Mes ressentis au fil de ma lecture furent une série de sentiments contrariés : non pas tant de l'agacement envers cette romantique exaltée, mais plutôt une sorte d'impatience ..... pour basculer quelquefois très rapidement sous le charme à travers une situation subtilement décrite par
Rosamond Lehmann , experte dans l'art d'exprimer tout en nuances la complexité des relations humaines .... Assurément Judith dès sa prime enfance semble se complaire dans l'art d'intellectualiser chaque moment de sa vie : aucune légèreté et insouciance pourtant propre à la jeunesse ..... Solitaire et introvertie , plus à l'aise dans les sphères de son imagination que dans la vraie vie et les relations humaines , préférant la nuit au jour , cet enfant grandit dans son propre univers , sans réels repères affectifs (fille unique d'un intellectuel plus enclin à lui enseigner la littérature et les arts qu'à lui apporter une forme d'amour plus "paternel' et d'une mère évanescente )..... La présence ponctuelle d'enfants de son âge en vacances chez leur grand-mère à proximité lui permettra de nourrir son imaginaire des années durant : sa relation avec chacun d'entre eux sera unique et complexe , souvent torturée à l'image de sa façon d'appréhender le monde en général .....
Cette petite fille , devenue jeune fille , enfin jeune femme représente une sorte de paradoxe assez intéressant à travers l'écriture de l'auteure : son romantisme exacerbée formidablement traduit par des descriptions très poétiques , avec une nature omniprésente cohabite avec une cérébralité puissante ......... bizarrement on sent qu'un excès de 'nature et culture" empêche à Judith d'exulter ......
Dès l'enfance les scènes de bains , d'escapades dans cette campagne qui évoquent un tableau impressionniste , empreint de sensualité pleine de fraîcheur pourraient laisser à penser que Judith saurait vivre ses premiers émois amoureux avec fougue et passion , emportée par le désir charnel au service de sa puissance romantique : Il n'en sera rien , et naturellement la vie , la vraie , dans sa forme moins éthérée , sera vécue comme une blessure ..... Amoureuse de l'amour uniquement dans l'idéal , Judith laisse aller ses émotions de ci , de là ..... Chaque fois dans la projection et l'analyse mais ne sachant pas créer le lien en laissant parler le corps , l'âme et non l'esprit qui obstrue sa capacité d'aimer ....
A travers Judith l'auteur met en relief la complexité d'une personnalité brillante , victime de sa quête d'absolu et de ses idéaux .....
Il est important aussi de souligner que l'auteure a su aborder avec délicatesse , légèreté, l'homosexualité , ainsi que l'émancipation de la femme : belle audace pour l'époque et surtout quel talent pour l'exprimer sans sensiblerie , ni mièvrerie !
La fin du livre , exprimant le vide de Judith après ces premiers écueils dans la "vraie vie" laisse entrevoir peut-être une entrée dans la matière enfin .....
Sachant que l'écrivaine n'avait pas plus de 25 ans lors de l'écriture de ce roman , je suis toujours admirative de tant de maturité pour exprimer avec autant d'acuité la complexité des relations humaines ; en outre le véritable talent de
Rosamond Lehmann réside , à mon sens , dans cet art unique de la description : ce sont de véritables tableaux qu'elle nous livre dans lesquels ils fait bon se lover ....