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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'holocauste et les camps de concentration ont fait couler beaucoup d'encre. Primo Levi, qui a survécu à cette expérience traumatisante, a d'ailleurs rédigé plusieurs romans autobiographiques à ce sujet. Toutefois, l'un d'entre eux, La trêve, s'attarde sur l'«après». En effet, le 27 janvier 1945, quand les Soviétiques libèrent les prisonniers d'Auschwitz, ils ne les renvoient pas chez eux en première classe. Pour tout dire, ils ne savent pas quoi faire de tous ces gens. le chemin sera long, difficile et rempli d'obstacles. Bref, Juifs ont connu l'enfer mais ils n'étaient pas au bout de leurs peines. Les Soviétiques les renvoient bien en train, de la Pologne à l'Ukraine, mais pas en ligne droite, parfois ils doivent attendre plusieurs jours pour une connexion. Puis, les autorités décident de leur faire prendre un chemin différent, puis un autre, ou bien de les faire attendre sans raison apparente. Les convois se croisent, partent dans des directions opposées puis se croisent à nouveau. Ainsi, pendant plusieurs mois, ils se promènent de la Biélorussie à la l'Allemagne, en passant par la Roumanie et la Hongrie. « Des milliers d'étrangers, en transit comme nous, appartenant à toutes les nations d'Europe, bivouaquaient là, partie dans ces casernes de cauchemar, partie en plein air, dans les vastes cours envahies par l'herbe. » (p. 144) C'était absurde mais, hélas, trop vrai ! À certains moments, les rations se faisaient rares, parfois inexistantes. Pour survivre, il fallait de la débrouillardise, faire du troc ou voler, connaitre les bonnes personnes, ce qui peut mener à des situations cocasses. En effet, certains coreligionnaires montent des opérations dignes des gangs de rue. Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Et quand la faim disparaissait, c'était le sommeil ou les contacts humains qui commençaient à manquer. Toutefois, le roman n'est pas qu'une longue plainte. Par exemple, à l'un de leurs transits, en projette des films ou bien on improvise un théâtre où l'on chante des chansons. C'est poignant, oui, mais Levi a entrecoupé son roman de quelques passages doux-amers, ironiques, même drôles qui enlèvent (presque) toute lourdeur. Bref, La trêve, c'est un autre opus à la résilience de ces pauvres hommes et de ces pauvres femmes, qui ont tant enduré pendant la Deuxième guerre mondiale et dont les souffrances se sont poursuivies bien au-delà de ce qui était nécessaire. Je ne divulgache rien : puis que Levi a écrit son autobiographie, on sait qu'il a réussi à retourner chez lui dans les dernières pages du roman. le 19 octobre 1945, après huit mois de déambulations. J'ai lâché un soupir de soulagement. Pour l'auteur, c'était un rêve qui se réalisait enfin. À moins qu'il ne s'agisse d'un rêve à l'intérieur d'un cauchemar ? Comment le savoir ?
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Janvier 45, parmi les rescapés d'Auschwitz libérés par les Russes, huit cents italiens rentrent au pays, une épopée de dix mois qui, sous la plume délicieuse, pleine de finesse et d'humour de Primo Levi, devient une suite d'anecdotes des plus cocasses, un récit jubilatoire, mais également instructif, passionnant!

Au camp de transit polonais de Katowice avec son capitaine Egorov à l'accoutrement excentrique, 'Le Grec' lui apprend les trafics en tout genre.
Un incompréhensible transport ferroviaire les ramène au nord, la Maison Rouge de Staryje Doroghi, la négociation des six assiettes contre la poule qu'ils n'arrivent pas à mimer, les invraisemblables spectacles de théâtre et cinéma, l'infirmière Irina distribuant parcimonieusement le savon à la file d'hommes nus à l'entrée du sauna, l'extraction du gigantesque maréchal Timochenko hors de sa fiat 500, ....
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La Trêve est un hymne à la vie, au mystère, à la résilience, à la ténacité ; C'est un sas, une transition salutaire avant de faire le saut dans la vie, dans l'autre vie, qui n'est plus celle d'avant, plus celle d'avant d'avant ; Cette vie désormais inconnue peuplée de personnes que l'on connaît sans les reconnaître car ils ne savent pas et ne sauront jamais et peuplée des fantômes, ceux qui sont restés, ceux dont « nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise «   comme l'a écrit Paul Celan. « Une tombe parmi les nuages « comme l'a repris Semprún.
Primo Levi a écrit « La Tregua » en deux temps, comme deux respirations ; Les deux premiers chapitres en 1947-48 et la suite du livre en 1961. Deux respirations comme deux goulées d'air aspirées par le noyé pour revenir à la vie ou son illusion.
Le livre commence là où « Si c'est un homme » c'est arrêté : l'arrivée des troupes russes à d'Auschwitz. A partir de ce moment, Primo Levi est embarqué dans un voyage de plusieurs mois à travers l'Europe de l'Est ; Ce n'est pas l'Odyssée d'Ulysse et aucun chien ne viendra le reconnaître à son retour à la maison. C'est un espace temps, qui s'étire, au gré de décisions ou non-décisions obscures de l'état-major russe ; une forme de « kairos » imposé. Primo Levi est évacué avec quelques rescapés ou vient s'adjoindre au fil de ses pérégrinations, des prisonniers civils et militaires italiens, des familles italo-roumaines expulsées, une faune composée d'êtres dont certains veulent retourner chez eux, d'autres veulent s'en éloigner. Primo Levi, dresse, comme il sait si bien le faire, le portrait de femmes et d'hommes presque incroyables ; Tous sont animés par la vitalité de la liberté. Primo Levi et ses rares compagnons rescapés goûtent soudain à un pouvoir qui peut paraître minime mais qu'ils avaient perdu ; le pouvoir de parler, de manger, de respirer, de marcher librement. Mais la guerre est toujours là, quelque part. La mort, la maladie, le froid, la faim sont toujours présents, mais le combat contre leur emprise peut paraître plus équitable.
Primo Levi sort du camp malade et entre au camp de transit de Katowice très malade ; Sa guérison donne lieu à un épisode un peu farfelu et énigmatique sous l'égide du Dr Gottlieb, lui aussi survivant d'Auschwitz que Primo Levi qualifie d'exceptionnellement armé pour survivre. Dans ce camp de transit ou le temps s'éternise, il faut bien vivre ; Primo Levi est nommé pharmacien du camp ; Son oeil observateur photographie son environnement ; Il raconte de sa belle écriture imagée et souvent drôle, avec toujours cette douce justesse, son quotidien et surtout il dessine le portrait d'hommes, et parfois de femmes, qui croisent sa route ; « des cartes d'identité » savoureuses, pittoresques, tendres. On le sent ébahi devant ces compagnons d'infortune ; Ébahi devant leur enthousiasme, leur hardiesse, leur ingéniosité à revivre. On dirait parfois un élève devant des professeurs.
Mordo Nahum le Grec est un filou, un baratineur, avec des ressources insoupçonnées de débrouillardise ; Il entraîne Primo Levi dans les méandres du marché noir ; Mordo Nahum est capable de phrases sentencieuses « en temps de guerre, il faut avoir des chaussures et à manger et non l'inverse ; c'est d'abord aux chaussures qu'il faut penser » et « la guerre est éternelle » ; D'ailleurs il pense que Primo Levi est un abruti car il n'a pas de bonnes chaussures ; Preuve que c'est un inconséquent sans cervelle.
Cesare, le compagnon indéfectible de ce long périple ; Cesare est décrit comme un être capable de susciter la sympathie chez tout le monde, les Russes, les paysans polonais, les groupes hétéroclites des différents camps de transit. Cesare est ingénieux, affairé, affable, rusé, sans rancoeur et toujours prêt à partager ses expériences ; ce dont Primo Levi ne se prive pas.
Au camp de transit de Katowice, il y a Marja Fjodorovna Prima, une infirmière russe et Galina de Kazatin la jeune Ukrainienne, assistante de Marja ; elles seront deux figures importantes de femmes dans ce retour à une certaine vie ; Pour Primo Levi deux amies même brièvement.
Les femmes sont en arrière plan dans ce récit, décrites avec pudeur et respect. Mais elles n'ont pas un rôle secondaire ; Tout au long du livre, elles sont là, les jeunes filles russes auxiliaires de l'armée, les paysannes polonaises, biélorusses, les femmes des familles italo-roumaines, les femmes allemandes perdues dans les plaines russes. Primo Levi décrit leur courage, leur abnégation, leur peur et leur joie.
Il pense, comme les autres, qu'ils sont en route pour Odessa, la porte pour le retour vers l'Occident et l'Italie et soudain ils se retrouvent à cheminer sur des voies ferrées sans fin ; Un voyage sans queue ni tête, de camps de transit en camps de transit, s'enfonçant un peu plus dans les plaines de Russie. L'euphorie de la liberté fait souvent place à une certaine inquiétude ; Qu'est-ce que les Russes veulent faire d'eux ? Vont-ils errer longtemps à l'intérieur de ces plaines immenses et vides ; Ces steppes glacées d'Ukraine et de Biélorussie ? Primo Levi est fasciné par ces paysages sans horizon, mélange de crainte et d'émerveillement.
L'armée russe est décrite bon enfant, apparemment sans règle, sans objectif, ou l'organisation de la désorganisation est omniprésente. Les ordres et les règlements sont édictés pour mieux être quasiment, immédiatement transgressés par ceux-là même qui les ont produits. Cette armée russe, jeune, robuste, vaillante, victorieuse, convoie son troupeau avec bonhomie, désinvolture et une féroce innocence.
Après d'autres transits, Primo Levi et ses comparses resterons longtemps à Staryje Doroghi, dans « La Maison rouge », sorte de bâtisse mi-édifice administratif, militaire, indéfinissable, au milieu des plaines biélorusses avec des bois alentours. S'organise un quotidien ou la débrouille et le troc avec les paysans de l'unique village tapi au fond des bois devient une routine. L'incertitude de repartir à l'Ouest un jour se délite dans une abondance de nourriture, une oisiveté relative mais malsaine. L'esprit tourne en rond. Primo Levi parle de la nostalgie, dangereuse pensée dans cette sorte de parenthèse avant le retour chez soi. Une nostalgie qui serre le coeur, embrume l'esprit. Cette liberté semi-retrouvée, maladroite encore, s'étire sans fin sur le fil des jours. En parlant de liberté, Primo Levi l'éprouve quand il décide d'aller se promener dans la forêt, dense et immense ; Sentiment physique de beauté, de solitude salutaire, jusqu'au moment où en voulant revenir vers la Maison rouge, il se perd, incapable de se repérer. Perdition inconsciente, vigilance noyée dans un trop plein de nature, des sens à nouveau aiguisés. Et puis soudain, c'est le départ ; A nouveau les trains, à nouveau le chaotique chemin vers l'Ouest, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche et enfin l'Italie. Tout le monde guette les noms des villes et villages traversés, plus les noms se « latinisent », plus l'heure de retour chez soi se rapproche. Mais plus le chez soi se rapproche, plus la tristesse et le poids de la mémoire s'insinue, s'accroche, se fixe. La parenthèse illusoire est terminée. Primo Levi le sait, sans doute pour ne pas encore frôler les ailes de souvenirs trop douloureux, il ne raconte pas son retour à la maison de ses parents. Juste quelques phrases pudiques.
D'avoir attendu quasiment 13 ans pour écrire la plus grande partie de son roman, fut peut-être nécessaire pour revenir à une certaine normalité ; une famille, un travail, un pied concret dans une réalité quotidienne permettant de mettre un voile distancié, mais non un oubli – car je l'ai appris Primo Levi avait une grande mémoire – sur ses souvenirs. Un voile illusoire, hypothétique sur la douleur et l'amertume du destin, si destin il y a. Un exil volontaire de sa mémoire. La grande force de Primo Levi est de nous livrer un témoignage solaire dans une belle écriture ; sa belle écriture simple, poétique, posée, objective et définitivement ouverte sur les autres.
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Camp de Buna-Monowitz, dans le district d'Auschwitz. En cette fin janvier 1945, les allemands n'ont pas pu achever tous les malades avant l'arrivée de l'Armée Rouge. La progression des diverses maladies, l'épuisement, le froid se sont chargés de faire périr encore un bon nombre des misérables détenus. Alors que le dégel se fait sentir, les rares survivants ne peuvent décemment laisser exploser leur joie trop entachée et souillée par les atrocités de l'offense commise contre leur peuple.
C'est une liberté nouvelle qui fait mal, qui fait peur, qui agite des pensées tumultueuses et confuses.
Primo Levi, fiévreux, vit ses derniers jours dans ces baraquements avant d'être évacué vers le camp principal d'Auschwitz, un camp gigantesque offrant l'image d'une ville concentrationnaire hideuse baignant dans la fange laissée par le dégel.

Primo Levi nous laisse ici un formidable et poignant témoignage de l'entre-deux vécu par ces très rares survivants des camps. Cet entre-deux c'est la trêve, ce laps de temps interminablement étiré entre la libération du camp et le retour au pays pour reprendre sa vie non pas où ils l'avaient laissée avant leur déportation mais une vie d'après, après « le poison d'Auschwitz ». C'est le récit des tatoués meurtris par une horreur sans nom qui vont tenter de faire taire dans leur tête la résonnance de l'ordre étranger qui claquait chaque matin « Wstawać ».
La liberté n'a pas aboli les épreuves. Primo Levi, comme bon nombre de ses compagnons d'infortune doit encore livrer bataille contre la maladie, le froid et la faim. Leur prise en charge par les Russes est complètement chaotique et anarchique. Sur la Pologne enneigée, les convois ferroviaires composent avec les dégâts laissés par la guerre et les déplacements en tous sens sont truffés d'arrêts interminables.

Peut-être est-ce dû au recul que l'auteur a pris avant de rédiger ce récit, ou bien, comme j'ai aimé à me l'imaginer, est-ce de reprendre vie après cette abominable parenthèse hitlérienne, mais le fait est que la narration de l'auteur retentit de nombreuses notes humoristiques et on se surprend à sourire, à reprendre pied avec lui dans l'imperfection et la chaleur du monde humain.
Durant cette longue attente, initialement sur le sol polonais, les histoires singulières des uns et des autres se succèdent. Des passés plus ou moins glorieux défilent dont celui du Grec à la débrouillardise salutaire mais aux principes qui ne sont pas forcément partagés par notre narrateur. de curieuses interactions linguistiques se feront avec un prêtre de Cracovie ou alors une boutiquière allemande fera part du courrier qu'elle a adressé personnellement à Hitler lui conseillant de ne pas faire cette guerre qu'il ne pourra gagner !
C'est la reprise de contact avec soi-même, avec les autres, avec les arbres pleins de sève pour y puiser les forces nécessaires et laisser derrière eux les miasmes de la guerre.
Ce surprenant chemin du retour montre différents visages du peuple russe, celui des hommes à la vitalité débordante, à la joie explosive offrant des réjouissances théâtrales survoltées et celui de leur indéchiffrable bureaucratie, pas malveillante en soi mais lamentablement négligente, lente, exaspérante. L'organisation soviétique est plus que nébuleuse, les projets du lendemain sont ignorés de tous et les approvisionnements en nourriture franchement désordonnés. Face à cette incurie, la débrouille, un peu d'illégalité et beaucoup d'ingéniosité ont été nécessaires pour ne pas mourir de faim. de drôles de pratiques commerciales permettent tant bien que mal de manger à sa faim.

Ce très beau texte est à lire pour sa qualité littéraire et pour sa grande valeur de témoignage. Il n'est pas chargé de plomb ni de haine, il est juste là pour le besoin et l'importance de raconter la sortie de l'enfer même si les rapatriements se sont déroulés dans une extrême confusion. Ce périple aux multiples transferts dans des conditions déplorables a empli ces mois de trêve, comme une longue parenthèse pour regagner, par les contacts humains, la confiance nécessaire afin d'affronter l'avenir.
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Tout autant que "Si c'est un homme", "La trêve" est un témoignage inestimable que nous a laissé Primo Levi, et plutôt rare en littérature : après la libération des camps, mais avant que la guerre ne soit une cicatrice que l'on panse dans une paix revenue, que s'est-il passé?

A partir du moment où l'armée rouge entre dans le camp d'Auschwitz et jusqu'au retour en Italie, il va se passer de longs mois, d'abord de souffrances, de maladie, de stagnation en infirmeries de fortune en errances à travers l'Europe sans visibilité sur l'issue. Et pourtant peu à peu la vie renaît, les individualités néantisées dans le camp se redessinent, l'énergie et même la joie reviennent au fil de rencontres et d'expériences nouvelles dans laquelle Primo Levi s'en vient revivifier sa jeunesse atrophiée depuis deux longues années.

Le témoignage sur l'accompagnement des prisonniers à la libération des camps, sur les pénuries immenses de l'avant après-guerre, sur le fonctionnement foutraque de l'administration et l'armée russe sur laquelle l'auteur porte un regard parfois presque attendri, sont passionnants.
J'ai dévoré ces pages d'humanité profonde et d'histoire telle qu'elle figure si peu dans les livres.
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C'est un ami passionné par Primo Levi qui m'a offert ce livre. Il m'avait déjà conseillé au préalable, un autre de ses ouvrages les plus connus, Si c'est un homme. Je l'avais débuté mais je l'avais laissé inachevé.

En 1943, Primo Levi est arrêté par la milice fasciste pour des faits de résistance, dans le Val d'Aoste. Reconnu Juif italien, il sera détenu au camp de Fossoli, près de Modène avant d'être déporté au camp d'Auschwitz, en Pologne, à partir de février 1944, puis à Monowitz, un camp auxiliaire du premier. Son livre, Si c'est un homme rapporte les évènements liés à sa détention jusqu'à sa libération du camp par les Russes, en janvier 1945. La Trêve est donc la suite et raconte les longues pérégrinations de Primo Levi, à travers l'Europe avant son retour, à Turin, seulement en octobre 1945.

Avoir lu la Trêve après Si c'est un Homme n'est donc pas très logique car les faits se déroulent chronologiquement après. Cela ne m'a, néanmoins, pas gêné outre mesure car j'avais déjà lu des témoignages sur les conditions de détention dans des camps de concentration. En revanche, je ne connaissais strictement rien sur les conditions de retour des survivants.

Primo Levi a écrit La Trêve des années après son retour, en 1961-1962. Il possède donc une certaine distance par rapport aux évènements qui se sont déroulés, dix-sept ans plus tôt. Mais, je dois dire que j'ai adoré son style d'écriture d'une grande finesse : sa plume est constamment teintée d'humour et d'ironie. Il a le don de croquer ses compagnons de route en les rendant tantôt attachants, tantôt détestables mais toujours aussi profondément humains.

Le témoignage de l'auteur est également très émouvant : en tant que lectrice, je n'ai pu m'empêcher de ressentir de l'empathie pour le narrateur, au travers des épreuves qu'il a dû surmonter pour enfin retourner en Italie. Mais, je dois bien avouer que le récit de Primo Levi m'a aussi fait sourire de nombreuses fois car l'auteur n'hésite pas non plus à s'accorder la part belle. En effet, s'il apparaît honnête et intègre au regard de ses camarades, ces derniers peu scrupuleux mais débrouillards, sont beaucoup plus versés dans les combines de vol ou d'escroquerie pour survivre. Je pense ainsi au Grec, Mordo Nahum ou son compatriote Cesare.

En conclusion, La Trêve de Primo Levi est un récit aussi poignant que teinté d'humour. Il est intéressant dans le sens où peu de témoignage sur cette période ne relate les difficiles conditions de retour des survivants dans leur pays d'origine. La plupart s'achève avec la libération des camps comme son ouvrage précédent, Si c'est un homme. Ayant adoré le style d'écriture de l'auteur, je n'hésiterai donc plus à me tourner vers son récit le plus fameux.

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Je poursuis ma découverte de l'oeuvre de Primo Levi avec
« La Trêve ».
Tous ses livres me touchent au coeur.
Les Allemands en fuite ont récupéré tous les hommes valides et abandonné à leur triste sort malades et mourants.
Arrivent les Russes, leurs libérateurs.
Et là commence un feuilleton "abracadabrantesque"
( dixit Jacques Chirac ).
Les Russes ne leur veulent pas de mal, mais semblent assez indifférents à leur sort.
Leur périple les ballotte d'un endroit à l'autre, sans aucune logique, personne ne leur explique quoi que ce soit.
Ils subissent, encore, et cela pendant 35 longs jours.
Parfois, bien logés, bien nourris, parfois, livrés à eux-même et au système D pour survivre.
C'est le chaos total, la guerre a fait beaucoup de dégâts sur les infrastructures ; ponts, rails, routes etc.
Je suis stupéfaite que l'auteur, après un an dans les camps de concentration, ayant contracté différentes maladies non identifiées et, surtout, non soignées, en soit sorti vivant.
Il a pour lui, une grande faculté d'adaptation, une grande résistance physique et psychique.
J'éprouve pour lui, le narrateur, et ses compagnons d'infortune, une grande admiration.
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On avait quitté Primo Levi dans l'horreur finale de l'univers concentrationnaire : agglutiné avec de nombreux autres malades dans un baraquement ouvert à tous les vents, Levi avait vu les SS détaler devant l'avancée soviétique, laissant là ces hères squelettiques à la merci de l'hiver. Ainsi prenait fin, sans cérémonie ni happy end, une année dans un camp de la mort. D'ailleurs, hormis la présence allemande, rien n'avait vraiment pris fin : les prisonniers vivaient toujours dans des conditions sanitaires atroces, ils avaient toujours froid et faim, ils mourraient toujours, même si la maladie assumait seule cette charge, délaissée par l'oeuvre inhumaine des chambres à gaz et des fours crématoires. le titre, La trêve, évoque d'ailleurs très bien cette notion temporaire de l'arrêt des hostilités. Les Allemands reviendront-ils ? Quelle sera la conduite des Russes à l'égard des prisonniers hagards ? Dans ce matin de janvier 1945, alors que les prisonniers du camp de Buna voient les premiers êtres humains depuis un an (des soldats soviétiques), le jour est aussi brumeux que l'avenir.

La trêve narre cette période incertaine du retour souhaité et finalement accordé en Italie. La guerre est finie (d'ailleurs, elle ne se termine qu'en mai) mais la paix du foyer n'est pas encore retrouvée. Les compagnons de Primo Levi ne sont plus des prisonniers, mais ils ne sont pas encore des hommes libres. Ils vont où les porte la nécessite et où leur enjoint d'aller le commandement soviétique. La trêve, c'est le retour à l'humanité : retour au foyer, à la famille, au pays, retour aussi à l'humanité profonde de ces hommes qui réapprennent à vivre, eux qui survivaient comme des bêtes. L'expérience concentrationnaire fut avant tout celle de la déshumanisation. A moins d'être comme ce Grec, Mordo Nahum, et de considérer que cette expérience ne fut que la preuve la plus tristement éclatante de l'horreur de l'humanité, cette expérience bouleverse et transforme, si elle ne tue pas. Au retour en Italie, Primo Levi évoque cette peur qu'il ressent de devoir à nouveau vivre, travailler, aimer, comme si rien ne s'était passé. Faire comme avant, pester contre les mille désagréments que peut offrir la vie, aimer et fonder un foyer, est-ce encore possible ?

La trêve, c'est aussi neuf mois de voyage. A pied, en train, parfois même dans une charrette tractée par un cheval. La trêve, ce sont les paysages de Pologne (Cracovie, Katowice), d'Ukraine, de Biélorussie, de Roumanie, de Hongrie, d'Autriche, même d'Allemagne, et enfin d'Italie : les plaines infinies d'Ukraine, les marais du Pripet, les villes dévastées (Katowice, Vienne, Munich), les villages perdus et sans noms, les camps de fortune dressés par les Soviétiques pour accueillir ces populations en transit, et ces trains, bénis et maudits, sans toit pour protéger de la pluie, cédant la priorité aux marchandises et aux militaires, se traînant avec lenteur sur les voies ayant survécu aux passages des armées.

Primo Levi reprend, pour La trêve, le même principe narratif qu'il avait adopté dans Si c'est un homme. Il s'agit d'une description minutieuse de tout ce qui a fondé, durant ces neuf mois, la vie quotidienne de ces Italiens, Grecs, Français, Hollandais, même Allemands ou Américains. Seulement ici pointe comme une note de nostalgie ; la période ne fut point heureuse (Primo Levi ne l'écrit pas) mais elle fut une parenthèse temporelle, unique dans la vie d'un homme. Primo Levi a appris, durant tous ces mois, sur une humanité instinctive, généreuse parfois, encore roublarde, cynique, détestable même (l'inique Rovi). La route de Primo Levi croise celle de personnages qu'on croirait fictionnels : le Grec (qui, par sa prestance et sa prétendue omniscience, rappelle Alexis Zorba), Cesare, Leonardo, et tant d'autres, depuis les infirmières russes et polonaises en passant par les militaires soviétiques, au comportement lunatique, et par les adolescents perdus, les femmes roumaines qui ne veulent plus quitter leur pays, et le petit Hurbinek, enfant sans parents ni paroles, mort à 3 ans dans le camp qui l'avait vu naître.

La progression vers l'humanité n'est toutefois pas linéaire. Tout comme le voyage, elle s'interrompt parfois ou paraît régresser. Ainsi la nourriture est-elle distribuée parfois avec abondance, parfois avec parcimonie. La débrouille fait alors le reste : achat aux paysans, troc, vol ou arnaque (ainsi l'anneau de laiton vendu pour de l'or à des paysans ukrainiens). Tout manque, mais tout se trouve, à condition d'agir : plus qu'ailleurs, la société de ces ex-prisonniers des camps trouve à chacun une place bien définie : tel est docteur, tel autre pharmacien ou infirmier (ainsi Primo Levi), tel autre cuisinier ou commerçant. Malgré ce retour aux occupations humaines, il n'en reste pas moins que l'expérience de guerre demeure traumatisante. Celle-ci n'est pourtant pas évoquée en tant que telle, probablement parce que ni Primo Levi, ni ses compagnons d'infortune, n'eurent l'occasion de le faire : les Russes se montrèrent trop inconstants tandis que les Allemands et les Autrichiens semblèrent abasourdis par la défaite et choqués par les destructions de leurs villes. Ainsi le traumatisme devait-il rester en mémoire, à vie : tout comme le numéro tatoué sur l'avant-bras, comme pour dire que la guerre, ainsi que le disait Mordo Nahum, n'est jamais finie : elle est éternelle.
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Début de la vie post-concentrationnaire
Pour apprécier ce récit de Primo Levi, il me semble indispensable d'avoir lu Si C'est Un Homme qui est le récit autobiographique le précédant chronologiquement et qui donne à La Trêve tout son poids et toute sa profondeur. Par sa pudeur et sa distanciation, l'auteur donne toujours l'impression de nous raconter une histoire qu'il a vécu de l'intérieur et en même temps de l'extérieur. Cependant, pour que les mots prennent tout leur sens, il faut garder à l'esprit que Primo Levi vient de vivre une expérience inhumaine et déshumanisante en ayant pleinement conscience de l'épreuve qu'il vient de subir et qu'aucun texte ne pourra traduire de façon satisfaisante ou même ne pourra approcher. C'est vrai qu'on voit dans ce récit le retour à une vie libre et dégagée des contraintes physiques et morales du Camp, mais on y voit aussi poindre surtout vers la fin la certitude que l'auteur restera marqué de façon indélébile par le Camp et qu'il ne pourra jamais s'en libérer mentalement. Cette servitude absolue, au-delà du temps et de l'espace, est probablement une des causes du suicide de Primo Levi en 1987.
NB: Ce livre résiste réellement bien à la relecture (2020). On y retrouve toute l'humanité de Primo Levi, mais aussi son talent de réaliser des portraits vivants et variés des gens rencontrés ainsi que son étonnement devant l'incurie des russes qui sont chargés d'escorter cette bande d'Italiens.
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En janvier 1945, les Allemands abandonnent les camps de concentration alors que l'armée rouge avance vers l'ouest.
Pour les survivants de ces camps, retrouver la liberté est un nouveau combat.
Dans les plaines de l'Europe de l'est, paralysées par un réseau ferroviaire quasi détruit, des milliers d'hommes et de femmes rescapées des enfers, tentent de retrouver le cours de la vie, le chemin de leur pays, malgré une géographie massacrée au terme de plusieurs années d'occupation et de combats.
Primo Levi est de ceux là, qui voient arriver l'armée rouge aux abords de Buna-Monowitz le 27 janvier 1945. Commence alors un long purgatoire de 10 mois de la Pologne vers l'Ukraine, la Moldavie, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche, avant qu'il ne retrouve Turin le 9 octobre 1945. La guerre a changé de visage, les armes se sont tues, les blindés et les avions ne sillonnent plus ni la terre ni le ciel, mais pourtant elle n'en finit pas d'étendre ses oripeaux, de nouveaux camps accueillent les rescapés, Bogucice aux abords de Cracovie, la Maison Rouge de Starye Dorogui. On y retrouve ce qui fait vivre: manger, dormir, tout un commerce humain qui s'agite comme un théâtre, une représentation théâtrale trouve d'ailleurs sa place dans les lignes de l'auteur.
Primo Lévi écrit son texte au début des années 60, contrairement à « Si c'est un homme » qu'il rédige en 1947, il ne livre pas ici le même type de témoignage. La mémoire de Primo Lévi s'appuie sur sa redécouverte de la vie, et la mémoire de l'élan vital qui fait toute sa place aux sensations retrouvées, distille insensiblement un imaginaire qui se mêle aux faits. Il en sort une galeries de portraits, qui donne forme à une humanité bigarrée, interlope, généreuse et souvent drôle, des figures de cour des miracles comme le Grec, des figures cabossées par le camp, d'autres rayonnantes de force et de vie malgré le camp. Primo Lévi fait ici la preuve que la vie jaillit, plus forte que le mal absolu, il livre un écrit plein de retenue et de pudeur, et son récit prend forme dans une distance où l'humour donne le ton.
La trêve est ainsi un « entre deux » entre le cataclysme du nazisme et le chaos de la guerre froide que le portrait des russes, semble ne pas annoncer, sous leurs accents de brutalité guerrière que vient rattraper leur gentillesse débonnaire.
Un livre qui fait toute sa place à la joie de vivre, comme une victoire définitive sur le nazisme.
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