Homme de peu de foi
C'est la chronique d'une copine Babeliote qui m'a fait ouvrir ce livre, remarqué à sa sortie, puis oublié. Je connaissais donc le thème abordé et savais que la lecture allait s'avérer délicate…
Gabrielle de Miremont (la particule, très important) porte bien ses 91 printemps. Dans cette petite bourgade provinciale un brin endormie elle mène une vie tranquille dans son immense demeure aux allures de château. Mme de Miremont est veuve, elle a eu trois enfants, deux filles qu'elle voit peu et un fils, le fils,
Pierre-Marie, qu'elle a eu sur le tard et qu'elle a élevé comme s'il était le petit Jésus personnifié. Il faut dire que Gabrielle est très pieuse : catholique très pratiquante elle vit sous le regard de Dieu, va à la messe tous les jours et a été comblée de bonheur lorsque son fils s'est tourné vers le sacerdoce. Ordonné prêtre, il est maintenant le curé de la paroisse : un prête idéal, idéalisé, très proche de ses ouailles, trop ? Lorsqu'un journal local publie une enquête sur un scandale de pédophilie au coeur même du diocèse, Gabrielle a d'abord une réaction de déni. Ce journaliste cherche nécessairement à faire du sensationnalisme et à salir son église, son diocèse. Pourtant, Gabrielle cherche à rencontrer celui qui a témoigné dans les pages du journal, un jeune père de famille qui accepte une entrevue et raconte l'innommable. La déflagration dévastera Gabrielle et toutes ses certitudes : en tant que femme, en tant que catholique, en tant que mère.
Ce roman est un uppercut dont je peine à me relever. Relativement court, je l'ai lu d'une traite, mais je peine à formuler mon ressenti...
Ce n'est que récemment que l'Eglise ose regarder en face les exactions pédophiles en son sein, et encore, avec circonspection et sans grande compassion à l'égard des victimes… le linge sale se lave en famille et les prêtes convaincus de tels actes sont finalement peu nombreux à être écartés et condamnés. Dans ce roman, l'auteur n'y va pas par quatre chemins : par la voix d'Hadrien, les actes pédophiles commis par
Pierre-Marie ne sont pas édulcorés, encore moins les terribles conséquences pour ce jeune homme (« Je me sens mort à l'intérieur, MORT, étanche au bonheur, au plaisir, à la vie même. Tout me rappelle sans cesse que je suis absent à moi-même, absent au monde, absent à ceux que j'aime. Je suis un mort-vivant… »). En le violant,
Pierre-Marie lui a volé son enfance, son insouciance et… sa foi. de son côté, Gabrielle est une mère, « la maman du bourreau », certes, mais une mère. Et que doit faire une mère confrontée à l'horreur commise par son enfant ? Fermer son coeur ? Ne plus l'aimer ?
Gabrielle est un personnage que l'on peine à apprécier dans la première partie du roman : aristocratique, froide, hautaine, méprisante, sanglée dans ses certitudes. Au fil des pages, l'armure se fendille, des failles de plus en plus grandes apparaissent. Gabrielle est un peu bourreau, un peu victime… touchante finalement.
Un roman dérangeant, qu'il faut lire pour se faire son opinion et pour rendre hommage aux victimes de pédophilie, dans l'Eglise ou dans le cercle familial ou ailleurs, celles qui parviennent à parler, et toutes les autres.