravation, puis le crime, et enfin la mort. Il est bien possible qu'il en soit allé de même pour la plupart des nazis. »
*
Ce roman excelle pour décortiquer les émotions et les sentiments humains, analysant sans complaisance, la manière dont un homme ordinaire est devenu un homme méprisable, un salaud, un meurtrier. Koja pose un regard lucide sur sa vie, avec toujours, cette pointe de cynisme et d'ironie.
Alors qu'il est un individu haïssable, sans aucun remord, il est aussi un être sensible, qui sait aimer et qui peut se mettre en danger pour protéger les personnes qu'il aime.
L'auteur, sans jamais cautionner les actes de Koja, il est impossible de les justifier, ni de les absoudre, nous montre comment un homme ordinaire a appris à survivre, en « s'adaptant » à un monde en plein chaos. Une vie de mensonges, de manipulations, de secrets, de trahisons, de dangers, d'assassinats.
« J'ai toujours eu conscience de ce que j'étais devenu. Mais justement : c'est arrivé malgré moi. Par hasard. Par accident. À mon propre insu. J'ai réagi au déclin du monde, et non l'inverse. J'étais profondément sincère. Et aussi profondément hypocrite. »
*
L'écriture est fluide, agréable à lire. le ton employé par Chris Kraus est très particulier pour un sujet aussi sensible et douloureux. Par ce procédé littéraire, entre sarcasme, insouciance et cruauté, l'auteur fait ressortir toute l'horreur, toute l'abjection d'une époque tourmentée.
Le lecteur navigue en eaux troubles, et ses émotions sont mises à rude épreuve, à la fois fortes et contradictoires. Illusions, désillusions. Humour, horreur. Sourires, soupirs. Amour, cruauté.
*
Un roman ambitieux qui fait réfléchir, une intrigue captivante, dense, riche, dynamique sur un pan de l'histoire du XXème siècle. « La fabrique des salauds » entraîne avec force le lecteur dans est un récit criant de vérités.
Commenter  J’apprécie          379
Titre : La fabrique des salauds
Auteur : Chris Kraus
Editeur : Belfond
Année : 2019
Résumé : D'origine Allemande, la famille Solm vit à Riga en Lituanie. Les deux fils, Hub et Koja, sont séduits par la doctrine nazie et s'engagent alors activement dans les services secrets pro-allemands. Koja est un artiste qui se laisse guider par son frère Hub, qui devient rapidement un rouage essentiel de la machine de destruction allemande. Tandis que le conflit fait rage et que la Russie entre en guerre, les deux frères prennent des chemins différents et une haine farouche s'installe entre Koja et Hub. La déroute Allemande les réunira à nouveau dans une organisation secrète réunissant les anciens nazis allemands. Koja deviendra alors un agent double au service la Tcheka puis un agent triple au moment où le Mossad israélien voit le jour.
Mon humble avis : Deux mois. Deux mois sans avoir le plaisir de lire un bouquin assez motivant pour en faire une chronique. Deux mois où nombre de textes me sont passés dans les mains, où invariablement l'ennui s'est installé. Et puis La fabrique des salauds, dont on disait le plus grand bien. Un pavé, un roman ample censé revisiter l'histoire tumultueuse de la moitié du 20eme siècle. Et puis la lecture, laborieuse au début, très laborieuse même, au moins pour les cent premières pages. Et puis, petit à petit, la petite musique de Kraus s'installe. Une écriture élégante, pleine d'ironie, en décalage avec les atrocités décrites. La fabrique des salauds est un roman ambitieux, c'est le moins que l'on puisse dire, un roman dont le personnage principal est un homme ambivalent, capable du pire lorsqu'il est poussé dans ses retranchements, mais aussi capable d'aimer sincèrement. Koja est un être sans envergure, un effacé qui subit son destin et trahit à tour de bras, ses proches comme ses principes. Roman du siècle et de ses soubresauts, roman d'un menteur, d'un homme perdu entre ses multiples identités, roman d'une rédemption impossible, La fabrique des salauds est un excellent livre, une fresque parfois confuse mais un vrai plaisir de lecture. Impossible de parler de personnages attachants dans un tel cas et pourtant, au détour d'une réaction, d'une phrase, on se prend à éprouver de l'empathie pour Koja, ce sont aussi les limites et les risques d'une telle entreprise. Kraus nous livre ici le roman d'un salopard, d'un lâche qui épouse la doctrine nazie par facilité, par paresse et puis le temps passe et, au grès des circonstances, le principal protagoniste devient agent des russes communistes, puis se lie avec la CIA puis vient le Mossad et le voici presque juif… Peut-être est-ce un peu tiré par les cheveux, je ne me prononcerais pas sur la crédibilité de cette histoire mais qu'importe, ce roman est parcouru d'un souffle rare et l'écriture de Kraus est d'une élégance et d'une ironie rare. Un excellent roman, encore une fois.
J'achète ? : Difficile de ne pas conseiller ce roman. Baroque par moment, d'une cruauté rare, la fabrique des salauds donne la parole au monstre, décrit l'indicible. On pense aux Bienveillantes de Jonathan Litell, on pense également au génial La mort est mon métier de Robert Merle et on se dit que la vie, en ce début du 21eme siècle, n'est décidément pas si terrible.
Lien : https://francksbooks.wordpre..
Commenter  J’apprécie          342
Lecture éprouvante, pas seulement par la longueur de l'histoire mais aussi par sa teneur ! le narrateur raconte sa vie d'adulte, embarqué chez les nazis par son frère, décision contre laquelle il ne s'est jamais battu.

Il raconte tout cela à son voisin de chambre quand il se trouve dans un hôpital avec une balle dans la tête ! Un vrai salaud, pas vraiment touché par les atrocités dont il a été témoin ou auxquelles il a pris part !

Agent double ou triple après la guerre, uniquement préoccupé de sa personne, il nous assène une dose d'auto apitoiement qui m'a souvent donné envie de le frapper !

Un roman fleuve où la dérision et parfois l'humour ont leur place, l'auteur ne cherche en rien des excuses aux actes et aux hommes ! A lire à petites doses.

Challenge Multi-Défis 2023
Challenge Pavés volumétrique 2023
Commenter  J’apprécie          300
La confession des agissements d'un ancien nazi ne peut qu'être pénible. Dans La fabrique des salauds, c'est un hippie reposant dans une unité de traumatologie d'un hôpital allemand qui subira ce pensum. Alité auprès d'un certain Konstantin (Koja) Solm atteint d'une balle à la tête, le hippie bienveillant, encourageant au début la discussion avec son colocataire, constate au fil de la narration des événements existentiels de son colocataire, que ce dernier est vraisemblablement la pire canaille qu'il se dit lui-même être.
Gradé au sein des SS, après la défaite du IIIe Reich, Koja se met au service des plus grandes agences du renseignement (BND, Stasi, CIA, Mossad, KGB), et « en simulant la pitié, feignant la loyauté et contrefaisant l'amitié » Koja, au nom de la stabilité familiale et de l'amour filial, se commettra irrémédiablement et profondément dans les trahisons et les exactions terroristes.
Contrairement au narrateur du roman Les Bienveillantes de Jonathan Littell, celui de la fabrique des salauds tente constamment de justifier ses actes à l'aide d'une grille d'analyse passablement tordue. Mais le malaise ressenti à la lecture des mémoires du nazi fictif de Littell n'a pas été aussi fort avec ce roman-ci.
Le propos reste toujours difficile à entendre et à ce titre, Chris Kraus ne ménage pas ses effets et ses efforts : une écriture évocatrice mise au service d'une documentation approfondie, ça donne un roman historique puissant.
Commenter  J’apprécie          280
J'ai décidé de lire ce livre suite à la lecture d'une critique d'un d'entre nous sur Babelio.
Je dirais d'entrée de jeu qu'on ne sort pas indemne de cette lecture.
J'ai lu avec attention les remerciements de l'auteur qui permettent à mon sens de mieux comprendre ce récit.
Tout d'abord, le protagoniste principal du roman s'appelle : Koja Solm. L'auteur nous précise que pour ce personnage, il s 'est bcp inspiré de la biographie de Fritz Scherwitz, qui était à la fois un sauveur de juifs et un menbre du SS-EINSatzguppe.
Ce qui permet de saisir ou essayer de saisir l' ambivalence et la contradiction d'un personnage à la fois victime et bourreau.
Néanmoins, ce livre est très dérangeant pour nos consciences, d'abord parce que Koja apparaît comme un homme attachant. Je m'explique, malgré le mal qu'il génère sans crise de conscience aiguë, il a bcp d'humanité.
La preuve, toutes ces pages bouleversantes sur cet amour qu'il vit avec une espionne russe:Maja. Il l'aime même après toutes ces tortures qui l'ont défiguré et rêvé de l'épouser.
Également avec cet amour, certes controversé qui l'attire presque magnétiquement vers sa demi soeur adoptée par ses parents et qui est juive.
Un autre aspect très fort du roman est l'histoire à travers Koja mais d'autres de la création, l'existence des services secrets qu'ils soient allemands, russes ou israéliens.
Dans ses remerciements, l'auteur pose une question très pertinente, je le cite:

Comment la société de la République Fédérale allemande a-t-elle réussi à trouver le chemin de la démocratie en dépit de l'intégration des anciens nazis ?

Oui, une question très pertinente et qui nous conduit à de multiples autres questions.
D'ailleurs, d'autres pays ont aussi vécu la même chose mais si on ne les appelait pas des nazis.
Une dernière question posée évidemment dans ce récit est la place de la responsabilité collective, individuelle ?
Certains lecteurs ayant lu le livre et critiqué ont bien sûr fait référence à la banalité du mal évoqué par Hannah Arendt mais la question me semble bien plus vaste. Bien sur, je n'ai pas toute la réponse mais je vous propose de finir ce propos sur des paroles dites par Koja dans le roman :
Mais se bousculaient en moi un nombre incalculable d'intentions qui se cintredisaaient toutes.
Je ne voulais pas qu'Otto meure.
Je ne voulais pas que Maja meure.
Ces deux souhaits étaient inconciliables.
Je ne voulais abattre personne
Je ne voulais surtout pas à battre Otto.
Je ne voulais pas être abattu.
Je ne voulais pas être agent secret.
Je ne voulais pas être un menteur
Je voulais le temps de vérité qui apporte la grâce.
Alors, que faire, dites moi ?

Un grand roman dont je vous recommande la lecture
Commenter  J’apprécie          245
"On ne peut pas sérieusement nous reprocher d'avoir été nazis : il est logique de se tourner vers l'avenir, et on n'en choisit pas toujours la teneur, car tant que cet avenir n'est pas le merdier du présent, il ne s'agit que d'un espoir - l'espoir que les choses s'améliorent avec le temps".

Bon. Autant prévenir tout de suite, ce pavé n'a rien d'une sinécure. Ce n'est pas non plus Les bienveillantes (celui-là je l'avais abandonné...) mais sa lecture est rendue compliquée par sa densité et la plongée qu'il propose dans la face sombre de l'Histoire, par l'intermédiaire de personnages plutôt ordinaires impliqués dans le processus le plus atroce du 20ème siècle. Pour autant, c'est un vrai roman, mettant en scène un trio à la fois infernal et captivant, nourri par des milliards d'heures de travail de recherche et de documentation qui contribuent à l'effet de sidération qui peut parfois saisir le lecteur. Lecture ardue, oui. Mais nécessaire.

Le narrateur s'appelle Konstantin Solm, surnommé Koja. Nous sommes en 1974, dans une chambre d'hôpital à Munich où Koja vient d'être opéré après avoir reçu une balle dans la tête. Lorsque son compagnon de chambre, pas en meilleur état, lui demande comment il s'est retrouvé là, Koja entreprend de lui raconter sa vie depuis le début. Une enfance dans le Baltikum marquée par les luttes d'influence entre la Russie communiste et l'Allemagne expansionniste, une adolescence sur les traces de son frère aîné, Hub, engagé très tôt dans le National-Socialisme exporté par Himmler. La rivalité amoureuse des deux frères autour de leur soeur adoptive, Ev. ... Leur rivalité tout court, meurtrière, accentuée par leurs différences de caractères et d'appréhension des enjeux. Et puis la guerre, bien sûr. Cette guerre qui laissera des traces ineffaçables, malgré les tentatives des uns et des autres pour cacher la réalité. La narration court jusqu'aux années 1970 et les décennies d'après-guerre n'ont rien à envier aux années 40 pour ce qui est du cynisme et de la propension à planquer les salauds.

Avec ce roman, on plonge dans le bourbier des nationalismes, véritables fléaux toujours prompts à justifier les actes les plus terribles. Des pays baltes pris entre les convoitises russes et allemandes à la Palestine, tâchée des sangs de ceux qui la revendiquent pour territoire en passant par les allemands, humiliés dans le Baltikum des années 20. On explore la complexité de la géopolitique de l'après-guerre, celle de l'Europe prise en étau entre les Etats-Unis et l'URSS. On découvre comment les anciens nazis ont nourri les forces des services secrets du monde entier, Mossad inclus, trouvant ainsi non seulement à se reclasser mais à échapper à un travail de nettoyage qui tardait à se faire côté allemand. Changements d'identités, retournement de vestes, déplacement des enjeux... Effectivement, les salauds ont de l'avenir. Et le trio que choisit de mettre en scène l'auteur permet de les percevoir de façon terriblement humaine, tous ces enjeux. Pas de méchants ni de gentils mais des êtres humains qui passent leur temps à négocier avec leur conscience. Terrifiant.

J'ai parfois songé au fantastique roman de Bob Schacochis, La femme qui avait perdu son âme, pour l'ambition, très proche, de montrer comme il est facile de laisser le mal se propager et surtout comment les États se rendent complices de cette propagation. J'ai aussi beaucoup pensé aux Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld, ouvrage dans lequel ils relatent les difficultés pour faire bouger le gouvernement allemand et aller débusquer les anciens nazis à la virginité refaite et planqués derrière des façades respectables.

Lecture ardue, oui. Mais grâce à la trame romanesque tissée autour de cet étrange ménage à trois, et aux respirations apportées par le tête à tête "philosophique" entre les deux malades trépanés, l'envie est là d'avancer et de connaitre le fin mot de l'histoire, autant que de continuer à mettre au jour les égouts de l'Histoire. Disons que ce n'est pas une lecture propice à se réconcilier avec le genre humain.

"Et je compris pourquoi l'homme aimait : il doit le faire parce que c'est le seul espoir pour chacun d'entre nous, de rester homme malgré tout".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          241
Dans ce roman imposant, le narrateur raconte au vieux hippie qui occupe le lit voisin du sien à l'hôpital, les circonstances qui firent de lui un salaud, ou qui révélèrent le salaud qu'il était (là est la question), en une époque et des lieux où il s'en fit beaucoup, des salauds. Koja Solm est issu d'une famille Allemande noble originaire de Lettonie, artiste fils d'artiste. Dans les années 1930, alors que le nazisme étend son pouvoir en Allemagne, il se fait offrir par son frère un emploi dans ce qui s'avère être les services de renseignements nazis en Lettonie. Koja n'adhère pas au nazisme, il n'a rien contre les Juifs, mais il devient sous-officier nazi par ce concours de circonstances et ensuite, c'est comme si une implacable machine s'était mise en marche. Quand Hitler déclare la guerre à la Pologne, Koja sera entraîné vers des assignations de plus en plus compromettantes et infâmes. Il finira prisonnier en Russie dans cette terrible Loubianka d'où il reviendra encore plus salaud qu'il ne l'était...,
Ce roman demande un certain effort, le récit est extrêmement détaillé quant aux différents organes d'espionnage et de contre-espionnage allemands et autres et des différentes factions politiques qui grenouillent, dont notamment les anciens nazis qui tirent les ficelles en Allemagne fort longtemps après la fin du IIIème Reich. Il m'est presque tombé des mains aux deux tiers, mais je ne regrette pas de m'être accrochée car les deux cents dernières pages sont remarquables.
Le ton du narrateur est d'un sarcasme qui fait tour à tour sourire et grincer des dents. Certaines scènes sont effroyables. L'auteur dissèque l'âme du traître, pris au piège de ses mensonges, trop lâche pour s'en extirper, et qui finit par tout détruire...
Commenter  J’apprécie          225
Chris Kraus : le nom de l'auteur de la fabrique des salauds rappelle aux cinéphiles un très joli film sorti en 2006 : Quatre minutes. le réalisateur n'a pas cessé de tourner mais ses autres longs-métrages n'ont pas eu l'heur de trouver le chemin des écrans français, y compris l'un des plus récents, Die Blumen von gestern, dont le sujet impliquait des chercheurs enquêtant sur l'Holocauste. Ce thème semble être une obsession majeure pour Kraus, dont un grand-père a été SS. La fabrique des salauds, traduction peu littérale de Das kalte Blut (Le sang froid), a été d'abord une ébauche de scénario, comme le confie le romancier dans sa postface, de ce qui est devenu un livre monstrueux à tous les égards, et pas seulement pour son poids épousant ses presque 900 pages. Ce long monologue d'un vieil homme hospitalisé s'adresse, en 1973, à un hippie suintant d'amour et de bienveillance (cela ne durera pas) qui représente les innocents lecteurs que nous sommes et qui vont découvrir, esbaudis, les exactions et les mensonges d'un opportuniste, frère d'un nazi convaincu, dans les moments les plus sombres du XXe siècle. La fabrique des salauds vient après de nombreux livres qui ont décortiqué l'engrenage qui fait d'hommes "normaux" des êtres sanguinaires, haineux et sans morale mais cet aspect-là, aussi "spectaculaire" soit-il, n'est pas le seul du livre de Kraus dont la deuxième partie explique, et ce n'est pas le moins horrible, comme ces suppôts d'Hitler se sont aisément recyclés dans l'administration allemande de l'après-guerre, y compris dans les services secrets avec pour le héros du roman des collaborations avec la CIA, le KGB, et même le ... Mossad. le livre est aussi le récit d'un terrible triangle amoureux entre deux frères et leur soeur adoptive, pendant de très longues années. le narrateur est un monstre irrécupérable mais c'est aussi un homme doté de sensibilité et c'est tout l'art de l'auteur que de parvenir à nous plonger dans la psychologie d'un individu qu'on ne voudrait côtoyer pour rien au monde et qui fascine tout de même pour sa capacité de survie et d'adaptation. Par ailleurs, La fabrique des salauds est aussi un livre férocement drôle, voire burlesque, dont les longueurs, il y en a évidemment, s'oublient face à la puissance narrative dégagée par cette prose sans cesse en émulsion. Ce n'est pas un roman que l'on peut aimer au sens strict du terme mais dont le tour de force littéraire est de ceux qui forcent le respect.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
Commenter  J’apprécie          210




Lecteurs (1687) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz: l'Allemagne et la Littérature

Les deux frères Jacob et Whilhelm sont les auteurs de contes célèbres, quel est leur nom ?

Hoffmann
Gordon
Grimm
Marx

10 questions
416 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature allemande , guerre mondiale , allemagneCréer un quiz sur ce livre

{* *}