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Critique de Charybde2


Le passionnant travail de recensement et d'exégèse d'une littérature science-fictive trop méconnue, dans toute sa spécificité, sa diversité et son évolution au fil du temps : celle de l'ancienne Union soviétique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/05/note-de-lecture-etoiles-rouges-viktoriya-patrice-lajoye/

Viktoriya Lajoye est traductrice du russe et de l'ukrainien (notamment des frères Strougatski et d'Alexandre Kouprine), tandis que Patrice Lajoye est chercheur en histoire des mythologies. En couple, ils constituent sans équivoque le meilleur (duo) spécialiste des littératures de l'imaginaire russophone (nous avions déjà mentionné leur travail à propos du travail post-exotique d'Elli Kronauer sur « Ilia Mouromietz et le rossignol brigand » et sur les autres bylines russes réinventées et détournées par l'hétéronyme spécialisé d'Antoine Volodine). Publié aux éditions Piranha en 2017, leur « Étoiles rouges – La littérature de science-fiction soviétique » est un ouvrage unique en langue française, et résolument passionnant, tant à propos de connu que de moins connu en la matière.

Au fil de chapitres chronologiques allant de « Au temps des tsars » (qui joue ici le rôle du passage préhistorique obligé de toute histoire « nationale » de l'imaginaire science-fictif) aux « Prémices d'un nouveau monde (1982-1992) », en passant par « Un petit d'âge d'or sous la NEP (1917-1929) » – qui englobe la même floraison créative, toutes proportions gardées, que celle de la littérature dite « générale » dans les années ayant immédiatement suivi la révolution d'Octobre (souvenons-nous de « Tchevengour » pour ne citer qu'un seul exemple parmi des dizaines de possibilités) -, « Un déclin stalinien (1930-1955) », « Les années fastes (1956-1969) » et « Une stagnation politique et littéraire (1970-1981) », on découvrira (ou parfois redécouvrira) ainsi, grâce à ce travail colossal d'investigation de l'édition spécialisée ou non spécialisée en langue russe, mais aussi des revues éventuelles et de la critique d'époque – travail qui à lui seul appelle déjà toute notre admiration -, une littérature foisonnante, convergeant ou divergeant d'avec ses consoeurs « occidentales » selon les moments et les thèmes, mais dégageant presque toujours une spécificité de bon aloi.

L'une des caractéristiques d'un tel ouvrage, lorsqu'il est réussi – ce qui est ici absolument le cas -, c'est qu'il donne envie de lire (ou relire) des dizaines de textes : plongez-vous donc dans cette caverne aux trésors souvent fort enfouis, d'où surgiront sans doute, au fil des pages, les noms d'Alexandre Kouprine (« La Justice mécanique », 1907), de Valeri Brioussov (« le Soulèvement des machines », 1908), de Vélimir Khlebnikov – dont on connaît surtout les écrits hors science-fiction, bien sûr, comme « Des nombres et des lettres » – (« La Grue », 1913), d'Alexandre Bogdanov – dont le collectif italien Wu Ming, qu'il ne devrait plus trop être nécessaire de présenter sur ce blog, fera l'un des personnages-clé de son remarquable « Proletkult » de 2018 – (« L'Étoile rouge », 1908), de Vladimir ObroutchevLa Plutonie », 1915), d'AlexeÏ TolstoïAelita », 1922), d'Alexandre Beliaevle Pain éternel », 1928), de Mikhaïl Boulgakov, bien sûr, à travers notamment ses « Oeufs fatidiques » de 1925, d'Evgueni Zamiatine et de son « Nous » de 1921, désormais mondialement quoiqu'insuffisamment célébré, d'Ivan EfremovLa Nébuleuse d'Andromède », 1957, ou « Cor Serpentis », 1959), de Dmitri Bilenkine (« Les Neiges de l'Olympe », 1976, ou « Servitude humaine », 1980), d'Olga Larionova (« L'Accusation », 1969), de Guennadi GorL'Insupportable interlocuteur », 1962), de Viktor Nevinski (« Sous un seul soleil », 1964), d'Oless Berdnyk (« L'Oeil-fleur », 1969), de Vladimir Savtchenko (« Découverte de soi-même », 1967), de Zinovi Iourevle Sommeil paradoxal », 1977), de Sergueï Drougal (« L'Examen », 1979), de Kir Boulytchev (« le Village », 1988), ou encore de Vladimir MakanineLa Brèche », 1991 – qui sera traitée en France comme de la littérature dite « générale »).

Les frères Arkadi et Boris Strougatski, auteurs immortels de « Pique-nique au bord du chemin » (« Stalker » selon le titre de l'incroyable adaptation au cinéma par Andreï Tarkovski) en 1972 ou de « Il est difficile d'être un dieu » en 1964, parmi tant d'autres oeuvres déterminantes, ont droit à un chapitre entier, à part, en plus de leur présence dans les chapitres chronologiques idoines, comme également la question plus que délicate de la censure sous un régime qui sera totalitaire durant de longues années.

Par la variété de ses approches, par la sagacité de ses remarques et de ses rapprochements entre traitements « occidentaux » et « soviétiques » des grandes thématiques de la science-fiction du vingtième siècle, « Étoiles rouges » est un ouvrage passionnant et particulièrement précieux (et son cahier central illustré est vraiment délicieux), à mettre entre toutes les mains curieuses, et pas seulement celles des exégètes les plus pointus du genre littéraire en question, loin de là.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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