L'épatant roman de Minette Walters, Les Dernières Heures, a rappelé à mon souvenir ce superbe ouvrage anglais repris chez Hachette et livrant la correspondance au XVe siècle des Paston*, chronique d'une famille d'origine paysanne qui s'est enrichie au fil du temps jusqu'à l'anoblissement. La brève préface de l'historien Le Roy Ladurie nous resitue le contexte historique de son ascension sociale. Puis une présentation plus étoffée nous introduit dans l'univers des Paston, évoquant les différents membres de la famille, son implantation territoriale, le gouvernement et l'administration de l'époque, les grandes lignées dynastiques. La sélection de lettres qui est présentée dans le millier de missives que s'échangèrent les Paston nous permet de faire connaissance avec trois des épistoliers les plus diserts, Margaret et ses deux fils, John et William. Questions financières, querelles juridiques, soucis domestiques, maladies, nous entrons de plain-pied dans le quotidien de cette famille. Nous sommes à chaque fois guidés par une petite introduction à la lettre et éclairés par des encadrés sur la monnaie et les revenus, le costume, la médecine, l'habitat… Les illustrations sont nombreuses et magnifiques, ce qui fait de ce livre un régal.
* Notons cependant qu’un siècle sépare l’Angleterre évoquée dans le roman Les Dernières heures de celle des Paston.
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Edmund Paston à John Paston III Mai [1472]
Mautby
… Je vous informe que ma mère m’a forcé à chasser Gregory de mon service, et je vous écris pour vous en donner les raisons. Le garçon s’est laissé aller à une passion – en clair, il avait une petite amie, et il la rencontrait à Konyne Close. Or il advint qu’ils furent aperçus par deux laboureurs de ma mère qui brûlaient du même désir que lui, et lui ont demandé de partager. En bon camarade, il n’a pas refusé, et les deux laboureurs ont pris leurs ébats avec la demoiselle toute la nuit dans leur étable. Gregory a rompu toute relation avec elle ; il jure qu’il n’a eu aucun rapport avec elle dans la maison de notre mère. Ma mère est persuadé qu’il est à l’origine de tout, et il ne lui reste plus qu’à partir.
Au XVIe siècle, durant lequel tant de petits nobles s’inventèrent des ancêtres normands, cette généalogie fut retravaillée et les Paston se présentèrent comme un lignage chevaleresque et possédant des domaines seigneuriaux et des serfs depuis le XIIe siècle. La réalité est moins glorieuse : leur ascendance ne peut être établie avec certitude qu’à partir de 1300 et il semble qu’en dépit de leur statut d’hommes libres, et de l’étendue du domaine qu’ils exploitaient [...], les premiers membres de la famille étaient des paysans.
L’Angleterre des Paston n’a pas fini de se relever des effets de la Peste noire de 1348-49 et des épidémies qui lui ont succédé. Le pays ne comporte que quelques gros bourgs ; il a perdu plus de la moitié de ses habitants, et le repeuplement ne commencera réellement qu’à la fin du siècle.
Les remparts protègent, selon l’expression de l’époque, le pucelage ou l’honneur de la ville, bref son intégrité.
Emmanuel Le Roy Ladurie
L'historien Emmanuel le Roy Ladurie, auteur de travaux précurseurs sur l'histoire du climat, dont Histoire du climat depuis l'an mil (1967), décrit l'impact environnemental, social, démographique, économique et politique du Petit âge glaciaire qui a affecté l'Occident entre 1300 et 1850 environ.
Conférence issue de l'édition 2001 des Rendez-vous de l'histoire sur le thème "L'Homme et l'Environnement, quelle histoire ?".
© Emmanuel le Roy Ladurie, 2001.
Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002)
https://rdv-histoire.com/