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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En janvier 1945, les Allemands abandonnent les camps de concentration alors que l'armée rouge avance vers l'ouest.
Pour les survivants de ces camps, retrouver la liberté est un nouveau combat.
Dans les plaines de l'Europe de l'est, paralysées par un réseau ferroviaire quasi détruit, des milliers d'hommes et de femmes rescapées des enfers, tentent de retrouver le cours de la vie, le chemin de leur pays, malgré une géographie massacrée au terme de plusieurs années d'occupation et de combats.
Primo Levi est de ceux là, qui voient arriver l'armée rouge aux abords de Buna-Monowitz le 27 janvier 1945. Commence alors un long purgatoire de 10 mois de la Pologne vers l'Ukraine, la Moldavie, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche, avant qu'il ne retrouve Turin le 9 octobre 1945. La guerre a changé de visage, les armes se sont tues, les blindés et les avions ne sillonnent plus ni la terre ni le ciel, mais pourtant elle n'en finit pas d'étendre ses oripeaux, de nouveaux camps accueillent les rescapés, Bogucice aux abords de Cracovie, la Maison Rouge de Starye Dorogui. On y retrouve ce qui fait vivre: manger, dormir, tout un commerce humain qui s'agite comme un théâtre, une représentation théâtrale trouve d'ailleurs sa place dans les lignes de l'auteur.
Primo Lévi écrit son texte au début des années 60, contrairement à « Si c'est un homme » qu'il rédige en 1947, il ne livre pas ici le même type de témoignage. La mémoire de Primo Lévi s'appuie sur sa redécouverte de la vie, et la mémoire de l'élan vital qui fait toute sa place aux sensations retrouvées, distille insensiblement un imaginaire qui se mêle aux faits. Il en sort une galeries de portraits, qui donne forme à une humanité bigarrée, interlope, généreuse et souvent drôle, des figures de cour des miracles comme le Grec, des figures cabossées par le camp, d'autres rayonnantes de force et de vie malgré le camp. Primo Lévi fait ici la preuve que la vie jaillit, plus forte que le mal absolu, il livre un écrit plein de retenue et de pudeur, et son récit prend forme dans une distance où l'humour donne le ton.
La trêve est ainsi un « entre deux » entre le cataclysme du nazisme et le chaos de la guerre froide que le portrait des russes, semble ne pas annoncer, sous leurs accents de brutalité guerrière que vient rattraper leur gentillesse débonnaire.
Un livre qui fait toute sa place à la joie de vivre, comme une victoire définitive sur le nazisme.
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A peine une trêve. Une transition difficile, douloureuse, absurde, entre le camp et le retour chez lui. Un voyage insensé au sens premier du mot, qui a duré plusieurs mois. La stupeur de constater que pour ces rescapés de l'innommable, rien ou presque n'était prévu, et qu'il leur a fallu endurer cette errance épuisante, souvent dans le froid et la faim, et dans l'incertitude totale sur le jour de l'arrivée. Tant attendue, et tant reportée.
Mais qui, dans ces derniers mois de guerre, pouvait prévoir, savoir, organiser l'assistance qui aurait été nécessaire aux survivants des camps ?
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De Primo Levi, ce chimiste italien déporté à Auschwitz à 24 ans, en février 1944, tout le monde a entendu parler ou lu Si c'est un homme, ce témoignage terrible et incontournable sur les camps de la mort. Moins connu du grand public, La Trève, raconte sous la forme de mémoires à la 1ère personne, le sort des centaines de milliers de rescapés, déplacés si loin de leur pays par la guerre et la Shoah et contraints, après leur libération par l'armée russe en janvier 1945, à errer pendant de longs mois d'un camp de réfugiés à l'autre, en Pologne ou Biélorussie et autres pays de l'est européen.
Cette population hétéroclite, malade, épuisée et affamée doit être prise en charge : une tâche immense qui s'accorde mal avec l'administration très approximative que l'armée russe exerce que ces territoires libérés du joug nazi, car la guerre n'est pas encore finie. À hauteur d'homme, Primo Levi raconte les camps de transit où sont recueillis ces gens de tous pays, les rencontres qu'il y fait, les personnalités marquantes, la débrouillardise qu'il faut pour s'en tirer dans un monde plongé dans le chaos de la guerre, les situations improbables, ahurissantes ou désopilantes qu'il observe ou affronte, l'humeur partagée entre l'espoir et l'optimisme de la libération et les sombres perspectives d'un exode sans fin dans la steppe russe, sous les auspices d'une bureaucratie soviétique négligente, inefficace ou débordée, les maladies qui frappent les corps affaiblis, dont lui-même, la volonté de survivre envers et contre tout qui permet à chacun d'user de tous les expédients possibles pour se nourrir, s'abriter, se soigner.
L'aspect le plus riche de ces mémoires en est la dimension profondément humaine : dans un monde en ruines où l'ordre social a été bouleversé de fond en comble par la tourmente de la guerre, émergent des êtres qui n'ont d'autre richesse qu'eux-mêmes, leur courage, leur intelligence, leur faculté d'adaptation, l'expérience, voir la sagesse –très relative – qu'ils ont retirée de leurs tribulations dans des sociétés en perte de repères et de cadres : on pense au grec Mordo Nahum, pour qui faire des affaires, licites ou illicites, est un devoir sacré, presque une éthique, à Cesare, le romain du Trastevere, au bagout invincible quand il s'agit de marchander, de vendre ou de troquer, aux docteurs Leonardo et Gottlieb qui sauveront le narrateur de la mort grâce aux remèdes les plus étranges (des médicaments récupérés ici ou là à la vodka frelatée !), aux figures féminines, comme Galia ou Majda membres de l'armée rouge, qui apportent une touche d'humanité supplémentaire dans cet univers d'exilés.
Les situations et les personnages les plus insolites émaillent ce récit et lui confèrent une qualité comique parfois irrésistible, comme cet inspecteur du NKVD, motocycliste passionné, qui visite sur son engin, avec une jambe dans le plâtre, les cuisines du camp et ses immenses marmites autour desquelles il décrit des figures de voltige. Des scènes homériques sont évoquées comme l'assaut des soldats russes aux loges du théâtre à demi en ruines où se sont installées les italiennes célibataires de l'étrange camp de la Maison Rouge, une caserne stalinienne désaffectée à l'architecture incohérente, quelque part en Biélorussie. On pourrait en citer des dizaines d'autres exemples.
Écrit avec une verve et des images suggestives, ce récit à suspense (car on ne sait quand et comment, ni au terme de quels rebondissements, les exilés des plaines russes pourront regagner leur patrie) traduit aussi bien une curiosité attentive aux autres qu'un sens aigu du comique de situation. Empathie, humanisme, foi en l‘avenir, courage et solidarité sont les qualités qui émergent de ce livre et permirent à l'auteur et à ses compagnons de trouver une issue à leur errance, leur vie restant toutefois à jamais assombrie par la tragédie effroyable que leur avait imposée le destin.
Lu en V.O.
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Camp de Buna-Monowitz, dans le district d'Auschwitz. En cette fin janvier 1945, les allemands n'ont pas pu achever tous les malades avant l'arrivée de l'Armée Rouge. La progression des diverses maladies, l'épuisement, le froid se sont chargés de faire périr encore un bon nombre des misérables détenus. Alors que le dégel se fait sentir, les rares survivants ne peuvent décemment laisser exploser leur joie trop entachée et souillée par les atrocités de l'offense commise contre leur peuple.
C'est une liberté nouvelle qui fait mal, qui fait peur, qui agite des pensées tumultueuses et confuses.
Primo Levi, fiévreux, vit ses derniers jours dans ces baraquements avant d'être évacué vers le camp principal d'Auschwitz, un camp gigantesque offrant l'image d'une ville concentrationnaire hideuse baignant dans la fange laissée par le dégel.

Primo Levi nous laisse ici un formidable et poignant témoignage de l'entre-deux vécu par ces très rares survivants des camps. Cet entre-deux c'est la trêve, ce laps de temps interminablement étiré entre la libération du camp et le retour au pays pour reprendre sa vie non pas où ils l'avaient laissée avant leur déportation mais une vie d'après, après « le poison d'Auschwitz ». C'est le récit des tatoués meurtris par une horreur sans nom qui vont tenter de faire taire dans leur tête la résonnance de l'ordre étranger qui claquait chaque matin « Wstawać ».
La liberté n'a pas aboli les épreuves. Primo Levi, comme bon nombre de ses compagnons d'infortune doit encore livrer bataille contre la maladie, le froid et la faim. Leur prise en charge par les Russes est complètement chaotique et anarchique. Sur la Pologne enneigée, les convois ferroviaires composent avec les dégâts laissés par la guerre et les déplacements en tous sens sont truffés d'arrêts interminables.

Peut-être est-ce dû au recul que l'auteur a pris avant de rédiger ce récit, ou bien, comme j'ai aimé à me l'imaginer, est-ce de reprendre vie après cette abominable parenthèse hitlérienne, mais le fait est que la narration de l'auteur retentit de nombreuses notes humoristiques et on se surprend à sourire, à reprendre pied avec lui dans l'imperfection et la chaleur du monde humain.
Durant cette longue attente, initialement sur le sol polonais, les histoires singulières des uns et des autres se succèdent. Des passés plus ou moins glorieux défilent dont celui du Grec à la débrouillardise salutaire mais aux principes qui ne sont pas forcément partagés par notre narrateur. de curieuses interactions linguistiques se feront avec un prêtre de Cracovie ou alors une boutiquière allemande fera part du courrier qu'elle a adressé personnellement à Hitler lui conseillant de ne pas faire cette guerre qu'il ne pourra gagner !
C'est la reprise de contact avec soi-même, avec les autres, avec les arbres pleins de sève pour y puiser les forces nécessaires et laisser derrière eux les miasmes de la guerre.
Ce surprenant chemin du retour montre différents visages du peuple russe, celui des hommes à la vitalité débordante, à la joie explosive offrant des réjouissances théâtrales survoltées et celui de leur indéchiffrable bureaucratie, pas malveillante en soi mais lamentablement négligente, lente, exaspérante. L'organisation soviétique est plus que nébuleuse, les projets du lendemain sont ignorés de tous et les approvisionnements en nourriture franchement désordonnés. Face à cette incurie, la débrouille, un peu d'illégalité et beaucoup d'ingéniosité ont été nécessaires pour ne pas mourir de faim. de drôles de pratiques commerciales permettent tant bien que mal de manger à sa faim.

Ce très beau texte est à lire pour sa qualité littéraire et pour sa grande valeur de témoignage. Il n'est pas chargé de plomb ni de haine, il est juste là pour le besoin et l'importance de raconter la sortie de l'enfer même si les rapatriements se sont déroulés dans une extrême confusion. Ce périple aux multiples transferts dans des conditions déplorables a empli ces mois de trêve, comme une longue parenthèse pour regagner, par les contacts humains, la confiance nécessaire afin d'affronter l'avenir.
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Tout autant que "Si c'est un homme", "La trêve" est un témoignage inestimable que nous a laissé Primo Levi, et plutôt rare en littérature : après la libération des camps, mais avant que la guerre ne soit une cicatrice que l'on panse dans une paix revenue, que s'est-il passé?

A partir du moment où l'armée rouge entre dans le camp d'Auschwitz et jusqu'au retour en Italie, il va se passer de longs mois, d'abord de souffrances, de maladie, de stagnation en infirmeries de fortune en errances à travers l'Europe sans visibilité sur l'issue. Et pourtant peu à peu la vie renaît, les individualités néantisées dans le camp se redessinent, l'énergie et même la joie reviennent au fil de rencontres et d'expériences nouvelles dans laquelle Primo Levi s'en vient revivifier sa jeunesse atrophiée depuis deux longues années.

Le témoignage sur l'accompagnement des prisonniers à la libération des camps, sur les pénuries immenses de l'avant après-guerre, sur le fonctionnement foutraque de l'administration et l'armée russe sur laquelle l'auteur porte un regard parfois presque attendri, sont passionnants.
J'ai dévoré ces pages d'humanité profonde et d'histoire telle qu'elle figure si peu dans les livres.
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La Trêve est un hymne à la vie, au mystère, à la résilience, à la ténacité ; C'est un sas, une transition salutaire avant de faire le saut dans la vie, dans l'autre vie, qui n'est plus celle d'avant, plus celle d'avant d'avant ; Cette vie désormais inconnue peuplée de personnes que l'on connaît sans les reconnaître car ils ne savent pas et ne sauront jamais et peuplée des fantômes, ceux qui sont restés, ceux dont « nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise «   comme l'a écrit Paul Celan. « Une tombe parmi les nuages « comme l'a repris Semprún.
Primo Levi a écrit « La Tregua » en deux temps, comme deux respirations ; Les deux premiers chapitres en 1947-48 et la suite du livre en 1961. Deux respirations comme deux goulées d'air aspirées par le noyé pour revenir à la vie ou son illusion.
Le livre commence là où « Si c'est un homme » c'est arrêté : l'arrivée des troupes russes à d'Auschwitz. A partir de ce moment, Primo Levi est embarqué dans un voyage de plusieurs mois à travers l'Europe de l'Est ; Ce n'est pas l'Odyssée d'Ulysse et aucun chien ne viendra le reconnaître à son retour à la maison. C'est un espace temps, qui s'étire, au gré de décisions ou non-décisions obscures de l'état-major russe ; une forme de « kairos » imposé. Primo Levi est évacué avec quelques rescapés ou vient s'adjoindre au fil de ses pérégrinations, des prisonniers civils et militaires italiens, des familles italo-roumaines expulsées, une faune composée d'êtres dont certains veulent retourner chez eux, d'autres veulent s'en éloigner. Primo Levi, dresse, comme il sait si bien le faire, le portrait de femmes et d'hommes presque incroyables ; Tous sont animés par la vitalité de la liberté. Primo Levi et ses rares compagnons rescapés goûtent soudain à un pouvoir qui peut paraître minime mais qu'ils avaient perdu ; le pouvoir de parler, de manger, de respirer, de marcher librement. Mais la guerre est toujours là, quelque part. La mort, la maladie, le froid, la faim sont toujours présents, mais le combat contre leur emprise peut paraître plus équitable.
Primo Levi sort du camp malade et entre au camp de transit de Katowice très malade ; Sa guérison donne lieu à un épisode un peu farfelu et énigmatique sous l'égide du Dr Gottlieb, lui aussi survivant d'Auschwitz que Primo Levi qualifie d'exceptionnellement armé pour survivre. Dans ce camp de transit ou le temps s'éternise, il faut bien vivre ; Primo Levi est nommé pharmacien du camp ; Son oeil observateur photographie son environnement ; Il raconte de sa belle écriture imagée et souvent drôle, avec toujours cette douce justesse, son quotidien et surtout il dessine le portrait d'hommes, et parfois de femmes, qui croisent sa route ; « des cartes d'identité » savoureuses, pittoresques, tendres. On le sent ébahi devant ces compagnons d'infortune ; Ébahi devant leur enthousiasme, leur hardiesse, leur ingéniosité à revivre. On dirait parfois un élève devant des professeurs.
Mordo Nahum le Grec est un filou, un baratineur, avec des ressources insoupçonnées de débrouillardise ; Il entraîne Primo Levi dans les méandres du marché noir ; Mordo Nahum est capable de phrases sentencieuses « en temps de guerre, il faut avoir des chaussures et à manger et non l'inverse ; c'est d'abord aux chaussures qu'il faut penser » et « la guerre est éternelle » ; D'ailleurs il pense que Primo Levi est un abruti car il n'a pas de bonnes chaussures ; Preuve que c'est un inconséquent sans cervelle.
Cesare, le compagnon indéfectible de ce long périple ; Cesare est décrit comme un être capable de susciter la sympathie chez tout le monde, les Russes, les paysans polonais, les groupes hétéroclites des différents camps de transit. Cesare est ingénieux, affairé, affable, rusé, sans rancoeur et toujours prêt à partager ses expériences ; ce dont Primo Levi ne se prive pas.
Au camp de transit de Katowice, il y a Marja Fjodorovna Prima, une infirmière russe et Galina de Kazatin la jeune Ukrainienne, assistante de Marja ; elles seront deux figures importantes de femmes dans ce retour à une certaine vie ; Pour Primo Levi deux amies même brièvement.
Les femmes sont en arrière plan dans ce récit, décrites avec pudeur et respect. Mais elles n'ont pas un rôle secondaire ; Tout au long du livre, elles sont là, les jeunes filles russes auxiliaires de l'armée, les paysannes polonaises, biélorusses, les femmes des familles italo-roumaines, les femmes allemandes perdues dans les plaines russes. Primo Levi décrit leur courage, leur abnégation, leur peur et leur joie.
Il pense, comme les autres, qu'ils sont en route pour Odessa, la porte pour le retour vers l'Occident et l'Italie et soudain ils se retrouvent à cheminer sur des voies ferrées sans fin ; Un voyage sans queue ni tête, de camps de transit en camps de transit, s'enfonçant un peu plus dans les plaines de Russie. L'euphorie de la liberté fait souvent place à une certaine inquiétude ; Qu'est-ce que les Russes veulent faire d'eux ? Vont-ils errer longtemps à l'intérieur de ces plaines immenses et vides ; Ces steppes glacées d'Ukraine et de Biélorussie ? Primo Levi est fasciné par ces paysages sans horizon, mélange de crainte et d'émerveillement.
L'armée russe est décrite bon enfant, apparemment sans règle, sans objectif, ou l'organisation de la désorganisation est omniprésente. Les ordres et les règlements sont édictés pour mieux être quasiment, immédiatement transgressés par ceux-là même qui les ont produits. Cette armée russe, jeune, robuste, vaillante, victorieuse, convoie son troupeau avec bonhomie, désinvolture et une féroce innocence.
Après d'autres transits, Primo Levi et ses comparses resterons longtemps à Staryje Doroghi, dans « La Maison rouge », sorte de bâtisse mi-édifice administratif, militaire, indéfinissable, au milieu des plaines biélorusses avec des bois alentours. S'organise un quotidien ou la débrouille et le troc avec les paysans de l'unique village tapi au fond des bois devient une routine. L'incertitude de repartir à l'Ouest un jour se délite dans une abondance de nourriture, une oisiveté relative mais malsaine. L'esprit tourne en rond. Primo Levi parle de la nostalgie, dangereuse pensée dans cette sorte de parenthèse avant le retour chez soi. Une nostalgie qui serre le coeur, embrume l'esprit. Cette liberté semi-retrouvée, maladroite encore, s'étire sans fin sur le fil des jours. En parlant de liberté, Primo Levi l'éprouve quand il décide d'aller se promener dans la forêt, dense et immense ; Sentiment physique de beauté, de solitude salutaire, jusqu'au moment où en voulant revenir vers la Maison rouge, il se perd, incapable de se repérer. Perdition inconsciente, vigilance noyée dans un trop plein de nature, des sens à nouveau aiguisés. Et puis soudain, c'est le départ ; A nouveau les trains, à nouveau le chaotique chemin vers l'Ouest, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche et enfin l'Italie. Tout le monde guette les noms des villes et villages traversés, plus les noms se « latinisent », plus l'heure de retour chez soi se rapproche. Mais plus le chez soi se rapproche, plus la tristesse et le poids de la mémoire s'insinue, s'accroche, se fixe. La parenthèse illusoire est terminée. Primo Levi le sait, sans doute pour ne pas encore frôler les ailes de souvenirs trop douloureux, il ne raconte pas son retour à la maison de ses parents. Juste quelques phrases pudiques.
D'avoir attendu quasiment 13 ans pour écrire la plus grande partie de son roman, fut peut-être nécessaire pour revenir à une certaine normalité ; une famille, un travail, un pied concret dans une réalité quotidienne permettant de mettre un voile distancié, mais non un oubli – car je l'ai appris Primo Levi avait une grande mémoire – sur ses souvenirs. Un voile illusoire, hypothétique sur la douleur et l'amertume du destin, si destin il y a. Un exil volontaire de sa mémoire. La grande force de Primo Levi est de nous livrer un témoignage solaire dans une belle écriture ; sa belle écriture simple, poétique, posée, objective et définitivement ouverte sur les autres.
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Libéré par l'Armée rouge, Primo Levi regagne l'Italie après un immense détour par l'Union soviétique (Biélorussie, Ukraine, Moldavie). Recouvrant peu à peu la santé, lui et ses camarades tentent d'échapper à la culture de la mort qui a été leur quotidien à Auschwitz et de revenir à la vie "normale". Grâce à l'indifférence bienveillante des soldats russes chargés de leur surveillance, ils retrouvent peu à peu goût à la vie...
Un formidable livre d'espoir et d'optimisme qui est l'occasion pour Primo Levi de démontrer une nouvelle fois, après Si c'est un homme, son formidable talent d'observateur. Deux exemples : celui où il décrit les méthodes de commandement russes, si différentes de la brutalité allemande, mais non moins efficaces, et le magnifique chapitre sur le théâtre. Un livre à lire absolument !
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Un livre, comme tous ceux du même genre et comme Si c'est un homme, à mettre dans toutes les mains, pour ne pas oublier ce qui s'est passé sur le sol européen.
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L'holocauste et les camps de concentration ont fait couler beaucoup d'encre. Primo Levi, qui a survécu à cette expérience traumatisante, a d'ailleurs rédigé plusieurs romans autobiographiques à ce sujet. Toutefois, l'un d'entre eux, La trêve, s'attarde sur l'«après». En effet, le 27 janvier 1945, quand les Soviétiques libèrent les prisonniers d'Auschwitz, ils ne les renvoient pas chez eux en première classe. Pour tout dire, ils ne savent pas quoi faire de tous ces gens. le chemin sera long, difficile et rempli d'obstacles. Bref, Juifs ont connu l'enfer mais ils n'étaient pas au bout de leurs peines. Les Soviétiques les renvoient bien en train, de la Pologne à l'Ukraine, mais pas en ligne droite, parfois ils doivent attendre plusieurs jours pour une connexion. Puis, les autorités décident de leur faire prendre un chemin différent, puis un autre, ou bien de les faire attendre sans raison apparente. Les convois se croisent, partent dans des directions opposées puis se croisent à nouveau. Ainsi, pendant plusieurs mois, ils se promènent de la Biélorussie à la l'Allemagne, en passant par la Roumanie et la Hongrie. « Des milliers d'étrangers, en transit comme nous, appartenant à toutes les nations d'Europe, bivouaquaient là, partie dans ces casernes de cauchemar, partie en plein air, dans les vastes cours envahies par l'herbe. » (p. 144) C'était absurde mais, hélas, trop vrai ! À certains moments, les rations se faisaient rares, parfois inexistantes. Pour survivre, il fallait de la débrouillardise, faire du troc ou voler, connaitre les bonnes personnes, ce qui peut mener à des situations cocasses. En effet, certains coreligionnaires montent des opérations dignes des gangs de rue. Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Et quand la faim disparaissait, c'était le sommeil ou les contacts humains qui commençaient à manquer. Toutefois, le roman n'est pas qu'une longue plainte. Par exemple, à l'un de leurs transits, en projette des films ou bien on improvise un théâtre où l'on chante des chansons. C'est poignant, oui, mais Levi a entrecoupé son roman de quelques passages doux-amers, ironiques, même drôles qui enlèvent (presque) toute lourdeur. Bref, La trêve, c'est un autre opus à la résilience de ces pauvres hommes et de ces pauvres femmes, qui ont tant enduré pendant la Deuxième guerre mondiale et dont les souffrances se sont poursuivies bien au-delà de ce qui était nécessaire. Je ne divulgache rien : puis que Levi a écrit son autobiographie, on sait qu'il a réussi à retourner chez lui dans les dernières pages du roman. le 19 octobre 1945, après huit mois de déambulations. J'ai lâché un soupir de soulagement. Pour l'auteur, c'était un rêve qui se réalisait enfin. À moins qu'il ne s'agisse d'un rêve à l'intérieur d'un cauchemar ? Comment le savoir ?
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Janvier 45, parmi les rescapés d'Auschwitz libérés par les Russes, huit cents italiens rentrent au pays, une épopée de dix mois qui, sous la plume délicieuse, pleine de finesse et d'humour de Primo Levi, devient une suite d'anecdotes des plus cocasses, un récit jubilatoire, mais également instructif, passionnant!

Au camp de transit polonais de Katowice avec son capitaine Egorov à l'accoutrement excentrique, 'Le Grec' lui apprend les trafics en tout genre.
Un incompréhensible transport ferroviaire les ramène au nord, la Maison Rouge de Staryje Doroghi, la négociation des six assiettes contre la poule qu'ils n'arrivent pas à mimer, les invraisemblables spectacles de théâtre et cinéma, l'infirmière Irina distribuant parcimonieusement le savon à la file d'hommes nus à l'entrée du sauna, l'extraction du gigantesque maréchal Timochenko hors de sa fiat 500, ....
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