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sur 2013 notes
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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
*** rentrée littéraire 2020 #41 ***

Cela aurait pu être un récit, classique, à la première personne, celui d'une adolescente victime de viol. Chavirer est tellement plus que cela, tellement plus subtil.

La construction peut décontenancer ceux qui aiment les récits linéaires. Ici, la narration est comme des bouts de miroirs éclatés, des aller retours permanents racontant Cléo à travers le regard de ceux qui l'ont bien connue, aimée ou juste croisée. Comme si Cléo ne pouvait se raconter elle-même, comme si elle ne s'autorisait pas à le faire depuis son agression.

Cléo a été victime d'un réseau de prédateur piégeant des jeunes filles en leur promettant des bourses pour poursuivre un rêve artistique ou sportif. Nul suspense. Tout est clair dès le premier chapitre. On comprend le piège avant que Cléo n'y tombe, on la voit avancer dans l'abyme. le sujet pourrait amener à un manichéisme facile, désignant les monstres et faisant du lecteur un procureur. Ce n'est jamais la cas et c'est sans doute toute la force et la beauté de ce roman que d'avancer dans une zone grise où bourreaux et victimes semblent se confondre.

Cléo ne se voit pas comme une victime. Car elle n'a pas su dire non à son prédateur , elle n'a pas su faire le geste qui aurait pu la protéger. Elle n'a pas crié. Elle a honte de s'être laisser faire tout en ayant aussi honte de ne pas s'être « détendue », comme on lui en enjoignait de la faire pendant l'acte. Cléo est une « mauvaise » victime en somme. Et Lola Lafon sait dire toute la complexité de son personnage, qui, de victime à glisser vers la complicité en jouant le rôle de rabatteuse, complice de ce qui l'a détruit. J'ai rarement lu un roman aussi profond sur la banalité du mal, sur les minuscules complicités qui mènent au désastre intime.

Surtout, l'auteure fait le choix très intelligent de suivre son héroïne sur le temps long de la victime, de 13 à 48 ans. Elle traverse ainsi ses multiples identités, d'adolescente, jeune femme, amoureuse, épouse et mère, permettant de développer toutes les facettes de la culpabilité, de la honte et du pardon au cours d'une vie. Magnifiques sont les descriptions du métier de danseuse dans les années 1980 : Cléo danse dans l'émission Champs-Elysées, avec comme mission de faire oublier les soucis des téléspectateurs, de toujours sourire alors qu'elle vit elle-même à l'ombre des douleurs du passé.

Chavirer, c'est vaciller mais de pas faire naufrage. « A défaut du pardon, laisse venir l'oubli ». Lors d'une interview, Lola Lafon a cité Musset, elle ne pouvait trouver mieux pour accompagner la lecture de son remarquable roman qui laisse affleurer une émotion très fine, très humaine, à hauteur de mots.
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Pour Cléo, 13 ans, la danse c'est un moyen de sortir du cadre étriqué de sa vie en banlieue parisienne. C'est aussi pouvoir se rêver autre, sur les marches d'un podium, dans la lumière. Et c'est ce que lui laisse entrevoir Cathy, cette élégante femme qui lui promet un avenir à la hauteur des dons qu'elle a repéré et lui propose donc de tenter de remporter une bourse, délivrée par la fondation Galatée. le leurre est trop tentant, et le piège se referme sur l'ado, qui se retrouve entre les mains de pervers pédophiles. Loin de remporter le jackpot, elle est maintenue dans le circuit, avec espoir à la clé, à condition de présenter à Cathy d'autres gamines dignes du challenge..

Cléo vivra finalement de la danse, ou plutôt survivra, car les paillettes masquent une situation précaire et sans avenir assuré. Et c'est sans compter avec le poids du remords.

C'est la colère qui domine quand on parcourt ces lignes. Si la fondation Galatée est née de l'imagination de l'auteur, ce type de pratiques scandaleuses n'est pas un fable et on a juste envie de hurler pour conspuer les bourreaux et complices d'une telle ignominie.

Multipliant les points de vue, et croisant les destins, des années 90 à nos jours, Lola Lafon écrit un roman poignant avec en filigrane la question du pardon lorsque l'oubli est impossible.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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1984. C. a treize ans. B. en a douze. X. Y. Z. peu importe, les noms, les initiales, elles ont entre douze et quatorze ans et se voient offrir leurs rêves. Des rêves d'excellence, par la danse, par l'équitation, par le chant. Elles ont été choisies, des élues, par une anonyme Fondation. Une bourse en échange... de services ?

Cléo ne vit que par la danse, pour la danse. Elle rêve, elle sue, elle s'abîme, elle s'use. Une rencontre, un projet, la recherche de la "maturité" et la vie prête à Chavirer. Elle est la numéro 0.1, le début d'une sombre histoire de la société où beaucoup savaient, peu de voix s'élevaient.

Un tapis rouge sur les "Champs-Élysées", des vedettes pop - des Stars des années 80 à Stars 90 - descendent des limousines, entrent dans le studio le sourire blanc émail accueilli par Michel Drucker en personne sur le perron. Et en arrière plan, des danseuses, paillettes et strass, la marque de fabrique d'une époque, d'un divertissement. Elles rêvent... tout est KO, à côté, tous mes idéaux, les mots, abîmés.

Un roman avec des choses au fond de nous qui nous font veiller tard. Impossible de le lâcher. Les pages défilent, les étoiles filent, la lune aussi, un jour le soleil s'élèvera peut-être au-delà de la nuit. En attendant, je suis moi aussi à veiller tard, plongé dans un bouquin, triste et sombre, l'histoire de Cléo et de Betty, l'histoire d'une adolescente anonyme qui sombre dans les moeurs de la société. J'aime quand ça me bouscule, quand ça cogne ici, au fond de ma poitrine, des coups de poing, des coups de cutter qui scalpent mes veines autant que mon âme.
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Chavirer de Lola Lafon

Cléo treize ans rêve de danse et de célébrité dans les années 1980. Elle tombe sous le charme de Cathy charismatique ambassadrice de la fondation Galatée qui promet des bourses pour promouvoir de futurs talents à la sortie d’un cours de danse. Cathy l𠆞ntraîne dans un monde de paillettes, rêves et illusions.

Éblouie par ce milieu du spectacle, grisée par les luxueux présents que lui offre Cathy, les restaurants, les VIP que cette dernière lui présente va hélas tomber dans le piège.

Bravo à Lola Lafon qui écrit un excellent roman bouleversant et extrêmement proche de biens d𠆚uthentiques cas vécus par des adolescentes prises aux pièges de réseaux pedophiles.

Lola Lafon dénonce ici de façon magistrale des faits bien réels qu’il faut surtout ne pas taire afin de mettre en garde adolescentes et parents afin d’éviter que de nouvelles victimes ne soient à déplorer.

Ce roman nécessaire sincère et efficace parle aussi de culpabilité, de pardon.

À lire absolument !
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Dans « Chavirer » Lola Lafon rentre au plus intime de l'âme et du corps. La construction de son roman est époustouflante et l'étude psychologique de ces personnages est fine et vraie. Son écriture est sûre, efficace et le rythme rapide donne un formidable souffle au récit.
Nous suivons Cléo à 13, 16, 40 ans qui suite à des évènements traumatisants, essaie de trouver la voie de l'oubli, du pardon et la possibilité de supporter sa honte, de vivre avec ce qu'elle préfère taire… aux autres, et à elle-même.
Danseuse elle considère sa difficulté de réussir et les souffrances que son corps endure comme autant de possibilités de rachat de ses profondes et traumatisantes erreurs.
Lola Lafon est d'une grande justesse dans l'écriture de ce roman : elle fait naître la tension, elle nous dévoile avec pudeur les affres de ces héroïnes-victimes Cléo, Betty… dont les vies sont brisées.
« le système Galatée ne disait pas autre chose : que le meilleur gagne ! L'affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n'est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu'on dénonce : j'achète des objets dont je n'ignore pas qu'ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l'anniversaire d'un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N'avoir rien dit. Rien fait. Avoir dit oui parce que on ne savait pas dire non ».
Profondément perturbant… A méditer !!!




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♥ intense et bouleversant (première pépite de l'année) ♥
.
« Au collège, on adorait les films où un homme plus âgé "révélait" une jeune fille, comme dans 'Pretty Woman'. Je me sentais choyée. » Paroles d'une femme qui 'sortait' à seize ans avec un quadragénaire.
Oui, (pré)adolescente dans les années 70-80, on s'imaginait vivre l'Amour avec un 'vieux', comme dans le film 'Beau-père' (Blier fils, 1981). Je ne sais pas si c'est encore le cas ?
On s'émouvait aussi de chansons d'hommes mûrs déclarant vouloir 'aimer une enfant' ou 'être amoureux de tout un pensionnat', et nous invitant, nous qui ne l'avions 'jamais fait', à 'basculer avec eux'...
Mais d'un fantasme de jeune fille à la réalité d'une sexualité d'adulte, il y a un grand pas que la plupart d'entre nous n'étions pas prêtes à franchir.
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Lola Lafon nous parle ici d'un temps où la femme était "objet" dans les pubs, films, chansons & clips...
La très jeune femme/fille, et même l'enfant (cf. Brooke Shields à dix ans, prépubère) étaient érotisées, également. La belle aubaine pour une p3dophilie qui se prétendait artistique ! Que de proies attrapées ainsi...
L'auteur raconte le parcours de deux jeunes adolescentes happées par un système de miroir aux alouettes. Sa plume subtile et pudique exprime à la perfection, avec respect & douceur, leurs sentiments pétris d'ambivalence - doutes, peur, honte, douleur, mal-être... qui ne les lâcheront jamais, peut-être/certainement. Quid du pardon et/ou de l'oubli...
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Le propos m'a rappelé 'La petite danseuse de quatorze ans' (C. Laurens) où les mères étaient souvent complices, en revanche, au XIXe siècle.
J'ai également pensé à Virginie Despentes, cette fois pour l'époque ("nos" années 80). Lola Lafon est aussi douée pour les portraits, mais dans un autre style (moins cru, mais j'adore aussi le ton de VD).
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A ceux qui rétorquent que "tout ça", c'était une question d'époque, je peux répondre que j'y étais, dans les 1970's-1990's, et qu'à aucun moment mes parents, ceux de mes copines, n'auraient trouvé naturel, évident, qu'une de leurs filles, enfant ou ado, atterrisse entre les pattes d'un homme adulte. Là encore, fantaisies d'hommes riches, de pouvoir...
Cela ne s'est en outre jamais arrêté (cf. jeunes prêts à tout pour la téléréalité, et profiteurs dégueulasses comme un Morandini).
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Infiniment merci à Pascale pour ce conseil. Je n'avais pas eu envie de relire cette auteur depuis 'Mercy, Mary, Patty' - roman qui m'avait perdue. J'ai maintenant hâte de découvrir ses autres ouvrages.
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Ces paroles d'une chanson que j'avais souvent en tête pendant ma lecture :
♪♫ Petite poupée brisée entre les mains salaces
De l'ordure ordinaire putride et dégueulasse... ♪♫ 😥
('Demain les Kids', Hubert-Félix Thiéfaine)
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Dans les années 80, Cathy a repéré Cléo une jeune fille de 13 ans qui a pour rêve de devenir danseuse de modern jazz. Mais derrière cette fondation Galatée qui accorde des bourses d'études dans tous les domaines, se cache un véritable piège sexuel et malheureusement d'autres collégiennes vont en être victimes.
En 2019, la police lance un appel à témoin pour retrouver les victimes de cette fondation et elle comprend qu'il est temps d'affronter ce passé.

Roman poignant, bouleversant qui aborde la possibilité ou non de pardonner l'impardonnable et de la capacité de se pardonner à soi.
Le personnage de Cléo est complexe, à la fois victime et coupable car elle est devenue complice dans le recrutement. L'auteur met en lumière le consentement, à ce que l'on participe ou laisse faire par le silence.
Construction originale. Une écriture puissante. Ce roman a été un véritable coup de coeur pour ma part. Belle découverte. Un roman que je vous recommande et qui a bien mérité de recevoir le prix Landerneau 2020
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Alors là, franchement, c'est une belle surprise ! J'avais lu avec plaisir « La petite communiste… » et « Mercy, Mary, Patty » sans pour autant crier au chef-d'oeuvre… Mais là, on grimpe d'un cran et d'un grand ! C'est bien simple, tout est parfait : la construction narrative, le rythme du récit, l'écriture… Les thèmes abordés riches, multiples et passionnants touchent tout un éventail de domaines aussi bien psychologique que sociologique, politique, artistique, philosophique… Sans compter que l'on trouve dans ce roman le portrait admirablement bien rendu d'une époque... Franchement, chapeau bas Madame Lafon !
J'en viens au sujet.
1984 : nous sommes à Fontenay dans la région parisienne, « Cléo, 13 ans, quatre mois et onze jours » s'ennuie vaguement dans sa petite vie monotone et un brin tristounette entre le collège, les copines et les soirées télé avec ses parents. Seuls les cours de modern-jazz qu'elle prend à la MJC du quartier la sortent un peu de ce train-train déprimant. Elle s'adonne sans limites à cette passion et la moindre remarque encourageante du prof illumine sa journée.
Un jour, à la sortie du cours, elle est abordée par une femme très chic qui la félicite pour ses prouesses techniques et lui propose d'obtenir une bourse au nom de la Fondation Galatée afin de lui permettre de s'améliorer encore davantage dans son art auprès de grands professionnels de la danse ; elle pourrait devenir ainsi, peut-être, un jour, une pro… le rêve ! Enfin, une petite éclaircie dans cette vie bien terne ! Et puis, cette femme, d'une grande douceur et d'une extrême gentillesse, lui offre des cadeaux, lui fait visiter les hauts lieux de la capitale… Bref, Cléo est séduite (et le mot est faible!), ses parents, de modestes employés, le sont tout autant et la gamine est prête à suivre Cathy les yeux fermés et à peu près n'importe où, notamment dans de vastes appartements bourgeois des beaux quartiers où des hommes attendent…
Et la petite n'imagine pas une seule seconde que c'est un piège sexuel machiavélique qui se referme sur elle...
Lola Lafon restitue parfaitement les années quatre-vingt, la classe moyenne, l'ennui des banlieues, la façon dont, pour s'extraire de tout cela, certaines gamines (et leurs parents) se laissent très facilement abuser : parce qu'il faut réussir dans la vie, gagner de l'argent, passer à la télé, s'inonder de paillettes et de gloire… Et les mômes servent de proies, se font bouffer par les prédateurs sexuels à l'affût, puis elles servent elles-mêmes de rabatteuses, passant de victimes à coupables (sans même l'excuse d'avoir agi par nécessité : « elle n'a aucune excuse sociologique »), ce qui leur enlève définitivement l'envie de porter plainte et les contraint au silence et à la honte pour longtemps, peut-être jusqu'à la fin de leur vie… Avec, en prime, l'impossibilité de s'accorder le moindre pardon…
C'est terrible.
Et pendant ce temps, les violeurs restent impunis.
Lola Lafon opère des choix narratifs très judicieux : elle met en place, par exemple, des chapitres très courts rythmant parfaitement le texte et matérialisant l'étau terrible qui se resserre, à chaque fois un peu plus, inéluctablement et tragiquement, sur la jeune fille. Par ailleurs, ces courts chapitres rendent admirablement le rythme effréné des représentations de danse, des changements de costume (le corps comparé à une voiture de course...) et de la danse elle-même… (« Chavirer » est aussi un vrai roman sur la danse et sur les corps meurtris des danseuses).
J'ai vraiment beaucoup aimé ce kaléidoscope de très courts chapitres qui permettent de découvrir Cléo à travers le regard d'autres personnages (inoubliables eux aussi !) auprès desquels elle va puiser des forces et tenter de se construire : portrait par petites touches, comme on construit un puzzle, d'une jeune fille puis d'une femme (ce roman aurait d'ailleurs pu s'appeler « Une vie » à la manière De Maupassant…) Les angles d'approche sont ainsi multipliés comme si une quantité infinie de caméras tournaient sans cesse autour de Cléo afin d'en percer les mystères, les malaises, toute la complexité qui est la sienne.
Un peu plus loin, autre choix narratif intelligent, l'autrice a choisi de laisser en blanc l'indicible en maintenant le lecteur à une distance pudique, en suggérant, à travers, une simple synecdoque (celle des doigts par exemple) les attouchements et le viol…
Et puis, il y a aussi l'écriture qui se veut précise, dynamique, nerveuse : les phrases sont courtes, nominales, orales parfois. Elles portent en elles le rythme de la vie, la vivacité des émotions, elles fusent, jaillissent, claquent… le texte fourmille de détails et les descriptions sont pur plaisir de lecture : que ce soient les costumes des danseuses, l'appartement silencieux d'un ami juif, un concert de rock… tout est là, sous nos yeux et on y est ! On sent les parfums entêtants et la sueur des corps, on caresse le velours des tissus et des peaux talquées, on souffre devant les muscles meurtris des danseuses…
« Chavirer » est un roman incarné, puissant et terrible.
À lire absolument !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Admirable ! C'est un livre sur le pardon que cette citation, page 106, résume si bien : « le pardon n'était pas l'oubli. L'offense ne disparaissait pas comme une tache sur un tissu. Pas plus qu'elle n'était provisoirement « recouverte » par le pardon. Pardonner était une décision, celle de renoncer à faire payer à l'autre. Ou à soi-même ». Cléo devra traverser le chaos de sa vie pour accepter le renoncement.
Cléo, 13 ans, voit son innocence se briser sur la duplicité des adultes. Elle est la victime, pire, la complice, le rouage d'une machination qu'elle ne comprend pas. Elle est si jeune, elle n'a ni ses règles, ni les codes. Elle tentera d'ignorer ses mauvais souvenirs. En vain. Sur cette blessure initiatique, son inconscient attise le remord, la honte et la souffrance. La voici dévorée par un feu intérieur. À perpétuité. Une note sombre qui l'obsède et fera de son existence une mélodie dissonante. Cléo n'est pas la seule à se faire remarquer… et marquer. Il faut tant d'énergie, tant de ressources pour ne pas laisser un trauma vous gangréner. Il y a celles qui se battent et restent à bord. Il y a celles qui perdent pied et finissent par chavirer.
« Chavirer » est aussi un roman sur les rebuts de cette course au succès qui régit notre société. Combien d'apprenties danseuses qui tournent mal pour une Misty Copeland qui virevolte à l'Opéra ? Combien de gamins éclopés pour un Kylian Mbappé ? Combien d'illusions perdues pour un rêve enfin réalisé ? On l'entraperçoit dans les pages magnifiques (p211-216) où Lola Lafon décrit, avec une infinie tendresse, le quotidien douloureux des candidates à la renommée. Un roman formidablement construit, tout en délicatesse.
Un roman qui m'a fait tanguer.
Bilan : 🌹🌹🌹
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Au gré des critiques de mes amis sur Babelio, je découvre parfois des "perles". Je ne sais plus qui, par les quelques phrases laissées sur le site, m'a donné envie de lire "Chavirer", peu importe, merci de m'avoir fait découvrir la superbe écriture de Lola Lafon que je ne connaissais pas.

A travers le destin de Cléo, 13 ans en 1984, passionnée de modern jazz, l'auteure fait écho à ces évènements du passé qui font de plus en plus souvent la une de la presse d'aujourd'hui, évoquant ainsi cet univers nébuleux d'emprise et d'abus sexuels de la part d'adultes sur des adolescentes, souvent de jeunes sportives. Je garde en mémoire l'image fil rouge du livre, "la queue de cheval haute et le sac de sport". Lola Lafon fait preuve d'un grand talent car elle évite tout voyeurisme malsain, elle consacre la plupart de son récit sur le mal être ressenti par Cléo tout au long de sa vie et l'obligation qu'elle s'impose de garder le silence. Envahie par un sentiment puissant de culpabilité puisqu'elle a entraîné dans le piège certaines camarades de classe, la jeune fille en oublie son statut de victime et se sent complice de ses bourreaux. L'originalité du livre vient du fait que c'est principalement à travers le regard des personnes qu'elle a rencontrées, aimées ou simplement croisées professionnellement que l'on suit Cléo pendant 40 années. Revers de la médaille (et c'est mon unique reproche), le manque de linéarité temporelle donne parfois un petit côté décousu au récit.
J'ai apprécié également être admise dans le "backstage" et découvrir ainsi l'envers des paillettes et le contraste entre le monde du paraître et celui de la réalité. A travers les métiers de la danse, depuis les troupes de danseurs qui animaient les plateaux de Michel Drucker dans les années 90 jusqu'aux cabarets parisiens, l'auteure nous rappelle que derrière l'orchestration parfaite d'une chorégraphie et la beauté de corps dévoilés se cachent encore et toujours de multiples souffrances physiques ou morales.

J'ai beaucoup aimé ce roman à l'accent social, qui évoque tout en subtilité et originalité la condition féminine des années 80 à la révolution #Metoo. Parce qu'il se termine en plus sur la belle lueur d'espoir qu'apporte le pardon, je lui accorde un 19/20. Pas très loin du coup de coeur...
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