Anne Lauvergeon raconte ses échanges avec l'ex-président François Mitterrand et quelques moments forts de ses deux septennats, quand elle était secrétaire générale adjointe à l'Élysée.
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"Oui, Mitterrand manque. Et il me manque, pourquoi ne pas le dire? J'aimerai tant pouvoir échanger avec lui sur la situation actuelle. Dans des cadres conviviaux, on pouvait l'entretenir de tout. Les discussions n'étaient jamais à sens unique, il fallait souvent être sur le qui-vive et déployer une acuité mentale et intellectuelle. A chaque nouveau sujet, il vous obligeait à faire un pas de côté, à changer votre perspective et vous vous surpreniez alors à penser : «Tiens, je n'avais pas vu cela sous cet angle ». Il était aussi capable à partir d'un faisceau d'événements en apparence disparate de discerner, de relever des lignes de force. Mais dans l'exercice de ses fonctions, il n'y avait jamais place pour le relâchement. Jamais.
Par une chaude fin d’après-midi, François Mitterrand me propose de faire quelques pas dans le parc de l’Élysée. Nous sommes en juin 1994, Édouard Balladur s’est installé à Matignon un an auparavant. Pour le moment, au Château, l’effervescence règne avec la préparation de la visite de Bill Clinton dans le cadre d’entretiens bilatéraux entre la France et les États-Unis.
Cette invitation du chef de l’État à traverser ce jardin à l’anglaise d’un vert éclatant doit être appréciée à sa juste valeur ; même si les membres de son cabinet ont, en théorie, toute latitude pour se promener sous ses frondaisons, nul ne se risque, en pratique, à exercer ce privilège. Sans doute parce qu’inconsciemment, nous pensons tous que cet endroit relève du domaine réservé. Le chef de l’État affectionne ce parc et tout particulièrement ses nouveaux occupants : un couple de colverts qui a élu domicile près du perron gauche du bâtiment élyséen.
En remontant l’allée, le président de la République me parle de Bill Clinton. Il est un des rares chefs d’État à avoir aussitôt apprécié un président américain que les observateurs dépeignaient complaisamment au début de son mandat comme un homme peinant à décider, tout juste sorti de son Arkansas natal. Les réunions organisées avec ses conseillers duraient quatre à cinq heures, disait-on, et se concluaient… par de nouvelles réunions. Mais aux yeux de François Mitterrand, Clinton avait, au contraire, le mérite de se poser et de poser beaucoup de bonnes questions. Le jugement mitterrandien était fondé puisque quelques mois après son installation à la Maison Blanche – par un de ces retournements majeurs que l’Histoire affectionne –, le monde entier avait découvert l’image d’un Bill Clinton invitant Yitzhak Rabin et Yasser Arafat à sceller par une poignée de main symbolique les accords d’Oslo entre les Israéliens et les Palestiniens. Comme le rappellera dix ans plus tard Uri Savir, qui fut le chef de la délégation israélienne lors de la négociation de ces accords, la France à cette époque a joué un rôle significatif, notamment après la conférence de Paris et la visite d’État de François Mitterrand en Israël.
Le président de la République passe des macro-enjeux permettant de ramener la paix au Proche-Orient, à la politique française en évoquant Charles Pasqua. Le ministre de l’Intérieur est un allié précieux pour Édouard Balladur. Le chef de l’État décortique le souverainisme de celui qui a le goût du verbe haut et le savoir-faire des coups bas, le style et le stylet.
Mieux vaut déclarer son ignorance, que de répondre à une question de manière évasive.
C'est une recommandation née de l'expérience.
Vous êtes alors presque immanquablement assimilée aux "énarques" et rangée parmi ces gens qui, selon lui, répondent au hasard plutôt que d'avouer une lacune.
Cette attitude l'insupporte au plus haut point.
Passant le dernier, son [Michel Audiard] avis est requis. Un abandon en rase campagne est espéré voir attendu.
"Il y a une chose qui me frappe, voilà un homme qui a un pied dans la tombe et l'autre sur une peau de banane, et tout le monde aboie après lui; pourquoi ne lui foutrait-on pas la paix?
Il a faait deux septennats, ce qui prouve qu'au bout du premier, les Français l'ont reconduit, donc il ne devait pas être aussi catastrophique que ça ..."
François Mitterrand lègue "Il faut laisser du temps au temps.".
Ce n'est pas la devise du président Queuille "Il n'est pas de problème qu'une absence de décision ne finisse par résoudre."
Non, pour lui une solution doit mûrir, pas pourrir ni non plus être cueillie trop verte.
...
Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu'on laisse le temps au temps."
Tout l'art du politique est de svoir reconnaître le bon moment.
L'ancienne PDG d'Areva Anne Lauvergeon est l'invité du 7/9 sur France Inter ce vendredi 13 avril 2012. Elle sort un livre "La femme qui résiste" paru chez Plon, livre dans lequel elle revient sur son parcours, ses années comme sherpa auprès de François Mitterrand et ses 10 ans à la tête d'Areva.