Le palais des illusions fait partie de la série Paris des Limbes dont j'avais chroniqué le premier tome le codex de Paris un an auparavant. Ce nouveau roman sorti le 15 mai 2023 se déroule en 1900. Vous pouvez lire ce prequel indépendamment des deux autres tomes déjà paru. D'ailleurs, je n'ai pas encore lu Un Casse en enfer. Si j'avais apprécié l'enquête surnaturelle de Germain Dupré comme une lecture divertissante, j'ai adoré le palais des illusions qui m'a emprisonné entre ses pages. Je remercie
C.C. Mahon pour sa confiance.
1900. Paris présente l'exposition universelle pour la cinquième fois. Kiyoshi y oeuvre comme secrétaire du commissaire Legall et faussaire pour le compte de son oncle Masao. Cali, une jeune Rromni, danse pour le plaisir des yeux et pour nourrir sa famille. Ils appartiennent à deux mondes distincts. Pourtant, un meurtre les amène à croiser leur chemin. Lorsque l'acariâtre Agrippine Martin est balancée par-dessus le garde-fou du tapis roulant, c'est la mère de Cali qui est accusée. Devant préserver les secrets de ses employeurs, Kiyoshi garde à l'oeil la Bohémienne déterminée à disculper Mama.
Ce roman nous transporte à la charnière des siècles. À la Belle Époque où les Dames défilent en longue robe corsetée et les hommes dirigent en costume austère. Une ère pendant laquelle les cultures s'entrechoquent dans cette période où l'innovation et l'ingénierie semblent sans limites, un moment durant lequel le paraître règne, surtout quand il s'agit de montrer la gloire d'un pays. C'est ce qu'incarne l'exposition universelle où les décors en papier mâché offrent une image idéalisée de contrées lointaines. Une illusion trop propre, éloignée de la réalité, car elle associe des éléments folkloriques sans respect pour l'authenticité des lieux d'origine. Pourtant, ces portraits attirent, remodèlent les pensées et bousculent la créativité des autochtones.
Dès le XIXe siècle, le choc culturel provoque de l'émulsion, de l'adoration pour les civilisations lointaines. Les Européens s'approprient, souvent mal, les objets, vêtements, traditions qui les envoûtent par leurs exotismes. Cette attitude exaspère profondément Kiyoshi. Celui-ci voit l'envers du décor invraisemblable, les conditions de vie des « acteurs » de cette scène internationale, surtout quand Madame Martin s'en prend à eux pour une question de loyer non payé.
Peu commode, voire imbuvable en raison de son avidité, Agrippine Martin a une liste d'ennemis (et de susceptibles assassins) bien trop longue pour nos deux protagonistes. Son bourreau est facilement identifiable, même si nous n'avons pas toutes les cartes en main à propos des mobiles. Qu'est-ce qui t'a maintenu en haleine tout au long du récit si ce n'est pas l'enquête ? me direz-vous sans doute. La réponse est simple : Cali et Kiyoshi. Leurs personnalités, leur rencontre, leur relation, l'évolution de leur histoire m'ont captivée. Une romance slow burn se développe avec une lenteur qui ne plaira peut-être pas aux amateurs du genre, car tous est édulcoré et délicat. Ce sont des réactions, des paroles, des réflexions qui parsèment le livre au fil des pages. C'est une rencontre entre deux êtres diamétralement opposés qui rêvent de vivre de manière authentique envers soi-même. Un choc entre deux cultures. Une Rromni, marginalisée par son statut, qui apprivoise un Japonais serré dans un étau de pessimisme à cause de son vécu et de la maltraitance de Masao. Kiyoshi désire au plus profond de lui la liberté. Il envie la franchise de Cali dont les émotions éclatent au grand jour sans filtre. Pourtant, elle possède aussi des secrets qui brident ses envies. le poids des traditions enclave ses désirs. Des lois séculaires qui élèvent des barrières entre les peuples et engendrent des parias. Sa famille étant la chose la plus importante dans sa vie, Cali devra affronter ses craintes et trouver un équilibre entre son coeur et son esprit.
Notre petite bohémienne est un personnage fort, vivant, authentique, brisant les préjugés avec bravoure malgré les difficultés rencontrées par son statut de nomades et de femmes. Rappelons-le, cette période n'est pas charmante avec la gent féminine. Si celle-ci se bat pour ses droits et acquiert des postes dans des métiers réservés à la base aux hommes (nous avons ici le bel exemple d'Adeline Mercier, reporteresse à la Gazette des finances [oui, oui, des finances]), le patriarcat assied son oppression et façonne des comportements et des visions construites de toutes pièces tels l'homme est fort et la femme un être frêle. D'abord protecteur, Kiyoshi se rend compte qu'il est bien plus faible que la demoiselle qui se relève malgré l'angoisse et les coups durs, alors que lui grogne entre ses dents, caché dans sa tanière intérieure.
C.C. Mahon nous offre un roman riche en émotions dans un cadre maîtrisé. Les recherches minutieuses sur le contexte, l'exposition universelle, les développements urbains, etc. sont palpables dans les décors, l'émerveillement de Cali, l'exaspération de Kiyoshi, les éléments qui semblent anodins sans l'être. Elle y incorpore avec soin, sans que ça jure avec ce paysage la magie bohémienne et nippone. Les superstitions et le folklore s'invitent avec naturel. Ils servent l'évolution de nos personnages et de l'histoire.
En bref, le palais des illusions nous embarque aux portes d'un nouveau siècle où les différences s'entrechoquent, s'affrontent et s'entremêlent pour donner une meilleure version de deux âmes désirant vivre sans masque ni secret dans une société où le paraître et les règles patriarcales dominent. Ce roman montre le pouvoir libérateur que l'ouverture d'esprit et la compréhension de l'autre peuvent engendrer.
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