C'est le premier siècle après Béatrice qui va nous situer dans le temps et constituer le titre du roman. Si nous devions le résumer en une seule phrase, nous pourrions dire que : pour avoir occulté le Sud, nous avons perdu le Nord. La mémoire y est apocryphe et le narrateur s'attache à impliquer le lecteur à l'intérieur du texte afin de l'orienter vers une réalité perceptuelle, bien qu'elle soit à venir, en vérité. La datation évolue à partir de la naissance de Béatrice, la fille d'un éminent professeur, spécialiste des coléoptères, dont le sisyphus, ce qui nous amène au commencement, en Egypte. On y parle de fèves, qui sont vendues sur les marchés d'Orient, puis du pouvoir d'une certaine « substance » qui aurait la propriété d'influer sur la naissance, mais plutôt celles des garçons que celles des filles, ce qui a pour conséquence, à terme, de déréguler l'harmonisation et le partage qui s'opéraient naturellement, entre les sexes. Influences Nord-Sud donc, puis finalement Sud-Nord, archaïques les unes ou modernes les autres, puis vice-versa mais tout aussi néfastes et débouchant sur un fléau, voire plus, selon les différentes lectures que propose cet ouvrage.
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Bien que ses romans se lisent facilement, Amin Maalouf n'est pas pour moi un auteur mineur. Il fait partie dans mon parcours de lecture personnel et depuis quelques années de cette galerie d'auteurs humanistes qui racontent, pour les avoir observés autour du monde et dans L Histoire, les petits héroïsmes et grandes misères des hommes. Pour autant, ses romans s'appuient sur des faits réels, mais n'ont rien de réalistes ; ils me semblent devoir se lire comme des fables, des romans initiatiques mêlant réflexion morale et poésie vécue dans le monde.
Né à Beyrouth, ayant grandi en Egypte dans une éducation multireligieuse turque, chrétien maronite, protestante, complétée chez les jésuites, il est devenue journaliste international, avant de devoir fuir le Liban en guerre, pour la France, en 1976. Influencé, entre autres, par Thomas Mann, Albert Camus, tolstoï, Yourcenar, Dickens ou Stefan Zweig, ainsi que par Omar Khayyam, Amin Maalouf a écrit son oeuvre en France et en français, tout en voyageant beaucoup, et a obtenu les palmes académiques.
Ce parcours marque fortement ses romans d'un message d'humanisme et de tolérance. On retrouve également dans ses romans, dont le cadre est en général le Moyen Orient, l'Afrique et le bassin méditerranéen, une influence de la tradition orientale du conte et des récits de voyages, au travers d'une langue riche et poétique, et jusque dans la construction de ses phrases. L'usage de la narration polyphonique est mise au service d'une mise en perspective multiple des points de vue identitaires des personnages. Dans tous ses romans, Amin Mmalouf semble se vivre comme médiateur culturel entre l'occident et l'orient méditerranéens... et c'est passionnant !
Fida Dakrouv écrivait ainsi en Juillet 2014 : "Dans le roman d'Amin Maalouf, c'est tout l'« Orient » qui semble parler, l'Orient musulman comme l'Orient chrétien byzantin et sassanide, soit horizontalement, à travers ses régions géographiques, de la ville de Grenade en Andalousie musulmane et du Maghreb (léonl'africain5) jusqu'à Samarkand en Asie centrale et au Mashreq (Samarcande) ; soit verticalement à travers ses époques historiques, c'est-à-dire de Ctésiphon au IIIe siècle (Les Jardins de lumière) jusqu'à Beyrouth au XXe siècle (Les Échelles du Levant).
... et en effet, les amateurs de romans historiques n'auront rien à envie aux aficionados de récits de voyages. Appartenant aux deux castes, je me suis trouvé comblé par la lecture de ses récits, "dévorés" en quelques jours sans pouvoir décrocher de ma lecture.
Le Premier Siècle après Bérénice n'est sans doute pas le roman le plus représentatif de cette réflexion de l'auteur sur la tolérance multiculturelle, mise en perspective dans L Histoire. En effet, ce court roman de 140 pages est au contraire un roman de science fiction, ou d'anticipation.
Le thème nous projette dans un futur proche ou un "substance" se répandant dans les pays du tiers monde, menaçant même le monde des pays riches, qui permettrait de choisir sans faillir le sexe d'un enfant. Confrontée à la préférence séculaire pour l'individu mâle de la plupart des sociétés traditionnelles, cette (nouvelle) production toxiques du capitalisme mondial vient à mettre en danger l'Humanité toute entière.
Le narrateur, professeur, nous raconte dans un récit chronologique les efforts désespérés de son couple avec la journaliste Clarence (ou Cassandre...) pour faire prendre conscience du danger aux foules et aux puissants de ce monde. Pour savoir s'il parviendront à leurs fins, lisez le roman...
Bien entendu, le titre du roman fait sens : Bérénice, fille du narrateur, mère en puissance, incarne la femme en général, et Maalouf nous rappelle -ce dont je suis également intimement convaincu que la femme reste -chaque jour et en tout temps- "l'avenir de l'homme".
Même s'il s'essaie dans ce roman de science fiction à un "genre" différent, le message humaniste de Maalouf reste le même. Dans un cadre contemporain de confrontation idéologique et culturelle, il replace des enjeux éthiques fondamentaux, face à une économie-monde inégalitaire,consumériste, scientiste et déstructurante. Il nous rappelle l'importance des "ancrages", des repères culturels locaux -traditionnels ou reconstruits- et familiaux, des rites d'interaction dont parle Erving Goffman, dans la construction des individus et des sociétés... pour le meilleur ou pour le pire...
Lire Maalouf est une expérience immersive ! Cette immersion-là mêle science fiction, sociologie, ethnologie et politique internationale ! Cinq étoiles pour moi !!!
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A la fin du siècle précédent, un entomologiste , qui a fait des coléoptères sa raison de vivre , tombe sur des fèves de poudre de scarabée dans un marché oriental. Au delà de toutes les superstitions véhiculées par les charlatans de tout poil, cette poudre semble assurer un héritier masculin à qui s'en servirait.
Ce livre qui est une dystopie, se passe de la fin des années 90 à 2030 environ et propose une réflexion multiple sur notre monde.
La fracture nord sud, le choix du sexe d'un enfant, l'impact du déséquilibre démographique ou encore et de façon plus tendre, l'amour d'un père pour sa fille.
Il y a beaucoup de réflexions , que j'ai personnellement trouvées très bien menées . Ce roman , qui envisage un futur morose , montre que tout ce qui va arriver était lisible dans le présent et que seul égocentrisme , l'indifférence , la cupidité par exemple nous ont empêchés d'en changer le cours.
Même s'il y a quelques longueurs et que l'on aimerait la mère plus mère, c'est un roman qui montre la fragilité de notre monde et sa capacité à exploser pour expulser les rancoeurs accumulées . A la première occasion. On s'y croirait presque .
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On en connait tous et toutes, des couples qui veulent absolument un garçon. Sans parler des endroits dans le monde où il vaut mieux avoir un garçon qu'une fille. Mais heureusement le sexe des enfants ne se contrôle pas.
Ou si ?
Une drôle de substance a conquis le monde : elle permet d'avoir à coup sûr un garçon. Et le processus n'est pas réversible : chaque grossesse donnera un garçon. Autant dire que les filles deviennent plus que rares.Et ce n'est pas sans conséquences...
Le roman d'anticipation sociale n'est pas nécessairement là où j'attendais Maalouf. On sent qu'il a vraiment réfléchit à cette question : que se passerait-il si les filles venaient à quasiment disparaître ? Elles manquent déjà dans certaines régions du monde et les conséquences ne sont pas fameuses : violences accrues, rigidification des règles régissant la vie des femmes, viols... Là, ce manque serait planétaire et presque irréversible. Ses personnages se battent contre cela, chacun depuis leur place : dénonciation à travers le monde pour la journaliste, recherche scientifiques pour le mari entomologiste. Ils sont relativement bien incarnés, assez crédibles.
Ce n'est pas vraiment la narration qui m'a convaincue de terminer le roman mais bien les questions que le roman posent et les réponses possibles qu'il essaie d'apporter.
Et Béatrice ? Je vous la laisse découvrir.
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