Ah, on m'en parle de
Manu Larcenet ! Les fameux « le Retour à la terre », « le Combat ordinaire » et autres « Blast » sont autant d'albums dont on me rebat les oreilles à ne plus savoir qu'en dire.
Pour une fois,
Manu Larcenet tente l'aventure de l'adaptation, celle du roman de
Philippe Claudel de 2007,
le Rapport de Brodeck, paru chez Stock, notamment récompensé par le prix Goncourt des Lycéens. Nous suivons Brodeck, marqué par son expérience d'un camp de rétention (qui semble tenir du camp de concentration) qui, une fois revenu dans son village reculé, arrive par hasard à la taverne de Schloss au moment où tous les autres villageois viennent de tuer l'Anderer, « l'Autre ». Cette exécution, cette Ereigniës, va marquer les habitants soit par la culpabilité résiliente, soit par la lâcheté des consciences lourdes. Or, les notables du village chargent Brodeck de faire un rapport qui expliquera leur geste, en les dédouanant en fait. Très vite, Brodeck va rédiger ce rapport en collectant les informations, tout en se gardant un carnet secret où il notera ses vraies pensées sur ses concitoyens.
Le pitch semble simple, pourtant il est difficile de se mettre dedans avec le peu d'informations que l'auteur nous sert : Brodeck est marqué à vie par son expérience des camps, mais nous n'en savons que peu pour l'instant (on se doute que ce sont ceux de la Deuxième Guerre mondiale, mais les soldats pourraient tout aussi bien faire penser aux Poilus de la Première), d'autant plus que sa femme, Emélia, semble avoir perdu la raison (sans raison, pour l'instant), alors que sa fille semble toute heureuse ; je ne sais pas pourquoi cela m'a gêné, car j'adore ce type de mystères où les tenants et les aboutissants ne sont dévoilés qu'en temps utile, mais là j'avoue que le temps utile est arrivé plus vite que ne sont venues les précisions sur ce qui se passe, ou plutôt s'est passé. En effet, on alterne astucieusement entre le récit présent et des retours en arrière sur son internement, sur la guerre qui vient de se terminer, sur la vie du village quand l'Anderer est arrivé, même si pour l'instant ce personnage vole au-dessus du récit sans jamais vraiment atterrir.
En revanche, l'élément parfait de cette première partie du diptyque, c'est évidemment le dessin de
Manu Larcenet : c'est juste magnifique ! Tout en noir en blanc, les planches s'enchaînent de belle façon en alternant décors enneigés et sombres recoins ; les jeux d'ombre sont primordiaux dans ces cas-là et l'auteur s'en sert à merveille, d'autant plus qu'il distille dans les dialogues (n'ayant pas lu le roman de départ, je ne peux pas comparer les deux versions) quelques réflexions intéressantes sur l'intérêt de raconter ou d'effacer, de se souvenir ou d'oublier, ce qui nous prépare pour la suite et l'intérêt qu'il veut donner à son ouvrage.
Un très beau roman graphique que cet « Autre » ! Même si une majeure partie des enjeux du récit est floue, la qualité du dessin emporte le lecteur dans d'épaisses ténèbres au fin fond de ces montagnes reculées.