Chavirer, c'est l'histoire de Cléo, 13 ans, qui rêve de danse et de paillettes dans sa banale réalité entre famille modeste de la banlieue parisienne et cours à la MJC du quartier. C'est l'histoire d'une enfant à qui l'on fait miroiter la possibilité de réaliser ce rêve grâce à la bourse d'une mystérieuse fondation. C'est l'histoire d'adultes et d'une société qui n'a pas su, ou pas voulu, voir le piège se refermer sur ses filles et donner à certaines la charge du bourreau.Sur 30 ans, on suit Cléo, devenue victime et coupable, à travers le regard de ceux qui l'ont connue, simplement croisée ou aimée, mais qui jamais n'ont su l'entendre et la comprendre. Une multiplicité de regards extérieurs comme les fragments d'un miroir brisé qui ne permettent de voir que des facettes de ce qu'il reflète. Car c'est ainsi qu'est Cléo. D'une certaine manière, elle s'est arrêté à ses 13 ans. Comment continuer à grandir quand on ne comprend pas ce que l'on a vécu ? Quand on ne se pense qu'en tant que bourreau sans prendre conscience que l'on a été une victime ?
Chavirer c'est aussi un roman sur le corps, à travers la danse. Ce corps qui pour Cléo et les autres danseuses est un instrument de travail. Ce corps que l'on n'écoute pas, que l'on fait plier à sa volonté ou plutôt celle du chorégraphe, ce corps que l'on fait souffrir et qui peut être forcé. Forcément, on ne peut que faire le lien entre cette soumission imposée au corps de la danseuse et celle imposée au corps de la jeune Cléo.
L'écriture est extrêmement fluide et efficace, mais les mots sont toujours pudiques. le chapitre portant sur le viol de Cléo est d'ailleurs écrit différemment des autres. L'autrice passe à la première personne. Cet emploi du « je » permet au lecteur d'être avec elle à ce moment-là, dans son ressenti et sa confusion, dans son envie de plaire tout en sachant qu'il y a un problème. Cette écriture évite tout caractère pornographique, voyeuriste et glauque dans le récit de l'agression. La pudeur des mots n'empêche en rien l'efficacité du propos et rejette toute complaisance à cet égard.
Lola Lafon évite tous les écueils qui sont possibles lorsque l'on traite de ce type de sujet (facilité de la figure du monstre, voyeurisme, victime “idéale”) et c'est ce qui fait la force et la justesse de
Chavirer. Cléo est une mauvaise victime. Elle n'a pas dit non, il n'y a pas eu de violence ou menace, elle a participé à rabattre d'autres proies. Mais qu'en est il du consentement d'une enfant de 13 ans ? Quelle est sa part réelle de responsabilité dans ses actes ? Victime d'un réseau pédocriminel, victime d'un rêve qu'on lui fait miroiter, victime du silence des adultes et par là de leur complicité. Pourtant jamais Cléo ne se pensera comme telle. Elle vivra pour toujours sa culpabilité qui l'enferme avec cet impossible pardon à s'accorder.
A l'heure où
Lola Lafon publie un nouveau livre, je ne peux que vous encourager à lire cette petite pépite. Après l'avoir refermé quand je l'ai lu il y a 2 ans, j'ai eu la sensation que l'ombre de Cléo m'avait accompagné encore pendant plusieurs jours. Preuve d'une histoire qui vous marque.