Le Ravisseur

Sans doute trouvait-elle près de Gérard une douceur, une paix rassurante que le fuyant Patrice ne lui donnait pas, mais ce n’est pas toujours dans l’équilibre et le calme que commence l’amour. Cet enfant capricieux, qui jongle avec l’espoir, la souffrance, la tendresse, s’ébat le plus souvent dans l’insécurité, la crainte, les alertes perpétuelles d’une âme incertaine. Et Séverine aimait Patrice, bien qu’il fût, comme il l’avouait, égoïste, tyrannique et instable par vocation et par tempérament.
Elle aimait Patrice… Maintenant, elle ne sait plus. Dans le désarroi de son cœur, elle ne peut plus lire que tristesse, douleur, découragement. Pourtant, elle se dit que le mal qu’elle a fait sans le vouloir, elle peut encore le réparer… Peut-être !… La rédemption de Patrice, son retour à la raison, à l’honneur, sa guérison morale, c’est le seul but qui lui semble avoir quelque intérêt. Cela lui est venu tout à l’heure, comme elle désespérait de sortir de ce gouffre où des événements imprévisibles viennent de la plonger.

Ecoutez, Séverine, je connais mon frère. Il souffre d’avoir été trop gâté par la vie. Tout lui a toujours réussi. Il ne le rend pas compte de la peine qu’il fait. Il va droit devant lui comme un sanglier qui fonce, sans regarder de côté ni à ses pieds. Il ne sait pas ce qu’il broie dans cette avance forcée. Vous allez embarquer ensemble pour l’existence : croyez-moi, si vous ne lui montrez pas que vous avez aussi une personnalité avec quoi il faut compter, s’il ne sent pas que, peut-être, il peut vous perdre, il ne vous épargnera pas.

« Gérard m’aimait !… »
Cette révélation prend pour elle un caractère plus que troublant : tragique, à cause des secrets horizons qu’elle lui ouvre. C’est comme un précipice qu’elle aurait côtoyé sans s’en rendre compte, les paupières closes… et sur lequel, soudain, ses yeux s’ouvriraient.
Il y a tant de choses… tant de choses qui refluent dans cette petite phrase-là : « Vous n’aviez donc pas compris que je vous aimais ! », criée non pas comme un aveu d’amour, mais comme l’appel lancinant du remords !…

El-Dib sait que la colombe possède le courage de l’aiglonne et qu’elle ne se laisse pas effrayer par les vains bavardages de ceux qui font du serviteur d’Allah, Amar El-Dib, un épouvantail pour les lâches. El-Dib est un soldat et la valeureuse colombe peut être assurée qu’elle sera ramenée au poste des roumis sans qu’elle ait eu à se plaindre de la réception de son serviteur très humble et très respectueux.

L’existence qu’on mène ici ne ressemble en rien à celle à quoi vous êtes habituée. Pour les hommes, elle est rude ; pour les femmes, monotone… surtout pour une femme qui, comme vous, ne rêve que plaies et bosses !…